Blogueurs menacés et journalistes pris en étau par les autorités et des islamistes

Reporters sans frontières s’inquiète du climat délétère à l’encontre des acteurs de l’information, en marge du procès de plusieurs anciens leaders de partis islamistes, dont le parti Jaamat-E-Islami. Depuis plusieurs jours, 19 blogueurs ont été ouvertement menacés sur des sites Internet islamistes, et au cours de manifestations. Le 22 février, 23 journalistes ont été blessés dans des heurts qui ont opposé des militants islamistes aux forces de police.

“Les menaces et violences à l’encontre des professionnels des médias et des blogueurs sont inacceptables. La couverture du procès par les médias mais aussi par la blogosphère est nécessaire. Elle favorise un débat public sur des questions qui concernent l'ensemble de la population et qui constituent une page sombre du début de l’histoire du pays. Nous déplorons que des membres et représentants de partis politiques aient recours à des propos violents, voire à des appels à la haine, à l’encontre de ceux qui suivent le déroulement des procès. Nous encourageons ces derniers à contribuer à l'apaisement des tensions, qui ont déjà couté la vie à quatre citoyens”, a déclaré Reporters sans frontières.

   

“Nous condamnons vivement les attaques ciblées contre la presse, venue couvrir les manifestations qui ont agité le pays. Son travail est rendu d’autant plus difficile qu’elle est prise entre le ‘feu’ de militants islamistes qui ne tolèrent pas que la parole soit donnée à leurs opposants, et celui, bien réel cette fois, des autorités qui répondent aux manifestants à coup de fusil”, a ajouté l’organisation.

   

Suite aux menaces proférées par le parti islamiste, les autorités bangladaises ont fermé plusieurs sites Internet islamistes, tels que la plateforme sonarbangladesh.com. Certains ont choisi de continuer à s’exprimer, malgré les risques d’agression, tandis que d’autres, dont les portraits ont été diffusés, se terrent chez eux par crainte de s’exposer à une tentative de meurtre.

  

Plusieurs blogueurs ont récemment été victimes d’agressions physiques. Le 14 janvier, Asif Mohiuddin, 29 ans, a été poignardé à plusieurs reprises aux abords de son bureau de Dacca. Il est dans un état critique. Le 15 février, le corps sans vie du blogueur Ahmed Rajib Haider, 30 ans, a été retrouvé près de son domicile du quartier de Palashnagar, une zone résidentielle de la capitale Dacca.

  

Le 22 février dernier, durant des manifestations organisées par l’alliance des partis islamiques au moins 23 journalistes, reporters et photographes de presse ont été blessés, plusieurs d’entre eux par des coups de feu tirés par la police anti émeutes. Les incidents les plus graves se sont produits à Chittagong (sud du pays), où des militants islamistes ont attaqué le Club de la presse et l’Union des journalistes de Chittagong. Après la prière du vendredi, plusieurs militants ont pénétré dans les locaux abritant le club de la presse, accusant les journalistes qui s’y trouvaient d’abriter et de faire l’éloge des manifestants demandant une peine sévère à l’encontre des auteurs de crimes contre l’humanité, lors de la guerre d’indépendance, en 1971.

  

Kutub Uddin Chowdhury, Rajesh Chakrabarty et Miah Altaf, respectivement photographes de presse pour le Dainik Inquilab, le Dainik Jugantor et le Dainik Purbakone, Farid Uddin et Amit Das, journalistes pour la chaîne télévisée ATN Bangla, et Sanjeeb Babu et Rabiul Hossain Tipu, journalistes à Manchranga Television, ont été blessés au cours de l’attaque. L’état de santé de Kutub Uddin Chowdhury est jugé sérieux, et ce dernier a été admis au Chittagong Medical Hospital.

  

Les dirigeants du Club de la presse de Chittagong et de l’Union des Journalistes de Chittagong ont condamné publiquement ces attaques et réclamé l’arrestation des coupables. Au matin du 23 février, ils ont organisé un rassemblement en protestation à cette attaque.

  

A Dacca, de violents affrontements ont eu lieu entre les forces de police et les islamistes, dans la mosquée nationale de Baitul Mukarram. Des véhicules blindés ont été mobilisés pour contenir les violences, ainsi que des canons à eau, des sprays au poivre et des bombes lacrymogènes. Au moins dix journalistes ont été blessés durant ces heurts.

   
Pendant les manifestations, des islamistes ont délibérément attaqué quatre journalistes (Abdullah Tuhin correspondant pour Manchranga Television, Imran Tuhin, journaliste pour la chaîne télévisée ATN Bangla, Ferdous, reporter pour ATN News, et Mir Ahmed Miru, photographe de presse pour le Dainik Amar Desh), les traînant de force à l’intérieur de la mosquée en les agressant violemment. La police est ensuite intervenue, et a conduit les journalistes à l’hôpital.

   

Masudur Rahman, reporter pour Gazi TV, Nurul Islam, journaliste pour la chaîne télévisée Independent Television, Arifuzzaman Pias, journaliste pour Ekatteur TV, Sayeed Bablu, du Dainik Sangbad et Nurul Islam, journalistes pour Independent Television et pour la télévision d’État Bangladesh Television (BTV) ont été blessés par balles.

  

Aminul Islam Bhuiyan, membre élu du Comité exécutif du Dhaka Reporters Unity (DRU) a reçu une balle en caoutchouc dans la jambe, devant les locaux du DRU. Il a été admis au Chittagong Medical Hospital.

 
Après avoir été bléssés pendant qu’ils couvraient les manifestations à Sylhet, Shafiq Ahmed Sofi, journaliste pour Channel 24, Shihabuddin Shihab, reporter pour Boishaki Television, Alauddin, membre de Channel S, Nurul Islam, photographe de presse pour le Dainik Uttarporbo et Sohar Ahmad, journaliste pour Manchranga Television, ont dû être hospitalisés.

  

Un peu plus tôt, des militants islamistes ont attaqué les deux photographes de presse Nazmul Kabir Pavel de Bangladesh Pratidin et Sheikh Abdul Majid, du Sylhet Sanglap, qui ont été secourus par des responsables d’un parti opposé aux islamistes.

   

En marge de ces violences, le portail d’actualités du Daily Star, quotidien en langue anglaise le plus répandu dans le pays, a été victime de cyber-attaques. Les pirates - qui n’ont toujours pas été identifiés à ce jour - ont inséré des gros titres favorables au parti Jamaat-e-Islami. Le site a été piraté dans l’après-midi du 22 février, après avoir publié plusieurs articles relatant la violence commise par les islamistes dans la ville et dans le pays. Toutefois, le Daily Star est parvenu à rétablir le contrôle sur son site après quelques heures.

   

Dans un communiqué de presse paru le 24 février, l’alliance islamiste, dirigée par Khelafat Andolon, a menacé de boycott les médias présentant une vision “confuse” de l’opposition entre pro-islamistes et blogueurs “athéïstes”. Elle a également lancé un ultimatum au gouvernement pour que les blogueurs soient arrêtés et poursuivis pour “blasphème” avant le 28 février, faute de quoi des protestations auraient cours au niveau national après la prière du vendredi 1er mars. Au 25 février 2013, plusieurs journalistes et bureaux de rédaction font encore état de menaces téléphoniques d’origines inconnues.

   

Le Bangladesh occupe la 144ème position du classement 2013 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.

Publié le
Updated on 22.03.2022