Accréditations des médias : deux rapports accablent les autorités turques
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Les 8 et 9 mars derniers, deux rapports publiés par la presse ont révélé que l'armée et les services du Premier ministre sanctionnent ou récompensent les médias en fonction de leur “loyauté”.
Les 8 et 9 mars 2007, deux rapports rédigés respectivement par l'état-major des armées turques et par les services du Premier ministre ont été rendus publics par la presse. Ces deux documents témoignent d'un procédé de catégorisation des médias en fonction de la conformité de leur ligne éditoriale avec la politique gouvernementale, mais aussi de l'utilisation du processus d'attribution des accréditations pour fragiliser un titre ou un journaliste, ou à l'inverse pour récompenser ceux qui sont favorables aux forces armées.
“Reporters sans frontières dénonce le recours à ces méthodes qui permettent de dresser des listes noires et de tenter de neutraliser la parole des journalistes en les privant de leur matière première : l'information. Les forces armées aiment à se présenter comme les gardiennes de la bonne marche de la société alors qu'elles tentent de bâillonner les voix qu'elles considèrent comme importunes. Ces procédés ne sont pas compatibles avec les principes mêmes de la démocratie. L'armée turque doit renoncer à ses pratiques d'influence sur la presse”, a déclaré l'organisation.
“Nous soutenons l'Association turque des journalistes (TGC), l'Association des journalistes contemporains (CGD), le Syndicat des journalistes de Turquie (TGS) ainsi que le Conseil de la presse (Basin Konseyi), qui ont protesté contre les méthodes de l'état-major et des services du Premier ministre. Selon ces organisations, “le système d'accréditation en Turquie a toujours été problématique” et nous espérons avec elles que la publicité faite autour de ces rapports permettra d'ébranler ce système et de changer ces pratiques”, a ajouté Reporters sans frontières.
Le rapport de l'état-major, qui a filtré dans la presse le 8 mars 2007, a été rédigé en novembre 2006 par la Direction des relations publiques de l'armée. Son objectif était d'évaluer la “loyauté” des médias et d'interdire ceux dont le niveau était jugé le plus faible de participer ou d'assister aux activités des forces armées turques (FAT), comme les conférences de presse, les visites guidées, etc. Les auteurs étaient parfaitement conscients des torts causés par ces refus d'accréditation. Dans le rapport figure en effet le commentaire suivant : “Le fait de ne pas attribuer d'accréditation aux médias estimés peu crédibles a également contribué à ce que ces derniers ne soient pas respectés au sein de l'opinion publique.”
Ce document analysait la ligne éditoriale de 19 quotidiens, 18 chaînes de télévision, huit magazines et cinq agences de presse. L'absence de média pro-islamiste dans ce rapport s'explique par le fait que l'armée leur refuse par principe toute accréditation.
Dans une note, on pouvait lire au sujet du quotidien Radikal : “ C'est un journal que les FAT doivent suivre attentivement. Il est susceptible de se démarquer parfois au sujet des FAT. Dans la période mars-juillet 2005, le journal a employé le terme ”mort” pour les martyrs des FAT. Ceci a éveillé des critiques. Ce sujet a été débatu le 21 juillet 2005 lors d'un briefing destiné aux médias et le journal a amélioré sa ligne éditoriale grâce à la sensibilité du directeur de la publication, Ismet Berkan.” En conséquence, l'armée a recommandé que l'accréditation du journal soit renouvelée mais que quatre éditorialistes critiques envers les FAT (Nuray Mert, Yildirim Türker, Murat Belge et Hasan Celal Güzel) ne soient pas accrédités à titre individuel.
L'armée poursuit son analyse en préconisant que l'accréditation de la revue américaine Jane's Defense Weekly reste valable mais que la reporter de la revue, Lale Sariibrahimoglu, ne soit pas invitée aux activités des FAT réservées aux journalistes. L'accréditation de la journaliste avait déjà été annulée par l'armée lorsqu'elle écrivait pour le quotidien conservateur Bugün.
Dernier exemple, l'armée constate que le présentateur de l'émission “Club de Presse”, Erol Mütercimler, critique vigoureusement l'armée, allant même jusqu'à évoquer la théorie d'un complot. Le rapport incite les responsables à suspendre provisoirement l'accréditation de la chaîne et à exclure son propriétaire, Ufuk Güldemir, ainsi que certains journalistes, des activités militaires réservées aux journalistes.
Au lendemain de cette première parution, le 9 mars, l'armée publiait un communiqué de presse annonçant l'ouverture d'une enquête judiciaire, sans préciser si cette dernière serait interne ou orientée contre les médias ayant publié le rapport.
Le même jour, le quotidien Cumhuriyet publiait en une un article consacré au “Rapport mensuel préparé par les services du Premier ministre”, sorte de classement des médias. Le service de presse du chef du gouvernement a qualifié l'accusation d'”irréelle et d'intentionnelle.” “Un tel rapport n'a jamais été soumis au Premier ministre,Recep Tayyip Erdogan” a-t-il été précisé.
Pourtant, selon le journal, dans ce rapport figurerait même le fait que les journalistes Nuray Basaran, Enis Berberoglu, Oral Calislar et Güngör Uras auraient bu du vin rouge français de marque Syrah Calvet 2002, lors d'une visite au Liban, le 5 juillet 2005.
Dans ce document, le quotidien Yeni Safak (Nouvelle Aube, islamiste) est désigné comme un soutien essentiel de Recep Tayyip Erdogan et de son gouvernement. Le quotidien Vakit (“Temps”, islamiste engagé) est loué pour avoir “éloigné du gouvernement les critiques qui lui sont infligées sur le foulard islamiste”, et le quotidien Zaman (Temps, islamiste) félicité d'être “sans préjugé vis-à-vis d'aucun groupe ni personne”.
En revanche, d'autres quotidiens ne sont pas aussi appréciés : Cumhuriyet (républicain) fait, selon le document, “rarement preuve d'objectivité “, tandis que Milliyet (Nation, centre libéral) s'est amélioré après la nomination de Sedat Ergin à la tête de la rédaction : “Les articles et contenus sont devenus positifs”. Sabah (Matin, droite libérale), quant à lui, a adopté une ligne éditoriale plus négative. On reproche au journal de ne plus publier autant d'articles consacrés au gouvernement et que ceux-ci n'occupent plus la une. Quant à Hürriyet (Liberté, libéral droite), le document reconnaît qu'il “ne réserve plus sa une aux activités du gouvernement depuis que ses grands journalistes n'ont pas été admis dans l'avion du Premier ministre lors de la visite aux Etats-Unis, et que les articles sur le gouvernement sont assez brefs”.
L'Union européenne à laquelle le pays souhaite adhérer, a estimé que la Turquie ne pourrait embrasser les normes démocratqiues tant que l'armée continuerait à exercer son pouvoir sur les questions non militaires. Les forces armées qui se présentent fréquemment comme un rempart contre l'islamisme, ont déjà pris le pouvoir par trois fois, la dernière remontant à 1980.
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20.01.2016