Visite d'Abdou Diouf à Kigali : Reporters sans frontières demande l'intervention de l'OIF en faveur de trois journalistes emprisonnés
Organisation :
Dans une lettre adressée au secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf, à l'occasion de son voyage officiel au Rwanda le 21 février 2006, Reporters sans frontières a demandé son intervention auprès du président Paul Kagame en faveur de Jean-Léonard Rugambage, Tatiana Mukakibibi et Dominique Makeli, trois journalistes abusivement emprisonnés.
Après avoir détaillé les types de violations de la liberté de la presse les plus fréquents au Rwanda - « saisie des rares publications encore critiques, menaces publiques proférées contre les journalistes qui dérangent et intimidations physiques des professionnels de l'information » -, l'organisation a rappelé qu'elle demandait la libération de trois professionnels de l'information. « Aucun d'entre eux n'a eu droit à un procès, a notamment écrit Reporters sans frontières. Les charges portées contre eux sont floues et changeantes. » Rappelant les termes de la déclaration de Bamako, selon laquelle « démocratie et francophonie sont indissociables », l'organisation a demandé au secrétaire général de l'OIF « d'intercéder en leur faveur auprès du gouvernement rwandais. Les droits de citoyens et la liberté de journalistes de ces trois personnes ont été bafoués. Il est urgent de mettre fin à ce scandale, perpétué en toute impunité au cœur de l'espace francophone. »
Jean-Léonard Rugambage, journaliste du bimensuel indépendant Umuco, a été condamné, le 23 novembre 2005, à un an de prison pour « outrage à la cour » après qu'il eut contesté l'impartialité du président du tribunal populaire « gacaca » chargé de le juger. Son procès pour sa prétendue participation à un assassinat, lors du génocide de 1994, a été reporté à l'année prochaine, lorsque le journaliste aura purgé cette peine. Jean-Léonard Rugambage avait été arrêté le 7 septembre, 10 jours après la publication d'un numéro de Umuco dans lequel il avait dénoncé la corruption de certains juges des gacaca du district de Ruyumba et l'utilisation des tribunaux populaires pour régler des comptes personnels. Le 5 octobre, en présence d'un représentant de Reporters sans frontières, le journaliste avait une première fois comparu devant la gacaca de Ruyumba, présidé par Théophile Kalisa, au cours de laquelle des témoins avaient lancé à son encontre des accusations diverses, allant de la distribution d'armes à la fabrication de faux passeports. Un témoin l'avait accusé d'avoir tué le gérant d'une banque durant le génocide, après avoir pillé son établissement. Le père de la victime avait toutefois déclaré qu'il n'avait jamais vu le journaliste. Au cours de l'audience du 23 novembre, Jean-Léonard Rugambage s'est fait accompagner par deux co-détenus qui ont avoué le meurtre du gérant de la banque. Selon lui, la victime, d'origine Hutue, a été assassinée pour des raisons crapuleuses et non dans le cadre du génocide. D'autre part, en 1996, le journaliste avait été jugé et acquitté par la justice ordinaire pour cette même affaire. Selon lui, le juge Théophile Kalisa faisait déjà partie de ses accusateurs.
Tatiana Mukakibibi était animatrice et productrice de programmes à Radio Rwanda. En juillet 1994, elle s'était réfugiée avec ses collègues en République démocratique du Congo (RDC). Le 10 août, elle était rentrée au Rwanda, à Kapgayi (près de Gitarama) où elle avait travaillé avec l'abbé André Sibomana (ancien directeur de Kinyamateka et lauréat 1994 du prix Reporters sans frontières - Fondation de France, décédé en mars 1998). En juillet 1995, elle avait été arrêtée et détenue pendant quelques jours. Par peur des représailles, elle avait fui en Ouganda. Elle était revenue au Rwanda le 30 septembre 1996 et, deux jours plus tard, était interpellée à son domicile de Ntenyo (Gitarama) par la police. Tatiana Mukakibibi avait été aussitôt conduite au cachot communal et détenue dans des conditions très pénibles. Le lendemain de son arrestation, un inspecteur de police lui avait demandé de déclarer qu'elle était partie en Ouganda sous la protection de l'abbé Sibomana. Si elle avouait, lui avait-il assuré, elle pourrait partir librement. Elle avait refusé et, cinq jours plus tard, était accusée d'avoir distribué des armes et tué Eugène Bwanamudogo, un Tutsi qui réalisait des programmes radiophoniques pour le ministère de l'Agriculture. Pendant l'été 2001, le substitut du procureur de Gitarama avait confirmé ces accusations. D'après Tatiana Mukakibibi, son incarcération était le résultat d'un coup monté par des gens de son village parce que André Sibomana envoyait des rapports aux organisations internationales pour dénoncer les exactions commises par des Tutsis en représailles du génocide d'avril 1994. Certaines personnes citées dans ces documents auraient essayé, à travers elle, de faire arrêter André Sibomana.
Dominique Makeli, journaliste de Radio Rwanda, est détenu à la prison centrale de Kigali (PCK) depuis le 18 septembre 1994. Pendant les premiers jours du génocide, il avait fui à Kibuye (ouest du pays) où l'un de ses fils avait été tué un mois plus tôt par des miliciens extrémistes hutus. Le 18 septembre 1994, de retour à Kigali, il avait été interpellé à son domicile par un agent du Département des renseignements militaires (DMI). En octobre 2001, le procureur de la République, Sylvaire Gatambiye, avait affirmé à Reporters sans frontières que Dominique Makeli était accusé d'avoir « incité au génocide dans ses reportages ». En mai 1994, il avait couvert une apparition de la Vierge à Kibeho (ouest de Butare) et rapporté sa supposée déclaration : « Le parent est au ciel ». Le procureur avait expliqué que, dans le contexte de l'époque, cela signifiait : « Le président Habyarimana est au ciel ». La population aurait interprété ce message comme un soutien de Dieu à l'ancien président et, par extension, à la politique d'extermination des Tutsis.
Publié le
Updated on
20.01.2016