Violentes attaques de journalistes par les forces de police : nécessité d’un apaisement des relations

Vers 15 heures, à l’issue de la manifestation organisée à Tunis par l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), le 25 février 2012, les forces de l’ordre ont tiré des grenades lacrymogènes et violemment dispersé les manifestants. Un véritable déchaînement de violences physiques et verbales. De nombreux journalistes filmant l’assaut ont été directement pris à partie. “Les insultes qui ont été proférées à l’encontre des journalistes et la brutalité avec laquelle certains d’entre eux ont été traités par les forces de police sont sans équivoque et marque le retour des violences policières. Rien n’explique un tel comportement sinon la peur de retrouver, dans les médias, les images d’actes totalement illégitimes. Un tel regain de tension entre les représentants de l’ordre et les professionnels des médias est particulièrement inquiétant. Une pacification des relations est indispensable, sans quoi, de telles scènes seront nécessairement amenées à se reproduire”, a déclaré Reporters sans frontières. Dans son précédent communiqué, l’organisation avait exprimé ses inquiétudes suite aux déclarations de certains membres du gouvernement vis-à-vis des médias, qui pouvaient être considérées comme justifiant, aux yeux d’une partie de l’opinion, les agressions verbales et physiques dont sont régulièrement victimes les journalistes. De telles déclarations pourraient même constituer un encouragement à faire des journalistes des boucs-émissaires. Reporters sans frontières a recensé sept cas d’agressions de journalistes, le 25 février dernier : - Alors qu’il était devant le ministère de l'Intérieur et montrait sa carte de presse, Aymen Rezgui, rédacteur en chef de la chaîne Al-Hiwar Ettounsi et membre de comité exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens, a été insulté par des policiers en uniforme et en civil lorsqu’ils ont appris son appartenance au SNJT avant d’être passé à tabac. Il présente de nombreuses traces sur le corps, résultat des coups de matraque qu’il a reçus.
- Zouhair Zouidi, d’Attariq Al-Jedid, a été frappé au dos et au visage par des policiers en uniforme et en civil devant le ministère de l'Intérieur, alors qu’il avait mis sa carte de presse en évidence.
- Mouna Bouazizi, journaliste pour le quotidien Ech Chourouq, a été insultée et violemment bousculée par un policier alors qu’elle s'apprêtait à photographier les violences devant l'immeuble du groupe de presse Dar Al-Anwar. Mouna Bouaziz était en compagnie d’Ahlem Abdelli, journaliste de la radio Shems FM, qui a également été insultée par le policier.
- Le reporter de Radio Kalima, Ali Jallali, filmait les violences policières quand il a été brutalement mis à terre par un policier qui l’a frappé à deux reprises avec une matraque, alors même qu’il portait un brassard "presse". Le policier lui a dit qu’il ferait mieux de filmer les manifestants qui s’en prenaient aux forces de l’ordre et non l’inverse.
- Arwa Baraket, activiste sur Internet, était en train de filmer la manifestation de l’UGTT quand la police a commencé à charger la foule. Elle a été violemment prise à partie par la police, insultée et rouée de coups. Elle a eu le bras cassé. - Amin Ayachi, cadreur de la chaîne Nessma TV, s’est fait encercler et frapper par des policiers devant le centre Claridge sur l’avenue Bourguiba. Les forces de l’ordre ont endommagé l'objectif de sa caméra et exigé qu’il efface toutes les séquences qu’il venait de filmer, allant même jusqu’à convoquer un policier du service informatique. La réaction du Syndicat des journalistes tunisiens a été immédiate et un rassemblement a été organisé le 27 février dernier, appelant les journalistes à s’unir pour protester contre ce retour en arrière. De son coté, le ministère de l'Intérieur a publié un communiqué d’excuses. Joint par Reporters sans frontières, son porte-parole a assuré qu’une enquête interne “sérieuse” et “dont les résultats seront rendus publics dès que possible” avait été ouverte. “Si le ministère ne souhaite pas que l’ensemble du système sécuritaire soit décrédibilisé, une attitude exemplaire devra être adoptée à l’encontre des policiers impliqués dans ces violences”, a déclaré l’organisation. Reporters sans frontières rappelle que les 5 et 7 mai 2011, suite aux déclarations de l’ancien ministre de l'Intérieur, Farhat Rajhi, des manifestations avaient éclaté et donné lieu à une vague de violences policières, faisant une quinzaine de blessés parmi les journalistes. Le ministère avait aussitôt réagi en rappelant que les médias devaient d’être identifiables par les forces de l’ordre. Le port de dossards ou brassards estampillés “Presse” et la mise en évidence des cartes professionnelles n’ont pas suffi à empêcher les violences policières contre les professionnels de l’information, le 25 février dernier. Reporters sans frontières souhaite que cette enquête interne ne soit pas un effet d’annonce supplémentaire destiné à satisfaire l’opinion publique. Le 4 janvier 2012, à la suite de l’agression de Sana Farat (journal Le Temps) et Maha Ouelhezi (journal en ligne Web Manager Center) par des forces de police devant le ministère de l’Enseignement supérieur, les autorités s’étaient engagées à effectuer une enquête interne dont les conclusions n’ont, jusqu’à aujourd’hui, pas été rendues publiques. Reporters sans frontières appelle les autorités à mettre en place au plus vite des modules de formation destinés à sensibiliser les forces de l’ordre au respect des citoyens et des journalistes dans l’exercice de leur fonction. L’organisation encourage la mise en place de tables rondes et de rencontres mutuelles entre responsables de forces de sécurité et représentants des journalistes.
Publié le
Updated on 20.01.2016