Une nouvelle législation sur les médias annoncée pour 2011, après le vote de la loi controversée contre le racisme
Organisation :
Après le vote de la loi contre le racisme et la polémique qu’elle a provoquée dans les rangs de la presse, une loi sur les médias devrait voir le jour en 2011. Dans le contexte, souvent tendu, des débats sur les libertés publiques, Reporters sans frontières a choisi de donner la parole à Ronald Grebe López, président de l’Association nationale des journalistes (ANP) de Bolivie, et à Idón Chivi, directeur général de la Décolonisation du ministère des Cultures.
Le premier, critique envers le gouvernement d’Evo Morales, dénonce le manque de concertation qui a présidé à l’adoption de la loi contre le racisme, dont il approuve, par ailleurs, le principe. Le second, fonctionnaire du gouvernement, regrette la réaction corporatiste et disproportionnée, selon lui, de la profession autour de ce même texte. Reporters sans frontières se félicite de pouvoir, grâce aux deux interlocuteurs, rappeler les termes de la discussion. L’organisation espère rééditer cette confrontation équilibrée des points de vue dans la perspective de la loi sur les médias. Comme l’Argentine avec la loi SCA ou l’Équateur avec la loi de communication encore en suspens, la Bolivie se dotera bientôt d’un nouveau cadre de régulation de l’espace médiatique. D’avance, nous ne critiquons pas le principe d’une loi. La loi argentine a reçu notre soutien parce qu’elle offrait d’importantes perspectives en matière de pluralisme et de déconcentration des médias. Nous avons émis davantage de réserve sur la loi équatorienne qui, tout en s’inspirant de la précédente sur certains points, prétendait également promouvoir une “information vraie, opportune et contextualisée”. Si nous estimons que seule une loi peut définir et réguler formellement un cadre médiatique, nous pensons, au contraire qu’aucune loi ne peut décider du contenu et de la valeur d’une information sans compromettre la liberté d’expression. Nous espérons donc poursuivre le débat avec les acteurs concernés.
Ronald Grebe López : Il faut rappeler que cette année, nous, représentants de la profession, nous avons été écartés à plusieurs reprises des processus de discussion de certaines normes, pourtant directement liées à notre travail. Lorsque les discussions portaient sur la loi sur le régime électoral, personne ne nous a consultés. Pourtant, les campagnes de publicité électorales nous concernaient de près. Quant au projet de loi d’accès à l’information publique, une audience publique devait se tenir. Nous avions fait parvenir nos observations et remarques aux autorités compétentes. Ensuite, nous n’avons pas été convoqués et la discussion sur le projet de loi est restée au point mort. Lors du travail de consultation sur la loi 045, l’Association nationale de la presse et la Confédération des travailleurs de la presse de Bolivie ont effectivement été invitées au palais du gouvernement, mais cela a été fait à la dernière minute, alors que la plupart des dirigeants habitent en province et qu’il est difficile de se déplacer jusqu’à la capitale en peu de temps. Quelques jours plus tard, le président Evo Morales annonçait publiquement que cette loi serait approuvée sans modification, c’est-à-dire en incluant les articles polémiques 16 et 23. Il faut souligner que nous sommes favorables à la loi contre le racisme, mais sans ces deux articles. Elle pourrait même être une référence pour l’Amérique latine toute entière. Mais la loi a été élaborée à la va-vite. Même la proposition d’origine du député Jorge Medina, à qui revient l’initiative de la loi, a été modifiée et laissée de côté. C’est pour cette raison qu’une telle mobilisation des journalistes et des médias a eu lieu. -Pourquoi n’avez-vous pas participé au récent processus de réglementation de la loi 045 ?
Puisque le Sénat (qui a approuvé la version définitive – ndlr) n’avait pas tenu compte de nos propositions au départ, comment aurions-nous été écoutés au cours du processus de réglementation directement mené par le gouvernement ! C’est également pour cette raison qu’en nous appuyant sur l’article 11 de la Constitution, qui parle de l’initiative citoyenne, nous avons organisé une mobilisation sous le leitmotiv : “Un million de signatures pour la liberté d’expression”. Mais nous n’avons jamais parlé d’atteindre un million de signatures ou même 800 000. Aujourd’hui, nous en avons recueilli 400 000. -Quoi qu’il en soit, le terme du processus de réglementation est fixé au 8 janvier 2011.
Un régime de sanctions sera certainement établi pour les journalistes et les médias. Nous voulons lire ce règlement lorsqu’il sera approuvé. Nous devrons l’analyser. Alors, nous mettrons l’accent sur la campagne en faveur de la liberté d’expression et l’initiative législative citoyenne. Et si cela ne marche pas, nous nous adresserons aux organismes internationaux.
Idón Chivi : Suite à la promulgation de la loi 045 du 8 octobre 2010, nous avons réalisé neuf journées de consultation, une par département, pour la réglementer. Nous avons reçu 300 propositions, orales et écrites, et trois propositions intégrales présentées par le Défenseur du peuple, le Réseau des droits de l’homme, et le Réseau Erbol. En ce qui concerne les médias, l’équipe technique chargée de cette réglementation a focalisé son attention sur deux points : “la diffusion et l’autorisation de messages racistes”, et “la volonté ou l’intention manifeste de diffuser des idées racistes”. Cependant, en tant qu’équipe technique, nous sommes en mesure de discuter le niveau disciplinaire ou administratif. L’autre niveau, qui concerne l’article 23 (incorporation des dispositions du code pénal à la loi 045 – ndlr), relève directement de l’autorité judiciaire et non de nous. Un des thèmes que nous discutons, par exemple, est celui de la suspension - temporaire ou définitive -, des licences des radios et des chaînes. Dans tous les cas, nous nous sommes inspirés des législations espagnole, argentine et d’autres pays qui sanctionnent également la diffusion d’idées racistes. De plus, nous avons une recommandation du représentant du Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme en Bolivie, Denis Racicot, qui souligne que la liberté de presse ne peut être utilisée à des fins discriminatoires ou racistes. -Comment percevez-vous l’actuel conflit autour de la nouvelle loi ?
N’oublions pas que pour en arriver à cette loi et à sa réglementation, nous avons dû subir les événements du 11 novembre 2007 (confrontations entre étudiants et paysans à Cochabamba), du 24 mai 2008 (vexations et humiliations d’étudiants envers des paysans dans le centre de Sucre), et du 11 septembre 2008 dans la région de Pando (massacre d’une dizaine paysans). Ces événements douloureux ont démontré que certaines élites ont toujours des attitudes racistes. D’où la décision gouvernementale de discuter et d’approuver cette loi. Certains médias consacrent jusqu’à seize heures par jour à l’envoi de messages dénonçant la loi. De plus, la controverse s’est avérée très rentable pour les médias qui pratiquent le racisme, car le gouvernement a dû expliquer la loi et répondre à certaines insinuations, et ces médias-là en ont tiré une certaine publicité. Il a été intéressant, pour nous, de noter que la population n’est pas majoritairement inquiète pour la liberté d’expression ou les médias, car 78 % des propositions que nous avons reçues lors des journées départementales ont trait au racisme dans l’éducation, l’administration publique ou autres. Seulement 22% des propositions se réfèrent au journalisme. -Que pensez-vous des protestations des journalistes et des propriétaires de médias ?
Les journalistes sont divisés, car il très clair que certains d’entre eux, affiliés à l’ANP, ont participé aux discussions sur la réglementation de la loi et beaucoup ont présenté des propositions très concrètes. Dans le cas des médias, il y a davantage d’unité. Mais il est très clair que ce sont les entrepreneurs qui décident de la ligne éditoriale des médias privés, et les présentateurs, surtout en télévision, ne sont que des opérateurs politiques. -Que se passera-t-il une fois approuvée la réglementation de la loi 045 ?
Dans le cas des fautes administratives, les journalistes et les médias devront s’en tenir à ce qui sera établi dans le règlement. Concernant les délits, la responsabilité de les juger reviendra aux procureurs et aux juges. Il n’y a pas d’autre issue. La discussion et le débat qui se sont ouverts au sujet de la loi 045 nous ont montré que, plus que pour d’autres législations, il y a eu une réaction corporatiste des médias. Après le 8 janvier, nous commencerons à élaborer la loi sur les médias. Nous n’avons fait qu’un premier pas.
Le premier, critique envers le gouvernement d’Evo Morales, dénonce le manque de concertation qui a présidé à l’adoption de la loi contre le racisme, dont il approuve, par ailleurs, le principe. Le second, fonctionnaire du gouvernement, regrette la réaction corporatiste et disproportionnée, selon lui, de la profession autour de ce même texte. Reporters sans frontières se félicite de pouvoir, grâce aux deux interlocuteurs, rappeler les termes de la discussion. L’organisation espère rééditer cette confrontation équilibrée des points de vue dans la perspective de la loi sur les médias. Comme l’Argentine avec la loi SCA ou l’Équateur avec la loi de communication encore en suspens, la Bolivie se dotera bientôt d’un nouveau cadre de régulation de l’espace médiatique. D’avance, nous ne critiquons pas le principe d’une loi. La loi argentine a reçu notre soutien parce qu’elle offrait d’importantes perspectives en matière de pluralisme et de déconcentration des médias. Nous avons émis davantage de réserve sur la loi équatorienne qui, tout en s’inspirant de la précédente sur certains points, prétendait également promouvoir une “information vraie, opportune et contextualisée”. Si nous estimons que seule une loi peut définir et réguler formellement un cadre médiatique, nous pensons, au contraire qu’aucune loi ne peut décider du contenu et de la valeur d’une information sans compromettre la liberté d’expression. Nous espérons donc poursuivre le débat avec les acteurs concernés.
Entretien avec Ronald Grebe López
Reporters sans frontières : Quelle appréciation portez-vous sur le processus de proposition et d’approbation de la loi 045 contre le racisme et toute forme de discrimination ?Ronald Grebe López : Il faut rappeler que cette année, nous, représentants de la profession, nous avons été écartés à plusieurs reprises des processus de discussion de certaines normes, pourtant directement liées à notre travail. Lorsque les discussions portaient sur la loi sur le régime électoral, personne ne nous a consultés. Pourtant, les campagnes de publicité électorales nous concernaient de près. Quant au projet de loi d’accès à l’information publique, une audience publique devait se tenir. Nous avions fait parvenir nos observations et remarques aux autorités compétentes. Ensuite, nous n’avons pas été convoqués et la discussion sur le projet de loi est restée au point mort. Lors du travail de consultation sur la loi 045, l’Association nationale de la presse et la Confédération des travailleurs de la presse de Bolivie ont effectivement été invitées au palais du gouvernement, mais cela a été fait à la dernière minute, alors que la plupart des dirigeants habitent en province et qu’il est difficile de se déplacer jusqu’à la capitale en peu de temps. Quelques jours plus tard, le président Evo Morales annonçait publiquement que cette loi serait approuvée sans modification, c’est-à-dire en incluant les articles polémiques 16 et 23. Il faut souligner que nous sommes favorables à la loi contre le racisme, mais sans ces deux articles. Elle pourrait même être une référence pour l’Amérique latine toute entière. Mais la loi a été élaborée à la va-vite. Même la proposition d’origine du député Jorge Medina, à qui revient l’initiative de la loi, a été modifiée et laissée de côté. C’est pour cette raison qu’une telle mobilisation des journalistes et des médias a eu lieu. -Pourquoi n’avez-vous pas participé au récent processus de réglementation de la loi 045 ?
Puisque le Sénat (qui a approuvé la version définitive – ndlr) n’avait pas tenu compte de nos propositions au départ, comment aurions-nous été écoutés au cours du processus de réglementation directement mené par le gouvernement ! C’est également pour cette raison qu’en nous appuyant sur l’article 11 de la Constitution, qui parle de l’initiative citoyenne, nous avons organisé une mobilisation sous le leitmotiv : “Un million de signatures pour la liberté d’expression”. Mais nous n’avons jamais parlé d’atteindre un million de signatures ou même 800 000. Aujourd’hui, nous en avons recueilli 400 000. -Quoi qu’il en soit, le terme du processus de réglementation est fixé au 8 janvier 2011.
Un régime de sanctions sera certainement établi pour les journalistes et les médias. Nous voulons lire ce règlement lorsqu’il sera approuvé. Nous devrons l’analyser. Alors, nous mettrons l’accent sur la campagne en faveur de la liberté d’expression et l’initiative législative citoyenne. Et si cela ne marche pas, nous nous adresserons aux organismes internationaux.
Entretien avec Idón Chivi
Reporters sans frontières : Quel est le résultat du processus de proposition et d’approbation de la loi 045 contre le racisme et toute forme de discrimination ?Idón Chivi : Suite à la promulgation de la loi 045 du 8 octobre 2010, nous avons réalisé neuf journées de consultation, une par département, pour la réglementer. Nous avons reçu 300 propositions, orales et écrites, et trois propositions intégrales présentées par le Défenseur du peuple, le Réseau des droits de l’homme, et le Réseau Erbol. En ce qui concerne les médias, l’équipe technique chargée de cette réglementation a focalisé son attention sur deux points : “la diffusion et l’autorisation de messages racistes”, et “la volonté ou l’intention manifeste de diffuser des idées racistes”. Cependant, en tant qu’équipe technique, nous sommes en mesure de discuter le niveau disciplinaire ou administratif. L’autre niveau, qui concerne l’article 23 (incorporation des dispositions du code pénal à la loi 045 – ndlr), relève directement de l’autorité judiciaire et non de nous. Un des thèmes que nous discutons, par exemple, est celui de la suspension - temporaire ou définitive -, des licences des radios et des chaînes. Dans tous les cas, nous nous sommes inspirés des législations espagnole, argentine et d’autres pays qui sanctionnent également la diffusion d’idées racistes. De plus, nous avons une recommandation du représentant du Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme en Bolivie, Denis Racicot, qui souligne que la liberté de presse ne peut être utilisée à des fins discriminatoires ou racistes. -Comment percevez-vous l’actuel conflit autour de la nouvelle loi ?
N’oublions pas que pour en arriver à cette loi et à sa réglementation, nous avons dû subir les événements du 11 novembre 2007 (confrontations entre étudiants et paysans à Cochabamba), du 24 mai 2008 (vexations et humiliations d’étudiants envers des paysans dans le centre de Sucre), et du 11 septembre 2008 dans la région de Pando (massacre d’une dizaine paysans). Ces événements douloureux ont démontré que certaines élites ont toujours des attitudes racistes. D’où la décision gouvernementale de discuter et d’approuver cette loi. Certains médias consacrent jusqu’à seize heures par jour à l’envoi de messages dénonçant la loi. De plus, la controverse s’est avérée très rentable pour les médias qui pratiquent le racisme, car le gouvernement a dû expliquer la loi et répondre à certaines insinuations, et ces médias-là en ont tiré une certaine publicité. Il a été intéressant, pour nous, de noter que la population n’est pas majoritairement inquiète pour la liberté d’expression ou les médias, car 78 % des propositions que nous avons reçues lors des journées départementales ont trait au racisme dans l’éducation, l’administration publique ou autres. Seulement 22% des propositions se réfèrent au journalisme. -Que pensez-vous des protestations des journalistes et des propriétaires de médias ?
Les journalistes sont divisés, car il très clair que certains d’entre eux, affiliés à l’ANP, ont participé aux discussions sur la réglementation de la loi et beaucoup ont présenté des propositions très concrètes. Dans le cas des médias, il y a davantage d’unité. Mais il est très clair que ce sont les entrepreneurs qui décident de la ligne éditoriale des médias privés, et les présentateurs, surtout en télévision, ne sont que des opérateurs politiques. -Que se passera-t-il une fois approuvée la réglementation de la loi 045 ?
Dans le cas des fautes administratives, les journalistes et les médias devront s’en tenir à ce qui sera établi dans le règlement. Concernant les délits, la responsabilité de les juger reviendra aux procureurs et aux juges. Il n’y a pas d’autre issue. La discussion et le débat qui se sont ouverts au sujet de la loi 045 nous ont montré que, plus que pour d’autres législations, il y a eu une réaction corporatiste des médias. Après le 8 janvier, nous commencerons à élaborer la loi sur les médias. Nous n’avons fait qu’un premier pas.
Publié le
Updated on
20.01.2016