Un verdict insatisfaisant après dix ans d’attente


Le 14 septembre 2010, le parquet général de l’Ukraine a officiellement désigné Iouri Kravtchenko, un ancien ministre de l’Intérieur, comme l’unique commanditaire de l’assassinat de Géorgiy Gongadze. Le journaliste d’opposition engagé et critique de l’ancien président Leonid Koutchma avait été enlevé, puis retrouvé décapité quelques mois plus tard dans un bois aux abords de Kiev. L’enquête est, à présent, officiellement close. D’après Alexander Kharchenko, enquêteur en chef du bureau du procureur général, « le 13 ou le 14 septembre 2000, Iouri Kravtchenko a verbalement ordonné à Olexy Poukatch d’assassiner Gongadze, afin de mettre un terme à ses activités journalistiques. Olexy Poukatch, en raison de ses intérêts personnels et de carrière (…) a accepté d’exécuter cet ordre. » Reporters sans frontières s’étonne que Iouri Kravtchenko, qui s’est suicidé en 2005 dans des circonstances étranges, soit désigné comme le seul et unique instigateur du crime, d’autant que le communiqué du bureau du procureur général ne donne pas d’indications sur les motifs du ministre pour faire assassiner Géorgiy Gongadze. L’organisation partage la réaction et les interrogations des avocats de la famille et des journalistes, qui se sont exprimés sur les conclusions du parquet. De plus, le fait qu’après dix ans d’enquête, le parquet ne se base que sur les dires de l’ancien chef du service de renseignements du ministère de l’Intérieur, Olexy Poukatch, semble insuffisant. Ce dernier, qui a avoué avoir étranglé le journaliste avec sa ceinture puis l’avoir décapité avec une hache, risque la réclusion à perpétuité. Il devrait être jugé à la fin de cette année. Il ne fait aucun doute qu’Olexy Poukatch est l’auteur de l’assassinat de Géorgiy Gongadze, probablement ordonné par Iouri Kravtchenko. Mais connaît-on pour autant les véritables commanditaires de ce crime ? « Il est extrêmement commode d’imputer l’entière responsabilité de ce crime à Iouri Kravchenko, qui est mort, et de déclarer que l’affaire est résolue. (…) Qu’avait le ministre contre le journaliste ? Rien et je suppose qu’il a agi sur ordre », a écrit sur son blog Valery Kalnysh, rédacteur en chef adjoint de l’influent journal Kommersant Ukraina. La mère du défunt journaliste, Lessia Gongadze, a tenu des propos similaires : « Tout rejeter sur Kravtchenko est si facile. (…) Ce cauchemar dure depuis dix ans. Le bureau du procureur général falsifie tout. Tout ce qui intéresse les nouvelles autorités de ce pays, c’est de montrer à la communauté internationale qu’elles ont résolu cette affaire.» Le 15 septembre 2010, la famille et l’avocate du journaliste ont pu consulter 20 des 132 tomes rassemblant les documents relatifs à l’affaire, désormais officiellement close. Valentyna Telychenko, l’avocate de la famille Gongadze, a déclaré sur la BBC : « Jusqu’ici, j’ai plus de questions que de réponses. » Elle a ajouté qu’il était trop tôt pour tirer des conclusions mais qu’elle ne croyait pas à celles du parquet. « Je n’exclus pas qu’il soit nécessaire d’ouvrir une nouvelle enquête », a-t-elle conclu.
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Updated on 20.01.2016