Un journaliste tué au Daghestan
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Reporters sans frontières a appris avec tristesse l’assassinat de Iakhia Magomedov. Le jeune rédacteur en chef de la version en langue avare du bi-mensuel As-Salam a été abattu de plusieurs balles dimanche 8 mai 2011 à Kokrek, dans la région de Khassaviourt, au Daghestan.
“Nous exprimons toutes nos condoléances aux proches et aux collègues de Iakhia Magomedov, et nous appelons les autorités à ne pas laisser ce crime impuni. Les circonstances de sa mort doivent rapidement être éclaircies et ses assassins jugés. Dans le Caucase russe, les journalistes, pris en étau entre les pouvoirs et divers groupes armés, effectuent leur travail dans des conditions très difficiles. Les menaces et les pressions se multiplient, particulièrement au Daghestan où la violence règne dans un climat d’impunité totale. Les passages à l’acte sont malheureusement fréquents et il est très rare que les coupables soient poursuivis”, a déclaré Reporters sans frontières.
“Nous rappelons que les assassinats, en relation avec leur activité professionnelle, des journalistes Magomed Yevloev, Magomedsharif Soultanmagomedov et Abdulmalik Ahmedilov restent impunis à ce jour. Alors que l’enquête sérieuse menée sur l’assassinat de Stanislav Markelov et d’Anastassia Babourova a récemment suscité l’espoir quant à la fin de l’impunité en Russie, il appartient aux autorités locales et fédérales de prouver que le Caucase ne sera pas abandonné à son sort.”
Iakhia Magomedov a succombé peu après avoir été atteint par quatre balles, alors qu’il sortait de la maison de son frère vers 22h30. Une enquête a été ouverte pour “assassinat” et “utilisation illégale d’armes à feu”. La piste principale suivie par les forces de police est pour l’instant celle d’un “assassinat par erreur”: les tirs n’auraient pas visé le journaliste mais son frère, un policier, à qui la victime rendait visite. Plusieurs analystes soulignent cependant la ligne anti-wahhabite d’As-Salam, qui aurait pu provoquer la colère des combattants intégristes. Des journalistes prônant “un Islam pacifié” ont récemment fait l’objet d’agressions, et Iakhia Magomedov pourrait ainsi être une nouvelle victime de cet appel à la violence. Un autre observateur consulté par Reporters sans frontières a estimé que des officiels auraient également pu être offensés par les investigations du journal sur la corruption. “L’enquête ne doit négliger aucune piste. Il est bien trop tôt pour exclure que le mobile du crime ait pu être l’activité professionnelle de la victime”, a conclu l’organisation.
As-Salam, dédié à la religion musulmane, est publié à 90 000 exemplaires au Daghestan. Distribué par des volontaires, il paraît en russe et dans six langues caucasiennes. Le journal traite de questions de croyance et de pratique de l’islam. Il appartient à la Direction spirituelle des musulmans du Daghestan, association qui possède plusieurs autres médias dans l’objectif de promouvoir un Islam traditionnel modéré. Magomed Rasul, son président, a fait part à Reporters sans frontières de sa profonde tristesse : “Iakhia a été victime de l’extrémisme et du terrorisme que nous dénonçons. Nous perdons un collaborateur sociable, sérieux et talentueux. Qui que soit l’auteur de cet assassinat, Iakhia laisse derrière lui une jeune épouse et deux enfants en bas âge”. Le journaliste, qui exerce cette profession depuis plusieurs années, préparait un livre compilant plusieurs de ses articles. Des manifestations sont prévues pour protester contre ce nouvel assassinat et exiger la fin de l’impunité au Daghestan.
La mort de Iakhia Magomedov intervient une semaine après l’agression d’un autre journaliste, Magomed Khanmagomedov, à Derbent, au sud du Daghestan. Correspondant de l’hebdomadaire indépendant Tchernovik, il s’était rendu sur le chantier de démolition d’un bâtiment classé par l’UNESCO. L’enquête n’a toujours pas été ouverte, alors que le journaliste a reconnu ses agresseurs. Le journaliste et juriste de Tchernovik Biyakai Magomedov a fait part de son inquiétude à Reporters sans frontières: "Les assassinats et les agressions se multiplient au Daghestan, et pas un n’a été résolu. L’impunité est totale. Si cela continue, l’activité des journalistes cessera d’elle-même."
Le Caucase russe est en proie aux violences depuis le début des années 90 et la guerre en Tchéchénie. Une guerre larvée, opposant forces de l’ordre, milices privées et combattants wahhabites, s’est ensuite répandue en Ingouchie et au Daghestan. Si l’Ingouchie a observé un relatif retour au calme dernièrement, le climat s’est nettement détérioré au Daghestan. Derrière le paravent de la “normalisation” invoquée par les autorités fédérales, les civils sont les premières victimes de ce conflit qui ne dit pas son nom.
(Carte et photo: Le Monde diplomatique, RIA Novosti)
Publié le
Updated on
20.01.2016