Turquie: un quotidien kurde fermé manu militari, une vingtaine de journalistes arrêtés

Reporters sans frontières (RSF) dénonce la fermeture du quotidien kurde Özgür Gündem et l’interpellation d’une vingtaine de journalistes, ce 16 août 2016 à Istanbul.

Un tribunal d’Istanbul a ordonné la suspension indéfinie d’Özgür Gündem, le 16 août 2016, accusant le quotidien de se faire le “porte-parole” du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit) et de se livrer ainsi à la “propagande d’une organisation terroriste”. La police a investi le siège du quotidien à Istanbul, saisi des ordinateurs et interpellé au moins dix-sept membres de la rédaction. Deux reporters de l’agence DİHA et deux collègues de la chaîne İMC TV, qui se trouvaient dans les locaux, ont également été arrêtés*.


“Doit-on s’habituer à voir des rédactions prises d’assaut par la police en Turquie? s’interroge Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. La suspension d’un média est la forme de censure la plus extrême, qui démontre une volonté de bâillonner, et non de contester une ligne éditoriale. Avec cette mesure inacceptable, un nouveau coup est porté au pluralisme et un puissant signal d’intimidation est envoyé à tous les journalistes de Turquie. RSF exige la levée immédiate des mesures prises contre Özgür Gündem.”


Lancé en 1992 au plus fort des affrontements entre l’armée turque et la rébellion kurde du PKK, Özgür Gündem a une longue histoire de persécutions: interdit entre 1994 et 2011, le journal a été contraint de changer régulièrement de nom. De nombreux correspondants du titre ont été assassinés entre 1992 et 1995, et sa rédaction a été plastiquée en 1994. Moins sanglantes, les années suivantes ont néanmoins vu se succéder perquisitions, arrestations et saisies. Trois défenseurs des droits humains, dont le représentant de RSF Erol Önderoğlu, ont passé une dizaine de jours en prison en juin 2016 et sont toujours en procès pour avoir pris part à une campagne de solidarité avec Özgür Gündem.


Le site internet d’Özgür Gündem est bloqué en Turquie depuis la reprise des affrontements entre l’armée turque et le PKK, en juillet 2015. La justice a également demandé le blocage de son compte Twitter, fin juillet. En octobre 2015, RSF a publié un rapport sur les rapports entre question kurde et liberté de la presse en Turquie.


La Turquie occupe la 151e place sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse, publié par RSF. Déjà grave, la situation des médias s’est encore alourdie dans le cadre de la chasse aux sorcières enclenchée par le coup d’Etat avorté du 15 juillet: 102 médias critiques ont été liquidés par décret, un état d’urgence drastique a été instauré et pas moins de 44 journalistes ont été placés en détention provisoire, rendant à la Turquie la palme de la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias.


*Les journalistes interpellés sont : Günay Aksoy, Kemal Bozkurt, Reyhan Hacıoğlu, Önder Elaldı, Ender Öndeş, Sinan Balık, Davut Uçar, Fırat Yeşilçınar, İnan Kızılkaya, Zeki Erden, Elif Aydoğmuş, Bilir Kaya, Ersin Çaksu, Sevdiye Ergürbüz, Amine Demirkıran, Bayram Balcı, Burcu Özkaya (Özgür Gündem), Özgür Paksoy, Mesut Kaynar (DİHA), Gülfem Karataş et Gökhan Çetin (İMC TV).

Publié le
Mise à jour le 17.08.2016