Turquie : un journaliste jeté en prison pour avoir critiqué le manque de transparence du gouvernement sur la question kurde

Après avoir été ciblé par une campagne de dénigrement orchestré par des cercles proches du pouvoir, le journaliste Merdan Yanardag a été emprisonné pour avoir remis en cause la gestion gouvernementale de la question kurde. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une manœuvre politique pour réduire au silence un journaliste et une nouvelle instrumentalisation de la législation antiterroriste.


Mise à jour du 04/10/2023 :

Le journaliste Merdan Yanardag a été condamné, ce 4 octobre 2023, à 2 ans et 6 mois de prison pour “propagande de l’organisation terroriste du PKK”, en raison de sa critique de la gestion du pouvoir de la question kurde, et plus particulièrement de son manque de transparence. Cependant, il a été libéré provisoirement, après 100 jours de détention arbitraire. Si le verdict est confirmé en appel, il risque de retourner en prison pour compléter cette peine.  


Le directeur de l’information de la chaîne critique Tele1, Merdan Yanardag, a été incarcéré par un juge d’Istanbul pour “propagande du Parti des travailleurs du Kurdistan” (ou PKK, organisation interdite par Ankara et l’Union européenne), après avoir été interpellé au siège de sa chaîne, dans le quartier de Levent, au nord d’Istanbul, le 26 juin. Cela pour avoir critiqué la gestion du pouvoir de la question kurde, et plus particulièrement son manque de transparence.  

Le 21 juin dernier, répondant à un député de l’AKP au pouvoir Galip Ensarioglu Merdan Yanardag a notamment reproché au pouvoir une certaine opacité dans sa gestion de    la question kurde. Le journaliste s’interrogeait sur le choix du gouvernement d’avoir ouvert des discussions avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan, en prison depuis 24 ans,, sans en faire état publiquement, et tout en maintenant des conditions de détention sévères, notamment en le laissant à l’isolement sur l’île-prison d'Imrali (dans la mer de Marmara, au nord-ouest du pays).

Selon la chaîne Tele1,  les cercles nationalistes du Bon Parti (Iyi Parti) et certains de ses députés et dirigeants d’Istanbul ont créé  la polémique en diffusant des tweets et un montage vidéo avec les propos tronqués de Merdan Yanardag, donnant à  penser que le journaliste demandait la  la libération d’Abdullah Öcalan, alors qu’il ne faisait que considérer que ce maintien en prison lui paraissait être en contradiction avec la prise de contact des autorités.

Le 25 juin, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (RTÜK) Ebubekir Sahin, a tout d’abord annoncé le déclenchement d’une enquête visant Tele1 pour ces propos. Placée sous la surveillance de cette agence de régulation dominée par l’alliance présidentielle (l’AKP et le MHP), la chaîne risque désormais une forte amende administrative. Le parquet d’Istanbul n’a pas non plus tardé à annoncer l’ouverture d’une enquête judiciaire pour “propagande du PKK” contre le journaliste. Merdan Yanardag a été interpellé par la police antiterroriste dans les studios de de la chaîne, alors qu’il venait de réaliser une émission pour expliquer que ses propos avaient été détournés à des fins politiques.

“Depuis que le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a été reconduit, en mai dernier, nous observons une surveillance judiciaire accrue des journalistes, qui continuent, comme Merdan Yanardag, d’adopter un ton libre. La distorsion volontaire de ses propos par le pouvoir et les milieux nationalistes ont conduit à son incarcération. Nous demandons sa libération immédiate ainsi que la fin d’une inacceptable instrumentalisation de la législation antiterroriste à des fins politiques.

Erol Onderoglu
Représentant de RSF en Turquie

Le conflit entre le PKK et les forces armées turques a fait plus de 40 000 morts depuis 1984. Depuis la fin des négociations de paix et la reprise des opérations militaires dans le sud-est anatolien, au printemps 2015, la question kurde est devenue taboue en Turquie. Depuis juin 2022, quelque 32 représentants des médias pro-kurdes ont été emprisonnés dans le pays. Depuis le 16 mai, onze d’entre eux ont été remis en liberté, certains après plus d’un an de détention préventive. 

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