Turquie : RSF dénonce de nouvelles entraves à la couverture de la gestion post-séisme

À deux mois des élections présidentielles et législatives, la décision judiciaire de retrait d’articles en ligne au nom de la “protection de la réputation” d’une entreprise s’ajoutent à l’arsenal des mesures pour étouffer les critiques sur la gestion des suites du séisme du 6 février. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à cesser toutes les entraves à la liberté de la presse et à respecter le travail d’investigation des journalistes.

En deux jours, des juges de Mersin (ville du sud de la Turquie) et d’Istanbul (au nord-ouest du pays) ont ordonné le retrait de deux contenus journalistiques : une enquête du quotidien BirGün (“Un Jour”),  sur la vente de surplus de vêtements initialement donnés aux victimes du séisme, ainsi qu'une dépêche de l'agence de presse indépendante ANKA, sur le projet de reconstruction de la zone sinistrée attribuée à des sociétés proches du pouvoir.

Une censure judiciaire qui fait suite à des sanctions infligées le 22 février par le Conseil supérieur de l’audiovisuel turc (RTÜK) à trois chaînes de télévision nationales qui avaient critiqué la gestion de crise gouvernementale, ainsi qu’à une série d’entraves à la couverture journalistique de la situation sur le terrain après le séisme du 6 février.

“Après les forces de l’ordre, l’administration et le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ce sont les juges qui s’attaquent à la liberté de la presse en Turquie. Alors que le pays a plus que jamais besoin de transparence, ces retraits d’articles illustrent une nouvelle fois une volonté d'empêcher toute diffusion d’informations mettant en cause la gestion gouvernementale post-séisme. Elles font craindre une escalade de ce type de censure sur internet à l’approche des élections prévues le 14 mai. RSF appelle les autorités à mettre un terme à ces entraves, et la justice à respecter le travail d’investigation des journalistes.

Erol Onderoglu
Représentant de RSF en Turquie

C’est au nom de la "protection de la réputation" d’une société qu’un juge de Mersin ordonne le 6 mars le retrait de l’article de Bahadir Ozgur, intitulé Les surplus de vêtements destinés aux victimes du séisme vendus à une société Yeménite” (“Depremzedeye giden fazla giysi Yemenli şirkete satılmış”). Le journaliste d’investigation a pourtant produit un contenu sourcé et vérifié. Mais faisant fi du droit à l’information, la justice a ordonné au site d’information ainsi qu’aux 15 autres médias ayant fait référence à l’article incriminé son retrait. 

Le 8 mars, c’est au tour de l’agence ANKA de faire l’objet d’une censure pour le même motif : un juge d'Istanbul décide d'interdire, 9 jours après sa diffusion, une dépêche de l’agence, expliquant que le gouvernement a engagé neuf sociétés proches du pouvoir, pour la construction de quelque 85 250 logements dans une zone sinistrée où pas moins de 50 000 personnes ont perdu la vie. Celle-ci critiquait aussi l’imprudence du pouvoir à se lancer, à peine trois semaines après le séisme, dans cette reconstruction, dans les provinces de Kahramanmaras, Malatya, Osmaniye, Hatay et Adana et ce, sans analyse du territoire, comme le préconisent experts et formations professionnelles. Les avocats de l’ANKA ont fait appel de la décision et réclament le retrait de cette “mesure arbitraire” 

550 contenus journalistiques censurés en 2022 

Dans ces deux cas, les juges fondent leur décision sur la loi 5651 sur l’Internet adoptée en 2007. Son article 9 introduit en 2014 la notion de “préservation de la réputation” des personnes réelles ou morales. Cette législation et cet article en particulier n’ont cessé d’être instrumentalisés par certains juges et constituent un arsenal redoutable pour limiter le débat démocratique sur des sujets tels que la corruption politique, le clientélisme, etc. 

D’après le partenaire de RSF en Turquie, Bianet.org, pas moins de 550 articles et contenus journalistiques ont été censurés en 2022, dont une écrasante majorité nu nom de cette“protection de la réputation”. Dans son bilan 2022, il fait état d’une augmentation de mesures visant en particulier des journalistes d’investigation tels que Barış Pehlivan, Murat Ağırel, Barış Terkoğlu, Can Dündar, Bülent Mumay ou Erk Acarer. 

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