Turquie : près de 70 journalistes en procès en huit jours !
Près de 70 journalistes sont appelés à comparaître cette semaine en Turquie. Les deux tiers d’entre eux sont en détention provisoire. Reporters sans frontières (RSF), qui assiste aux audiences, dénonce des accusations sans fondement et appelle à la libération immédiate des journalistes emprisonnés.
“Ces quatre procès illustrent l’ampleur de la criminalisation du journalisme en Turquie : on y retrouve les mêmes accusations gravissimes, le même abus de la détention provisoire, le même mépris pour le droit à un procès équitable, observe Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. La justice n’est qu’un vernis dissimulant la liquidation des voix critiques. Nous demandons à nouveau la libération immédiate des journalistes emprisonnés et l’abandon des poursuites politiques.”
Le marathon a commencé le 4 décembre avec la reprise du procès de 29 journalistes accusés de former le “bras médiatique” du mouvement Gülen, désigné par les autorités comme responsable de la tentative de putsch de juillet 2016. Si Murat Aksoy et Atilla Taş comparaissaient libres pour la première fois, 20 de leurs collègues, à l’image d’Abdullah Kılıç, Habip Güler et Yakup Çetin, sont encore derrière les barreaux. L’audience s’est conclue par la décision de prolonger leur détention provisoire jusqu’à la reprise du procès, le 6 février. Ils risquent entre dix ans de prison et la perpétuité incompressible.
Le procès de six journalistes, mis en cause pour avoir couvert des révélations sur le ministre de l’Énergie et gendre du président Erdoğan, a repris le 6 décembre. Après près d’un an de détention provisoire, le journaliste d’investigation Tunca Öğreten et l’employé du quotidien BirGün Mahir Kanaat ont enfin été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Les six prévenus comparaîtront donc libres à la prochaine audience, le 3 avril. Accusés d’avoir collaboré avec un groupe de hackers et divulgué des secrets d’État pour “créer une perception négative des autorités” au profit de diverses organisations terroristes, ils risquent toujours jusqu’à 15 ans de prison.
Le procès de 30 anciens journalistes et collaborateurs du quotidien Zaman reprendra le 8 décembre. 21 d’entre eux, dont Şahin Alpay, Ahmet Turan Alkan et Ali Bulaç, sont en détention provisoire. Les accusations portées contre eux reposent essentiellement sur leur collaboration avec Zaman, réputé favorable à la confrérie Gülen et liquidé par décret en juillet 2016. Ces journalistes risquent chacun trois peines de prison à vie.
Les célèbres journalistes Ahmet Altan, Mehmet Altan et Nazlı Ilıcak, dont le procès reprendra le 11 décembre, font face à des accusations similaires et sont eux aussi en détention provisoire. Leurs propos critiques du gouvernement sont accusés d’avoir “préparé le terrain” à la tentative de putsch, qu’Ahmet Altan aurait par ailleurs soutenu à travers des “messages subliminaux”. La dernière audience a été marquée par l’expulsion du tribunal des quatre avocats des frères Altan. Le procureur devrait cette fois-ci rendre son réquisitoire.
Déjà très préoccupante, la situation des médias en Turquie est devenue critique sousl’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes emprisonnés. La Turquie est classée 155e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF.