Turquie

Atatürk, l'armée, la question des minorités (kurde, arménienne, etc.) et la dignité de la nation : autant de sujets tabous en Turquie. Plusieurs milliers de sites sont bloqués, dont le célèbre YouTube, suscitant des protestations. Les blogueurs et internautes qui s'expriment librement sur ces sujets s'exposent à des représailles. Des milliers de sites bloqués Environ 3 700 sites seraient actuellement bloqués en Turquie, certains pour des « raisons arbitraires et politiques » selon l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (lien). Parmi eux, de nombreux sites étrangers, des sites d’informations traitant de la minorité kurde, des sites communautaires gay. Le cas de censure en ligne le plus médiatisé est sans conteste le blocage de YouTube, à nouveau inaccessible depuis mai 2008, en raison de vidéos jugées offensantes à l'égard du fondateur de la République et de la nation turque. YouTube avait pourtant retiré une partie de ces vidéos. Entre mars 2007 et juin 2008, des tribunaux avaient rendu dix-sept ordonnances de blocage à l’encontre du site. Une plainte a été déposée à ce sujet devant la Cour européenne des droits de l'homme par l'INETD, l’Association des technologies Internet basée à Ankara, pour violation de la liberté d’expression. Myspace.com a également été bloqué en septembre 2009 pour “violation de la propriété intellectuelle” puis débloqué le mois suivant. Une censure permise par le législateur ? La loi 5651 sur Internet permet ce blocage de masse. L'OSCE a donc appelé la Turquie à mettre en place des réformes pour démontrer son engagement en faveur de la liberté d'expression. L'article 8 de cette loi autorise le blocage de l’accès à certains sites s’il existe seulement des “soupçons suffisants” de l'existence d'un des huit délits suivants : incitation au suicide, exploitation sexuelle et abus d’enfants, facilitation de l’usage de drogues, fourniture de substances dangereuses pour la santé, obscénité, paris en ligne, crimes commis contre Atatürk. C’est cette dernière disposition qui pose problème. Les sites hébergés en Turquie sont fermés, ceux hébergés à l'étranger sont filtrés et bloqués par les fournisseurs d'accès. La délation est encouragée : il existe une hotline pour dénoncer les contenus interdits et les activités illégales en ligne. Plus de 80 000 appels ont été enregistrés en mai 2009. Contre 25 000 en octobre 2008. Les sites sont bloqués à la suite de décisions judiciaires ou par ordre administratif de la Haute Instance des Télécommunications. La décision administrative a un caractère arbitraire, et empêche un procès équitable. Cette entité, crée en 2005 et destinée à centraliser la surveillance et l’interception des communications, dont Internet, n'a pas publié depuis mai 2009 la liste des sites bloqués, dans un manque de transparence inquiétant. Selon l'OSCE, plus de 80 % des blocages observés en mai 2009 sont le résultat de décisions administratives. La majorité était liée à “l’obscénité” et “l'exploitation sexuelle des enfants”. Cependant, en plus de ces blocages de sites, 158 contenus “illégaux” liés à Atatürk auraient été enlevés à la demande de la Haute Instance des Télécommunications. Des individus qui estiment que leurs droits ont été violés peuvent en effet demander au site ou à son hébergeur de retirer le contenu incriminé, en vertu de l'article 9 de ce texte. Surtout, près de 200 décisions de justice répertoriées en 2009 et ordonnant le blocage de sites se situent hors du champ d’application de la loi 5651. Les blocages en question sont donc injustifiés. Par exemple, le site indépendant d’informations istanbul.indymedia.org a été suspendu pour “insulte à l’identité turque”, un crime qui tombe sous le coup du code pénal et non de la loi 5651. Autres chefs d'inculpation utilisés : “diffusion de propagande terroriste” (en vertu de la loi anti-terroriste) ; et appels à la haine (en vertu de l'article 216 du Code pénal turc). Des sites ont également été rendus inaccessibles à la suite de plaintes en diffamation. Par ailleurs, la loi n’oblige pas les autorités à informer les accusés des décisions rendues et les sites découvrent souvent par eux-mêmes qu’ils sont bloqués. Plutôt que de contester légalement les décisions de blocages, ce qui reste rare, certains sites changent de noms de domaine pour contourner la censure. Par exemple, le site du quotidien Gündem est bloqué depuis mars 2008 mais son nouveau site www.gundem-online.net est accessible. Surtout, la censure est facilement contournée via des serveurs proxy ou des VPN. Et les sites bloqués sont souvent accessibles sur les Blackberry et les iPhone. Des net-citoyens “inquiétés” pour leurs prises de position Trois journalistes en ligne de la province d’Adiyaman (sud-est du pays) ont été condamnés par contumace, le 2 mars 2010, à des peines de prison. Le journaliste Haci Bogatekin, rédacteur en chef du site gergerfirat.net, a été condamné à cinq ans de prison, et à la privation de ses droits civiques, pour diffamation envers Sadullah Ovacikli, un procureur local. Son fils, Özgür Bogatekin, propriétaire du journal en ligne gergerfirat.net, a été condamné à un an et deux mois d'emprisonnement sous prétexte d'être intervenu lorsque deux policiers agressaient une personne dans la rue. Cumali Badur, responsable du même site gergerim.com a écopé de 1.500 euros d'amende. Une chronique publiée sur ce site en janvier 2008 avait évoqué la sympathie du procureur Ovacikli envers Fethullah Gülen, leader de la communauté religieuse. Les trois journalistes ont fait appel et ne sont pas actuellement emprisonnés. Baris Yarkadas, journaliste en ligne du journal Gercek Gündem (Agenda Réel) risque 5 ans et 4 mois de prison en vertu de l’article 299 alinéa 2 du Code pénal. Son procès qui a débuté le 3 mars 2010 se poursuivra le 9 juin prochain. Il est accusé par l’administration présidentielle d’"insulte au président de la République", pour n’avoir pas retiré du site du journal un article posté par un internaute. Le journaliste est sous le coup de multiples procédures judiciaires. Le 21 juin 2010, il doit également comparaître devant la même cour, accusé cette fois-ci d’"offense à la personne" par Nur Birgen, présidente de la section d’expertise de la médecine légale. Il avait évoqué dans un article les violations des droits de l’homme qu’elle aurait commises, des accusations relayées par plusieurs ONG. Deux responsables d'un site pro-kurde risquent 10 ans de prison. Le propriétaire et le directeur du site gunesincocuklari.com (Günesin Cocuklari, les Enfants du Soleil), Ali Baris Kurt et Mehmet Nuri Kökçüoglu, sont accusés d’avoir "sapé la confiance du peuple dans les forces armées", "incité à la haine et à l'hostilité raciale" et "fait l'éloge d'un crime" pour avoir publié en 2006 un texte intitulé "Le Service militaire, c'est assassiner". Après 10 mois de détention préventive, Aylin Duruoglu, la directrice du site Vatan (gazetevatan.com) et Mehmet Yesiltepe, employé de la revue Devrimci Hareket ("Mouvement révolutionnaire") ont bénéficié d'une libération conditionnelle. Ils restent accusés d’être membres de la cellule armée "Quartier Général Révolutionnaire" ("Devrimci Karargah"). Une accusation fermement démentie par Aylin Duruoglu. Autre forme de harcèlement en ligne : le site Internet d’Agos, l’hebdomadaire créé par Hrant Dink, le journaliste turc d'origine arménienne abattu en 2007, a été piraté, en février 2010, par des admirateurs des assassins, alors même que contretemps et dysfonctionnements s’accumulent dans le procès des responsables présumés de ce crime. La question de la censure d'Internet connaît un véritable écho au sein même de la société turque. La blogosphère a dénoncé le blocage de YouTube et la campagne de mobilisation a été suivie par les médias traditionnels, à la suite d'un article sur le sujet dans le Wall Street Journal. Des éditoriaux virulents sont parus dans les journaux turcs. L'un d'eux, publié dans le quotidien Milliyet du 17 février 2010 titrait : “Retirons (à la Turquie) le statut de capitale européenne de la culture”. Un statut accordé en 2010 par l'Union européenne afin de mettre en avant le développement culturel de la Turquie.
Publié le
Updated on 20.01.2016