Reporters sans frontières et la Burma Media Association dénoncent le climat de peur imposé par la junte militaire depuis trois mois. Malgré les condamnations internationales, la police et l'armée continuent de traquer ceux qui ont pris les images de la répression des manifestations pacifiques. Une dizaine de journalistes ont fui le pays de peur d'être arrêtés.
Reporters sans frontières et la Burma Media Association dénoncent les mesures répressives exercées en permanence contre des journalistes birmans depuis le 27 septembre date à laquelle le reporter japonais Kenji Nagai a été assassiné par un militaire à Rangoon. La police et l'armée traquent les journalistes et activistes qui ont pris des images de la répression des manifestations. Une dizaine d'entre eux ont été contraints de fuir en Thaïlande. Les médias privés ont repris leur diffusion, mais le Bureau de la censure a renforcé son contrôle.
"L'impression de retour à la normale est fausse. En réalité, les services de sécurité sont toujours à la recherche des journalistes clandestins qui ont fait connaître au monde les violences commises contre les moines et les militants démocrates. Nous demandons la fin des intimidations à l'encontre de la presse et la libération des six journalistes actuellement emprisonnés. Pour cela, il est important que la communauté internationale se donne les moyens de faire appliquer les recommandations du rapporteur spécial des Nations unies, Sergio Pinheiro", ont affirmé les deux organisations.
Le 14 décembre 2007, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a adopté une résolution sur la Birmanie qui demande notamment au gouvernement de garantir la liberté aux médias indépendants. Un représentant de Reporters sans frontières était intervenu devant le Conseil pour demander la libération des journalistes birmans et la fin de la censure.
Six journalistes, dont le célèbre U Win Tin, arrêté en juillet 1989, sont emprisonnés en Birmanie. Récemment, Ko Aung Gyi, ancien responsable de la rédaction du magazine sportif 90 minutes, a été arrêté à Rangoon. Les raisons de sa détention ne sont pas connues. Deux autres anciens journalistes, Ko Win Maw et Ko Aung Aung, sont également emprisonnés pas les autorités, sans qu'aucune accusation n'ait été formulée. Depuis le mois de septembre, au moins quinze autres ont été arrêtés, puis relâchés.
Selon plusieurs témoignages recueillis auprès de personnes arrêtées puis relâchés, les policiers interrogent tout le monde sur le nom des "cameraman", sous entendu les journalistes qui travaillent clandestinement pour les médias étrangers ou la chaîne Democratic Voice of Burma. De peur d'être identifiés, de nombreux photographes et cameraman de médias en exil ont cessé toute activité et ont même jeté leur matériel professionnel.
Et les hommes de main de la milice progouvernementale Union Solidarity and Development Association (USDA) continuent de montrer de l'hostilité à l'encontre des journalistes. Le 21 octobre, Aung Khine Nyunt, reporter de The Myanmar Nation, a été battu par des membres présumés de l'USDA alors qu'il prenait des clichés dans un marché. Pendant les manifestations, près d'une dizaine de journalistes avaient été ainsi malmenés.
La répression a forcé au moins neuf journalistes birmans à fuir le pays pour se réfugier en Thaïlande. La plupart d'entre eux ont quitté la capitale pendant la première vague d'arrestations de fin septembre.
Le Bureau de la censure n'a pas hésité à sévir. Mi-novembre, l'hebdomadaire News Watch a été interdit pendant une semaine après avoir proposé à la publication des photos qui ont déplu aux militaires. La censure militaire a contraint certains responsables de rédaction à démissionner. Début décembre, les autorités ont sanctionné le magazine Action pour ne pas avoir retiré des articles censurés par la junte. Un responsable de la censure a ouvertement reproché à Action de ne pas être "constructif". Des pressions ont également touché le journal Middle Line. Selon le magazine Irrawaddy, le titre a été suspendu après que le directeur, Oo Swe, s'était plaint des faveurs accordées par le régime à certains médias.
Pour empêcher les Birmans d'obtenir des informations et des images de la répression de septembre, la junte a très strictement réglementé, à partir de mi-octobre, la vente de publications étrangères dans le pays. Les magazines Time, Newsweek et des journaux thaïs ont disparu des kiosques pendant quelques semaines. Internet a été rétabli, mais la surveillance a été renforcée dans les cybercafés. Et, de peur des représailles, de nombreux propriétaires d'établissements ont supprimé des ordinateurs les programmes qui permettent de contourner les filtres officiels.
Une dizaine de journalistes suspectés de sympathie avec les mouvements de protestation ont été interdits de publier ou d'être interviewés dans la presse. Il s'agit notamment du journaliste sportif Zaw Thet Htwe, du dessinateur Au Pi Kyee ou l'écrivain Pe Myint.
La censure ne touche pas seulement les sujets politiques. La junte a, par exemple, interdit de couvrir la reprise de l'épidémie de grippe aviaire le 20 octobre, pourtant rendue publique par le service administratif qui a géré cette nouvelle crise.
Plus généralement, la répression touche les personnes qui critiquent le gouvernement. Ainsi, les autorités ont interdit la distribution d'un enregistrement vidéo d'un spectacle de la troupe de comiques "Say Young Sone". Selon la télévision DVB qui a décidé de le diffuser, le VCD se vend très bien dans les rues de Rangoon. Par ailleurs, un responsable du monastère Zantila Rama a été condamné en décembre à deux ans de prison pour s'être plaint du comportement de certains militaires qui ont volé de l'argent lors d'une perquisition. Selon la radio Democratic Voice of Burma, il a été reconnu coupable de "diffamation". En novembre, un rappeur birman a été interpellé par la police pour avoir rendu hommage aux moines pendant un concert. Et le magazine Irrawaddy a affirmé début novembre que Tin Yu, un habitant d'une banlieue de Rangoon, avait été arrêté pour avoir "parlé avec des médias étrangers".
Les médias gouvernementaux continuent à déverser leur propagande, mettant en première page toutes les actions des chefs de la junte. Les chaînes de télévision gouvernementales ont dénigré à plusieurs reprises le travail des médias étrangers, notamment la BBC, RFA et VOA, accusés de vouloir "déstabiliser le pays." Les médias officiels ont reçu l'ordre de vanter le retour à la normalité et les avancées économiques du pays. Et la milice USDA a annoncé fin novembre le lancement d'un nouveau quotidien pour renforcer le soutien de la population au régime.
Traumatisés par la répression qui les a frappé de plein fouet, certains moines font de la résistance passive. Ainsi, le site Irrawaddy a révélé que des moines de Mandalay avaient refusé, mi-décembre, qu'une équipe de tournage birmane filme la visite d'un ministre dans leur temple. Le réalisateur Zin Yaw Maung Maung, connu pour être un propagandiste du régime, a été interdit d'entrée dans le monastère.
Enfin, plusieurs journalistes de Rangoon ont déploré l'attitude de Myat Khaine, directeur de l'hebdomadaire Snap Shot, qui a volontairement remis certaines photos de manifestants au ministère de l'Information.