A l'issue de deux années à la tête des instances de la Francophonie, le président congolais Joseph Kabila passera le relais à son homologue sénégalais lors du XVe sommet de la Francophonie à Dakar les 29 et 30 novembre. L'occasion pour Reporters sans frontières de dresser le bilan de la liberté de la presse en République démocratique du Congo.
Joseph Kabila
Président de la République
Palais de la Nation
Kinshasa
République démocratique du Congo
Paris, le 28 novembre 2014
Monsieur le Président,
Au moment où vous remettez le flambeau de la présidence du sommet de la Francophonie à votre homologue sénégalais, Reporters sans frontières regrette que vous n'ayez pas respecté les engagements pris sous votre égide en 2012 dans la déclaration de Kinshasa "d'assurer les conditions d'exercice de la liberté (de la presse) et une protection effective des journalistes".
Les deux années écoulées dressent un sombre bilan pour la liberté de la presse en République démocratique du Congo. A l'heure où nous vous écrivons, le journaliste Mike Mukebayi croupit dans les geôles de la prison de Makala à Kinshasa depuis plus de trois mois sans même que le dossier comporte une plainte légalement recevable.
En l'espace d'une semaine en novembre 2014, le ministre des Médias, Lambert Mendé, a fait suspendre cinq radios et une station de télévision, sans qu'aucune procédure judiciaire ou réglementaire n'ait été mise en œuvre contre ces médias. Ceci s'ajoute à la suspension de masse de 61 médias accusés - de façon indiscriminée et inexacte pour certains - de ne pas disposer d'autorisation d'exercer. Ces décisions, hors de toute procédure légale, envoient un message inquiétant aux journalistes.
Entre 2013 et 2014, 82 journalistes ont été arrêtés ou interpellés par les forces de l'ordre alors qu'ils exerçaient leur métier. Soixante de leurs confrères ont été battus ou menacés, parfois directement par les forces de l'ordre, sans qu'aucune enquête ne soit ouverte pour retrouver leurs agresseurs. Dans son dernier rapport publié à l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, Journaliste en Danger (JED), organisation partenaire de RSF dans votre pays, indique que près de 50% des atteintes à la liberté de la presse sont le fait des personnes identifiables dans l’armée, la police et les services de sécurité qui jouissent d’une totale impunité.
Aujourd'hui encore, les simulacres de procès censés apporter justice aux familles des journalistes assassinés Serge Maheshe et Didace Namujimbo n'ont pas permis d'identifier les commanditaires de ces assassinats et ne peuvent décemment pas être considérés dignes d'un Etat démocratique. La liste des assassinats de journalistes pour lesquels la lumière n’a jamais été faite est encore longue : Bapuwa Mwamba, tué par balles en 2006 à Kinshasa, Mutombo Kayilu, poignardé près de Lubumbashi en 2006, Patrick Kikuku, tué à Goma en 2007, Patient Chebeya Bankome, abattu à Béni en 2010, Kambale Musonia, assassiné à Kirumba, dans le Nord-Kivu, en 2011, Guylain Chandjaro en Ituri en 2013, Kennedy Germain Mumbere Muliwavyo à Beni en 2014.
Monsieur le président, Reporters sans frontières espère que les deux années à venir, avant l’échéance électorale de la présidentielle, vous permettront de mettre en oeuvre les engagements pris en faveur de la liberté de la presse et d'envoyer un message fort à ceux qui tentent de museler les voix du débat démocratique dans votre pays.
Reporters sans frontières vous demande surtout de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour garantir aux journalistes congolais et étrangers de pouvoir exercer leur travail en toute liberté et sécurité durant cette période politique importante.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cette demande et vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Christophe Deloire
Secrétaire général