Torture, détentions arbitraires et autocensure

Avec au moins trente journalistes et collaborateurs des médias emprisonnés, le Népal est devenu la plus grande prison du monde pour la presse. Depuis novembre 2001, plus de cent journalistes ont été interpellés et accusés, souvent sans preuves, de soutenir les rebelles maoïstes.

Quatre mois après la proclamation de l'état d'urgence, le 26 novembre 2001, par le roi Gyanendra, sur recommandation du gouvernement de Sher Bahadur Deuba, le bilan des violations de la liberté de la presse est lourd. Plus de cent journalistes ont été arrêtés par les forces de sécurité, et au moins trente journalistes et collaborateurs des médias sont toujours emprisonnés. Plus grave, au moins trois journalistes ont été torturés par les forces de sécurité pendant leur détention. Pour autant, les journaux et les radios privés du pays continuent à informer librement la population. Les articles sur la corruption dans l'administration sont toujours publiés en une des principaux quotidiens. Le manque d'accès à l'information et surtout l'autocensure ne concernent que les opérations militaires contre les maoïstes. Une mission d'enquête de Reporters sans frontières s'est rendue du 10 au 13 mars 2002 à Katmandou où elle a pu rencontrer des journalistes, des directeurs de publication, des défenseurs des droits de l'homme, des avocats et des familles de journalistes emprisonnés. Vincent Brossel, responsable du bureau Asie-Pacifique, le correspondant de Reporters sans frontières au Népal et deux membres de l'organisation népalaise de défense de la liberté de la presse CEHURDES ont été reçus, le 12 mars, par le Premier ministre Sher Bahadur Deuba. Trente journalistes et collaborateurs des médias sont actuellement emprisonnés pour des délits liés au terrorisme, et cela en vertu de l'Ordonnance relative aux activités terroristes et déstabilisatrices (non encore adoptée par le Parlement). Aucun d'entre eux n'a été condamné et les forces de sécurité font obstruction aux procédures d'habeas corpus engagées par certaines familles. Considérant que les autorités n'ont pas apporté suffisamment de preuves prouvant l'appartenance des journalistes emprisonnés au Parti maoïste, mouvement armé auteur de crimes de guerre, Reporters sans frontières demande leur libération. Répondant à une demande du représentant de Reporters sans frontières en faveur de la libération des journalistes emprisonnés, le Premier ministre a affirmé que les "enquêtes avançaient" et ajouté : "Si des erreurs ont été commises, les individus seront libérés et des compensations données." Les personnes interrogées par Reporters sans frontières, notamment celles qui ont pris position contre l'état d'urgence, ont affirmé vivre dorénavant dans un climat de peur et préfèrent, pour la plupart, témoigner anonymement. "Qui sera le suivant ?", s'interroge un journaliste après l'arrestation du directeur de Sanghu, Gopal Budhathoki. "La litanie des morts annoncée tous les jours dans la presse et la présence de patrouilles militaires dans les rues de Katmandou installent le pays dans un climat de guerre que nous n'avions jamais connu auparavant", explique un autre journaliste de Katmandou. Les organisations de défense des droits de l'homme, débordées par le nombre exponentiel d'exactions dans le pays, redoutent la militarisation de la lutte contre les rebelles maoïstes. "Les militaires font ce qu'ils veulent. En complète violation de la loi, ils arrêtent, interrogent, torturent et détiennent des suspects, notamment des journalistes", dénonce Subodh Raj Pyakurel, le responsable de l'organisation de défense des droits de l'homme INSEC. Face à cette dégradation de la situation, les réactions sont limitées. Le Parti communiste népalais (Marxiste-léniniste, principal parti d'opposition parlementaire), les organisations de défense des droits de l'homme, des associations de journalistes tentent de briser le silence sur les exactions commises dans le cadre de la lutte contre le "terrorisme maoïste". A leurs risques et périls. Plus de cent journalistes arrêtés en quatre mois Le 26 novembre 2001, le jour même de la proclamation de l'état d'urgence, les forces de sécurité perquisitionnent les bureaux des publications dites maoïstes. La police saisit le matériel informatique et des documents. Les journalistes et les collaborateurs présents sont arrêtés, d'autres sont interpellés à leur domicile, et une dizaine d'autres sont entrés dans la clandestinité. En quelques heures, Govinda Acharya, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Janadesh, Khil Bahadur Bhandari, directeur, Deepak Sapkota, reporter, Dipendra Rokaya, opérateur d'ordinateur, Mana Rishi Dhital, employé, Ram Bhakta Maharjan, opérateur d'ordinateur, sont arrêtés et placés en détention dans un lieu inconnu. De même, Ishwor Chandra Gyawali, directeur du mensuel Dishabodh, est interpellé. Nim Budhathoki, opérateur d'ordinateur de Dishabodh, avait été arrêté la veille par la police à Katmandou. Om Sharma, rédacteur en chef du quotidien Janadisha, et Deepak Mainali, opérateur d'ordinateur, sont arrêtés par les forces de sécurité. Les journalistes sont détenus au secret pendant vingt-six jours, avant d'être transférés dans la prison de Bhadragol (Katmandou) où leurs familles peuvent enfin leur rendre visite. Pour sa part, Chandra Man Shrestha, l'un des responsables de la rédaction de Janadisha, est arrêté le 27 décembre 2001. Aucune information n'a été fournie par les autorités sur son cas. Il faut rappeler que Amar Budha, journaliste de Yojana, publication proche des maoïstes, est détenu depuis le 9 avril 1999. Il serait détenu dans la prison de Tulsipur. Suite à ce coup de filet, la demi-douzaine de publications plus ou moins étroitement liées au Parti communiste népalais - maoïste, entré en rébellion en février 1996, notamment Janadisha, Dishabodh, Yojana, Jana Aahwan et Janadesh, disparaît. Le Premier ministre a affirmé à Reporters sans frontières que cette vague d'arrestations et la fermeture des publications visaient à "mettre un terme définitif à la propagande terroriste." Et d'ajouter : "Dorénavant, plus personne ne pourra inciter à la violence." Mais cette vague de répression ne s'est pas limitée aux publications dites maoïstes. Des dizaines de journalistes, notamment dans les districts touchés par la guérilla maoïste, ont été interpellés, interrogés et sommés de fournir à la police et à l'armée leurs contacts au sein du Parti maoïste. "Des journalistes locaux ont été obligés de fournir tous les jours un ou deux noms de militants maoïstes. Certains officiers les menaçaient d'exécution s'ils ne remplissaient pas leur quota de maoïstes", témoigne un membre de l'organisation de journalistes népalais CEHURDES. "Les forces de sécurité, engagées dans une immense rafle sur plusieurs semaines, au cours de laquelle des milliers de personnes ont été arrêtées, ont de toute évidence commis autant d'abus que d'erreurs", déclare un responsable d'INSEC. Le 29 novembre 2001, une nouvelle rafle est organisée dans le pays. Dans le district de Rupandehi, près de quarante journalistes sont interpellés et détenus pendant trois jours par les forces de sécurité. Basant Pokhrel, reporter du Jana Sangharsha à Rupandehi, n'est relâché que le 17 décembre. De même, Sitaram Shaha et Pawan Shrestha, deux reporters du Janakpur Awaj dans le district de Siraha, sont placés en détention. Ils retrouvent la liberté cinq jours plus tard. Dans le district de Uydapur (centre du pays), Baikuntha Dahal, journaliste indépendant, serait détenu depuis le 29 novembre 2001. Le 2 décembre 2001, Shankar Khanal, correspondant de la station publique Radio Népal et du quotidien Space Time, est arrêté en compagnie de Ganga Bista, correspondant de la chaîne de télévision publique népalaise et du journal local Chautari Times, et d'Indra Giri, correspondant du Samachaar Patra, dans le district de Sankhuwasabha (est du pays). Ce dernier est libéré quatre jours plus tard. Lors des interrogatoires, les deux jeunes journalistes sont torturés. Les forces de sécurité tentent de leur faire avouer le nom de leurs contacts maoïstes dans le district. Elles considèrent que les deux journalistes, qui ont couvert à plusieurs reprises les manifestations des rebelles, sont à même de leur donner des noms et des contacts de militants. Suite à une visite de la Commission nationale des droits de l'homme dans le district de Sankhuwasabha, Shankar Khanal est libéré le 2 mars, mais Ganga Bista est encore emprisonné au 15 mars 2002. L'un des membres de la Commission a décrit à Reporters sans frontières les conditions de détention dans la prison comme "inhumaines" et les traitements de la part des forces de sécurité comme "dégradants". Le 5 décembre, Bin Bahadur Kunwar, journaliste du Janarajya est arrêté. Le même jour, Anjan Kumar Himali, reporter du Janagunasho, est interpellé. Au 10 mars 2002, ils seraient toujours détenus sans que l'on connaisse les charges qui pèsent contre eux. Le 6 décembre, Sama Thapa, directeur de l'hebdomadaire local Yugayan, est arrêté à Tikapur (district de Kailai). Au même moment, Chitra Chaudhari, directeur adjoint de l'hebdomadaire local Nawacharcha publié à Tikapur et ancien rédacteur en chef de Yugayan, est interpellé par les forces de sécurité. Après avoir été interrogés plusieurs jours par la police, M. Chaudhari est placé en détention dans une caserne de l'armée, et M. Thapa emprisonné dans le bâtiment de l'Unité régionale de la police. Le 13 décembre, Dil Sahani, un journaliste membre de la Fédération des journalistes népalais, est arrêté dans le district de Rupandehi par la police. Au 10 mars 2002, il est toujours incarcéré. Le 21 décembre, Kamal Baral, directeur de l'hebdomadaire Swaviman publié à Pokhara, est arrêté par des membres des forces de sécurité à sa résidence de Kaski. Quelques jours plus tard, Janardan Biyogi, le directeur adjoint de Swaviman, est arrêté par les militaires à Pokhara. Un troisième collaborateur du Swaviman, Bishwaprakash Lamichane, est arrêté quelques jours plus tard. Au 10 mars 2002, ils sont tous les trois détenus par les forces armées népalaises dans ce district de l'ouest du pays. Dans le district de Surkhet, deux journalistes ont été arrêtés à la fin du mois de décembre 2001. Ils seraient toujours détenus au 10 mars 2002. Il s'agit de Bishnu Khanal et Liladhar Gautam, reporters de la publication locale Surkhet Post. Reporters sans frontières ne connaît pas les raisons de leur détention. Le 26 décembre 2001, Badri Prasad Sharma, directeur de l'hebdomadaire local Baglung, est arrêté à son domicile de Baglung. Depuis le 18 janvier 2002, il est officiellement inculpé et détenu au secret dans la prison du district. Le 3 janvier 2002, des membres des forces de sécurité interpellent Hari Baral de l'hebdomadaire Bijayapur, publié à Dharan. Plus de deux mois après son arrestation, le journaliste est toujours emprisonné. Bhawani Baral, également de Bijayapur, entre dans la clandestinité pour échapper à l'arrestation. Le 5 janvier 2002, Kamal Mishra, journaliste indépendant, est arrêté par la police indienne à quarante kilomètres de la frontière. Il est actuellement détenu par la police à Siliguri (nord de l'Inde) sans que l'on connaisse les motifs de la détention. Le 9 janvier 2002, Bijay Raj Acharya, directeur de la maison d'édition privée Sirjanshil Prakashan, est "enlevé" par les forces de sécurité. Il est libéré le 19 mars, mais doit se présenter une fois par semaine à la police. Le 23 janvier 2002, une organisation de journalistes rapporte l'arrestation de Bishwa Raj Poudel, journaliste du Chure Sandesh, accusé de soutenir les maoïstes. Depuis, aucune information n'a été transmise par les autorités sur son cas. Dans la soirée du 3 mars 2002, Gopal Budhathoki, directeur de l'hebdomadaire en népalais Sanghu, est enlevé par une dizaine d'individus alors qu'il rentre chez lui à moto.  Selon plusieurs témoignages, le journaliste est arrêté par des véhicules de l'armée alors que le Premier ministre a déclaré à Reporters sans frontières que les forces armées ne sont pas intervenues.Le 6 mars 2002, le Premier ministre annonce que le journaliste a été arrêté en raison de la publication répétée d'articles "inventés" sur les forces de sécurité, dans la seule intention de "répandre des rumeurs et de démoraliser l'armée". Selon le directeur adjoint de Sanghu interrogé par Reporters sans frontières, Gopal Budhathoki avait publié des articles sur les irrégularités financières constatées dans des achats d'hélicoptères par l'armée népalaise. Le Premier ministre a déclaré que "publier de telles informations était équivalent à coopérer directement avec les terroristes". Gopal Budhathoki avait déjà été arrêté par les forces de sécurité le 17 décembre 2001, interrogé puis relâché vingt-quatre heures plus tard. Après plus de vingt jours de détention, vraisemblablement dans une caserne de l'armée.   Ram Kala Budhathoki, l'épouse du journaliste, n'a, au 15 mars 2002, toujours pas été autorisée à le voir. Elle a affirmé, le 11 mars, à Reporters sans frontières : "J'ai déposé une demande d'habeas corpus devant la Cour suprême, mais maintenant nous avons besoin du soutien de la communauté internationale pour que des journalistes comme mon mari ne soient pas kidnappés en pleine rue par les militaires." Le 16 mars 2002, Shyam Shrestha, directeur du mensuel d'extrême gauche Mulyankan, est arrêté à l'aéroport international de Katmandou alors qu'il tente de se rendre à New Delhi pour participer à un séminaire. Le journaliste est interpellé par les forces de sécurité, en compagnie de deux défenseurs des droits de l'homme. Selon le journal Kantipur, le journaliste est détenu au secret avec ses compagnons dans le camp militaire de Bhadrakali, dans la capitale. Le mensuel Mulyankan, connu pour ses articles critiques envers le gouvernement, était visé depuis plusieurs mois par les services de sécurité. L'épouse du journaliste a dénoncé publiquement cet "enlèvement" pratiqué par l'Etat. Dans la soirée du 24 mars, des militaires arrêtent Kumar Rawat, directeur du mensuel Mul Prabaha et de l'hebdomadaire Mahima, à son domicile de Katmandou. Le directeur de ces publications en népalais est également conseiller de la Fédération des journalistes népalais. Autre fait marquant de ces quatre derniers mois, la multiplication des descentes de police et de l'armée dans des rédactions de publications locales. Ainsi, le 16 mars, la rédaction du quotidien Naya Yugbodh, publié dans le district de Dang (ouest du pays), est investie par des hommes en civil. Narayan Prasad Sharma, un journaliste expérimenté, est interpellé et interrogé pendant une heure dans une caserne de l'armée, en violation de la loi qui interdit aux militaires de prendre part à l'arrestation ou à l'interrogatoire d'un civil. Douze journalistes de publications "maoïstes" incarcérés "Mon mari n'était que journaliste. Il partait le matin et restait jusque tard au journal. Il n'a jamais fait de politique", clame l'épouse de Om Sharma, directeur de Janadisha. Les douze journalistes et collaborateurs de médias en détention, accusés par le gouvernement d'être maoïstes, appartiennent pourtant à des publications dont les liens avec le parti maoïste ne sont plus à prouver. "Ces journaux n'étaient que les porte-parole des dirigeants maoïstes. C'était de la pure propagande et je suis sûr qu'ils sont tous maoïstes", accuse un reporter du quotidien Kantipur. Le 28 novembre, une dépêche de l'agence Associated Press précise : "Depuis des années, les publications d'extrême gauche népalaises ont confondu les faits et la fiction, la vérité avec les rumeurs et le journalisme avec l'idéologie." D'autres observateurs affirment que le soutien de ces journalistes à la cause des maoïstes n'impliquait pas forcément qu'ils soient membres du parti. "Certains critiquaient même en privé les décisions du Parti. Ils restaient pour autant des relais très efficaces pour accéder à certains chefs maoïstes", explique un stringer de la BBC. Quoi qu'il en soit, la police n'a pour l'instant présenté aucune preuve significative de l'appartenance directe de ces douze individus au Parti maoïste, hors-la-loi depuis 1996. Selon Bishwa Mainali, un avocat proche des familles de journalistes emprisonnés, la police va se contenter de fournir au juge de la cour spéciale une lettre dans laquelle il sera précisé que cet individu est "coupable d'activités terroristes". "Avec la loi antiterroriste, on peut s'attendre à toutes les violations des procédures de justice. Cette loi d'exception ne permettra pas un déroulement normal de la justice pour les vrais maoïstes et les innocents", explique Bishwa Mainali. Début mars 2002, dix proches de journalistes et d'employés de Janadesh, Dishabodh et Janadisha, détenus dans la même cellule de la prison de Bhadragol (Katmandou), ont déposé une demande d'habeas corpus devant la Cour suprême du Népal. Avec le soutien d'un groupe d'avocats, des épouses, pères et frères de détenus ont exigé, comme le prévoit cette procédure héritée du droit anglo-saxon, que leur proche soit présenté devant un juge. Cette première initiative judiciaire ne s'est pas faite sans mal. Tout d'abord, fin décembre, la police a refusé de présenter Deepak Mainali, collaborateur de Janadesh, malgré une demande d'habeas corpus. D'autre part, certains proches ont fait l'objet d'un véritable harcèlement de la part des forces de sécurité et, beaucoup plus grave, Sabitree Acharya, épouse de Govinda Acharya, journaliste de Janadesh, a été arrêtée par l'armée, en février 2002, après avoir déposé sa plainte. Au 15 mars 2002, on est toujours sans nouvelles d'elle. Selon l'avocat Bishwa Mainali, Sabitree Acharya faisait preuve de "beaucoup trop d'énergie, aux yeux des autorités, pour défendre le cas de son mari". Les proches et les familles redoutent la date du verdict des juges de la Cour suprême, prévu le 25 mars. Au cours des dernières années, la police a plusieurs fois opéré de "fausses libérations". Suite à une décision de la Cour suprême, les autorités pénitentiaires libéraient le prisonnier, qui était immédiatement replacé en détention. Par ailleurs, Ramnath Mainali, avocat de l'hebdomadaire Janadesh, a été arrêté, le 14 mars au matin à son domicile de Katmandou, par une douzaine de membres des forces de sécurité en civil. Selon Amnesty International, cet avocat proche des maoïstes est connu pour avoir défendu successivement Krishna Sen et Govinda Acharya, directeurs de Janadesh. Ramnath Mainali avait obtenu la libération de Krishna Sen, grâce à un jugement de la Cour suprême en 2001, après deux ans de détention. Récemment, l'avocat avait déposé une demande d'habeas corpus en faveur de Govinda Acharya, arrêté le 26 novembre 2001. Les militaires qui ont arrêté Ramnath Mainali ont informé ses proches qu'il était détenu dans la caserne Singha Durbar à Katmandou. Tant que les autorités compétentes n'auront pas démontré l'appartenance directe des journalistes et collaborateurs des médias emprisonnés au Parti maoïste, mouvement armé auteur de violations massives des droits de l'homme, Reporters sans frontières considère qu'ils sont détenus pour l'exercice de leur droit à informer. Avec au moins trente professionnels des médias emprisonnés, le Népal est de fait la plus grande prison au monde pour les journalistes. Torture et mauvais traitements "Les policiers les ont obligés à se dénuder, puis ils les ont frappés et aspergés d'eau chaude et d'eau froide. Cela plusieurs fois par jour", affirme Subodh Raj Pyakurel, secrétaire général de l'organisation de défense des droits de l'homme INSEC, à propos de Shankar Khanal et Ganga Bista, deux journalistes du district de Sankhuwasabha. De même, l'épouse du journaliste Bijaya Raj Acharya affirme : "Mon mari a été torturé lors des deux ou trois premiers jours de sa détention dans la caserne Balaju de l'armée. Il avait les mains et les pieds attachés et il a reçu des décharges électriques." La police accuse le journaliste de participer à la publication clandestine de l'hebdomadaire pro maoïste Janadesh, alors que ses proches affirment qu'il n'a fait que publier des revues pour les enfants, notamment Srijanashil Prakashan, et de la littérature d'extrême gauche. Selon leurs proches et des défenseurs des droits de l'homme, la plupart des journalistes accusés de soutenir les maoïstes ont été torturés. INSEC a rassemblé divers témoignages de personnes torturées par des policiers ou des militaires. Selon cette organisation, les prisonniers sont détenus dans des pièces pouvant accueillir une cinquantaine de personnes, hommes et femmes confondus. Les suspects doivent garder la tête baissée toute la journée et ils sont interrogés une fois par jour, de préférence individuellement. Ils sont obligés de se déshabiller et un officier, généralement un capitaine, est chargé de les frapper à coups de matraque et de barre de fer. Pour leur faire avouer leur appartenance au Parti maoïste, les suspects sont également aspergés d'eau. Enfin, ceux qui ont la chance d'être libérés sont menacés de mort s'ils témoignent sur les mauvais traitements subis en prison. Ces méthodes ont, semble-t-il, été appliquées à des journalistes. Ainsi, début mars, trois journalistes de publications dites maoïstes ont été transférés pendant trois jours de leur cellule de la prison de Bhadragol à un centre de détention militaire. Selon un codétenu, ils sont revenus "épuisés". Les témoignages restent relativement imprécis en raison du contrôle systématique des autorités pénitentiaires lors des visites de familles de prisonniers politiques. L'épouse de l'un d'entre eux raconte qu'elle doit remplir trois fois de suite un document d'identification alors que les familles des prisonniers de droit commun peuvent accéder à leur proche sans aucun contrôle. "Des militaires et des membres des services secrets écoutent nos conservations. Mon mari ne peut rien me dire pendant nos courtes visites de 5 à 10 minutes", conclut cette mère de deux enfants, sans aucune ressource. Par ailleurs, la quasi-totalité des interpellations se sont faites dans des circonstances dégradantes pour les "suspects", assimilées à de véritables "enlèvements". Ainsi, Anuradha Poudel, journaliste du Space Time Daily, est arrêtée à son domicile, dans la nuit du 19 janvier. Les policiers et les militaires l'ont conduite, sous les yeux de son fils et de son mari, les mains attachées et un bandeau sur les yeux, dans un commissariat de police. La journaliste, spécialiste des questions d'environnement, a subi plusieurs interrogatoires pendant la nuit avant que la police ne s'aperçoive qu'elle s'était trompée de personne. De la même manière, Kishor Shreshtha, directeur de l'hebdomadaire Jana Aastha, a subi des pressions psychologiques intenses de la part des policiers qui l'ont interrogé pendant plus de vingt heures, le 29 janvier 2002. Cependant, l'avocat Bishwa Mainali a rappelé à Reporters sans frontières que les journalistes et les avocats étaient privilégiés par rapport aux autres suspects de terrorisme : "Quand un avocat est arrêté, ses collègues protestent. Quand un journaliste est arrêté, l'information circule dans la presse et dans les organisations internationales comme Reporters sans frontières. Ils sont protégés des exécutions extrajudiciaires et des disparitions. Mais un pauvre paysan ou un maître d'école en province, qui va les défendre ?" Suite du rapport
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Updated on 20.01.2016