Tchad : journée sans radio après un coup de force des services de sécurité contre une station privée
Alors que les radios privées du pays ont décidé de cesser d’émettre mardi en signe de protestation, Reporters sans frontières (RSF) condamne sans réserve les méthodes brutales ayant visé une radio privée et l’arrestation d’une trentaine de journalistes qui s’y trouvaient. Notre organisation appelle les autorités à laisser les journalistes exercer librement leur travail dans un contexte de menaces importantes contre la presse indépendante.
Silence radio sur les ondes tchadiennes demain mardi 1er décembre. Le syndicat des radios privées au Tchad (URPT) a appelé à la grève tous ses membres, soit une quarantaine de stations, après l’arrestation de près de 70 personnes, dont trente journalistes dans la matinée du vendredi 27 novembre au siège de Radio FM Liberté à N'Djamena. Alors que cette radio indépendante très populaire, spécialisée dans la couverture des sujets relatifs aux droits humains, souhaitait donner la parole aux organisateurs d’un forum citoyen ayant été interdit la veille, la police a investi ses locaux et a séquestré les personnes présentes, invoquant l’interdiction du forum et l’interdiction des regroupements de plus de cinquante personnes en période de pandémie. L'intervention, particulièrement violente, s’est traduite par des tirs de gaz lacrymogènes dans la cour du média et des actes de violence contre les journalistes, qui ont tous été embarqués avant d’être libérés quatre heures plus tard. Joint par RSF, Blaise Dariustone, journaliste pour Radio FM Liberté et par ailleurs correspondant de la Deutsche Welle, faisant partie des personnes interpellées, a souligné qu’une stagiaire avait dû être transportée à l’hôpital à cause des gaz lacrymogènes. Il a également affirmé avoir fait l’objet de menaces personnelles par le responsable des services de renseignements généraux.
“Les forces de sécurité sont intervenues dans cette radio en ayant recours à des méthodes très violentes comme si elles cherchaient à disperser un rassemblement de criminels, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Nous condamnons sans réserve cet usage complètement disproportionné de la force et ces interpellations arbitraires contre des journalistes qui ne faisaient rien d’autre qu’effectuer leur travail. Nous exhortons les autorités à préserver la liberté des journalistes de mener les interviews qu’ils entendent. La brutalité de cette intervention est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient dans un contexte de graves menaces pesant sur la presse indépendante tchadienne.”
L’inquiétude grandit ces dernières semaines dans les rédactions tchadiennes. En septembre et octobre derniers, la Haute autorité des médias audiovisuels du Tchad (HAMA) avait suspendu 12 journaux pour trois mois, puis avait menacé plusieurs médias du même sort s’ils ne se conformaient pas à la loi sur la presse qui prévoit que les directeurs de publication et les rédacteurs en chef doivent posséder un diplôme en journalisme “de niveau bac+3 au moins” pour pouvoir travailler. RSF avait rappelé à ces occasions que les autorités ne pouvaient pas, au regard du droit international, restreindre l’accès à l’exercice du journalisme et à la direction d’un média en imposant un niveau de qualification par la loi. Cette disposition aboutirait à la disparition d’une quinzaine de titres dont certains journaux indépendants historiques du pays.
Le Tchad occupe la 123e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.