Témoignage du Danois Niels Krogsgaard, emprisonné en Iran durant six jours

Reporters sans frontières a recueilli le témoignage de Niels Krogsgaard, étudiant en journalisme à l’Université du Sud-Danemark, emprisonné en Iran du 4 au 10 novembre 2009. Quand êtes-vous arrivé en Iran et avec quels objectifs ? J’ai quitté Copenhague le 13 octobre, avec un autre étudiant de l’école de journalisme. Nous sommes arrivés à Téhéran le 14 octobre au soir. Nous avions un visa touristique, ce qui nous a d’ailleurs été reproché par la suite par les autorités danoises. Mais en discutant avec des journalistes professionnels, je me suis rendu compte que je n’obtiendrais jamais de visa de travail, et que même si c’était le cas, je ne pourrais pas travailler sur place, car je serais suivi en permanence et mes sources risqueraient d’être arrêtées. Qu’alliez-vous faire à Téhéran ? Nous nous sommes rendus en Iran dans le but de réaliser notre projet de fin d’études. L’idée était de voir ce qu’il restait du mouvement de juin dernier. En effet, au Danemark comme ailleurs, on ne s’intéresse plus qu’aux questions ayant trait à la politique nucléaire de l’Iran. Nous voulions voir si les Iraniens continuaient à s’opposer au régime, et si oui, sous quelle forme. Nous nous sommes intéressés aux étudiants qui écoutent Pink Floyd et autres groupes de musique des années 70, sans toujours savoir ce que représente vraiment cette décennie en Europe. Nous nous sommes aussi intéressés aux femmes qui se font refaire le nez et portent le voile aussi bas que possible. Quelles difficultés avez-vous rencontrées sur place ? C’était très facile de rencontrer des gens qui illustraient les histoires que nous voulions raconter. En parlant avec nous, ils prenaient des risques, mais ils étaient prêts à le faire. Avez-vous eu le sentiment d’être suivi ? Pendant les interrogatoires plus tard, les policiers m’ont dit que j’avais été suivi dès mon arrivée, mais j’en doute fort. Les questions qu’ils m’ont posées prouvaient le contraire. Dans quelles circonstances avez-vous été arrêté ? J’ai été arrêté le 4 novembre 2009. Les opposants ont organisé des manifestations en marge de la commémoration officielle de la prise de l’ambassade américaine en 1979. J’avais décidé de me tenir à distance. Je savais que ce serait dangereux. J’ai pris le métro. Je prévoyais de descendre à l’arrêt qui se trouve juste avant l’ambassade américaine, puis d’observer de loin ce qui se passait. Mais quand le train s’est enfin arrêté, je me suis rendu compte que tous les gens qui s’y trouvaient étaient des manifestants. J’étais en plein milieu. Quand nous sommes sortis dans la rue, (…) il y avait des membres de la milice islamique Bassidji. Puis, des policiers sont arrivés sur des motos en utilisant du gaz lacrymogène, avant de se mettre à matraquer tout le monde. L’un d’entre eux m’a frappé. J’ai réussi à m’échapper et à me réfugier dans une rue latérale. Les gens pleuraient à cause des gaz. Beaucoup avaient le visage en sang. Quand les choses se sont calmées, je suis ressorti sur la grande rue. Mais tout d’un coup, un Bassidji est sorti de nulle part. Il m’a attrapé, hurlé dessus, frappé, puis forcé à m’asseoir dans une voiture. Il était autour de midi. Vous avez alors été conduit au commissariat de police ? Oui. (…) Dans la voiture, ils m’ont forcé à baisser la tête, puis à la couvrir d’un pull, pour qu’on ne voit pas qu’ils avaient arrêté un Occidental. Au commissariat, je n’ai vu aucun autre étranger. J’ai subi mon premier interrogatoire. Il a duré entre 3 et 4 heures. A la fin, le policier m’a dit que je serais sans doute libéré avant la fin de la journée, puisque je n’avais rien dit de mal contre l’islam et que je semblais dire la vérité. Mais vous n’avez pas été relâché ? Quand je suis sorti, il faisait sombre. Il devait être autour de 20h. On m’a forcé à m’asseoir dans un gros véhicule et on m’a bandé les yeux. J’ai entendu des voix de jeunes gens à côté de moi. C’est alors que j’ai compris que je n’allais pas être libéré. Quand on est arrivé à la prison, un policier m’a dit que je sortirais sans doute le lendemain ou le jour d’après. Quelles ont été les conditions de votre incarcération ? J’ai été placé dans une cellule d’une dizaine de mètres carrés. Il n’y avait pas de lit, seulement un matelas rose sur le sol. Le soleil passait un peu à travers les deux fenêtres grillagées. Je n’avais aucune idée de l’endroit où je me trouvais. Plus tard, j’ai appris que j’étais à la prison d’Evin, à Téhéran, qui a une réputation terrible. J’étais seul. Je n’ai pas rencontré d’autres prisonniers, si ce n’est lorsque je suis allé aux toilettes. Les seules personnes avec qui j’étais autorisé à parler étaient les interrogateurs. Combien d’interrogatoires avez-vous subis ? Outre le premier au poste de police, j’ai subi un interrogatoire de 8 à 9h le premier jour. Rien le vendredi. Puis encore deux autres, le samedi et le dimanche. J’ai été relâché le mardi 10 novembre vers 20h, après avoir rencontré l’ambassadeur du Danemark quelques heures plus tôt. Dans quelles conditions se sont passés ces interrogatoires ? Ils avaient lieu dans une petite pièce. A ma droite, j’avais l’interprète. A ma gauche, l’interrogateur. Et derrière moi, quelqu’un en costume-cravate, qui venait sans doute d’un ministère quelconque. Chaque fois, ils commençaient par crier. Mais ils n’ont jamais été violents. Ils me disaient qu’ils savaient qui j’étais, ce que je faisais en Iran, mais qu’ils voulaient juste me l’entendre dire. Ils disaient aussi qu’ils savaient que j’avais menti lors de l’interrogatoire précédent, mais qu’ils me donnaient une nouvelle chance. Chaque fois, ils me posaient les mêmes questions : ce que je pensais d’Ahmadinejad, de l’islam, d’Israël, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et du nucléaire. Ils voulaient savoir ce que je connaissais des manifestations du 4 novembre. Le fait que vous soyez journaliste a-t-il empiré votre cas ? Initialement, je m’en suis tenu à la couverture que mon ami et moi nous étions fixée au début de notre séjour. Mais ils mettaient surtout en doute le fait que je sois étudiant. Puis, au cours des derniers interrogatoires, ils m’ont demandé si j’étais membre du Syndicat des journalistes danois. Je me suis dit que pour qu’ils en sachent autant, l’histoire devait commencer à faire du bruit au Danemark. Vous a-t-on interrogé sur vos sources ? Oui, on m’a demandé de donner des noms, de les écrire sur une feuille de papier. J’ai donné des prénoms, très répandus, qui me passaient par la tête. Je n’aurais jamais pu vivre avec l’idée de retourner au Danemark en sachant que les personnes que j’avais rencontrées allaient être emprisonnées dans des conditions bien plus difficiles que celles de ma détention. Avez-vous rencontré d’autres journalistes pendant votre séjour en Iran ? Pas du tout. J’ai donc été très surpris d’apprendre que d’autres que moi avaient été emprisonnés, à l’issue de cette manifestation.
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Updated on 20.01.2016