Syrie-Irak : le pluralisme des médias mis à mal par les autorités kurdes

Ces dernières semaines, les autorités des régions autonomes du Kurdistan syrien et irakien ont pris pour cible des journalistes de chaînes liées à des partis concurrents. Reporters sans frontières (RSF) appelle à cesser d’instrumentaliser les rivalités politiques au détriment du pluralisme des médias. 

Comme souvent dans cette région complexe, les journalistes se retrouvent pris au piège des rivalités entre les différents partis kurdes, déclare la responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, Sabrina Bennoui. Les autorités qui gouvernent ne tolèrent pas le pluralisme, ni côté syrien, ni côté irakien, et cela doit changer si elles se prétendent démocratiques.

Depuis plusieurs semaines, les journalistes syriens et irakiens paient le prix des rivalités entre les deux Kurdistan. En Irak, le Gouvernement régional du Kurdistan (KRG) est dirigé par le Parti démocrate du Kurdistan (PDK), dominé par le clan des Barzani, et a pour capitale Erbil. En Syrie, le nord et l’est échappent à la domination de Damas, et forment une région contrôlée par l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES), contrôlée par le Parti de l'union démocratique (PYD) et basée à Qamishli.

Le 1er août, le journaliste de la chaîne irakienne NRT Karzan Tariq et son confrère Chener Ahmed ont été interpellés à Souleymanieh (dans l’est du GRK), alors qu'ils interrogeaient des personnes sur leur situation dans le contexte actuel des difficultés économiques. Cette ville est le bastion du clan rival du PDK, la famille Talabani et leur faction politique concurrente, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK).

Dans un entretien avec RSF, Karzan Tariq détaille l’interpellation : “Des personnes qui se sont identifiées comme des membres des Asayish (services de sécurité, ndlr) nous ont forcés à présenter nos pièces d'identité. Ils nous ont demandé de les suivre et ont saisi nos téléphones portables, nos caméras. Par la suite, nous avons été transférés dans le centre des Asayish où nous avons été détenus dans une pièce, puis interrogés sur nos activités journalistiques”. Après une détention qui a duré plus de dix heures, les deux journalistes ont finalement été relâchés dans la soirée.

NRT appartient à l'homme d'affaires et chef du parti d’opposition Nouvelle Génération Shaswar Abdulwahid. Elle a été prise pour cible à de nombreuses reprises par les autorités. Dans un communiqué, la chaîne a considéré les forces de l’UPK comme responsables de ces attaques. 

Le 2 août, le journaliste Barzan Ferman a été enlevé à Qamishli. Reporter de Rudaw, chaîne kurde irakienne qui appartient à Nechirvan Barzani, neveu de Massoud Barzani  l’ex-président du GRK. Interrogée par RSF, la sœur du journaliste témoigne : “Il s’est rendu au bureau avec des collègues aux alentours de 10h30. Deux heures plus tard, des hommes cagoulés – l’un d’entre eux portait une arme – l’ont brutalisé avant de le forcer à monter dans une camionnette blanche. On ne sait pas qui ils sont, mais eux se revendiquent des services de sécurité de la région. Ils ont dit aux collègues qui étaient sur place de rester calmes et de ne pas ébruiter cette affaire”. Malgré les demandes réitérées de la famille aux autorités pour connaître son sort, il est toujours détenu dans un lieu inconnu.

Rudaw est interdite depuis février dernier par les autorités kurdes syriennes, qui accusent la chaîne “d’agiter et de ternir l’image des institutions” mais aussi “de nuire au tissu social de la région”. Barzan Ferman s’était rendu dans les locaux pour rencontrer ses anciens collègues et consulter des archives. En juin 2021, les autorités avaient interdit Kurdistan 24, chaîne elle aussi kurde irakienne, dont le fondateur est Noreldin Waisy, un proche des Barzani. 

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