Stratégie d’isolement des journalistes ukrainiens par les autorités russes : incarcérée, Iryna Danilovytch transférée en Russie

Condamnée à 7 ans de prison dans un procès monté de toutes pièces en 2022, la journaliste Iryna Danilovytch, fortement fragilisée physiquement par plus d’un an de détention, a été transférée de Crimée en Russie le 24 juillet 2023. Reporters sans frontières (RSF) dénonce cette décision illégale et réclame la libération de la journaliste, victime de l’acharnement de la machine judiciaire russe.

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Mise à jour : Le 9 août 2023, Iryna Danilovytch a été transférée du centre de détention provisoire d'Armavir vers la prison de Zelenokoumsk, ce qui l'éloigne encore davantage de la Crimée. Elle rapporte à son père que ses geôliers lui ont confisqué des médicaments essentiels, en lui assénant : "ça passera tout seul une fois que tu seras sourde". Son père annonce ensuite qu'elle a complètement perdu l'audition à l'oreille gauche, une information rendue publique le 21 août.

C’est seulement trois jours après l’appel de la rapporteuse spéciale de l’ONU à libérer la journaliste Iryna Danilovytch, emprisonnée à Simferopol en Crimée, que l’on apprend que les autorités russes, sourdes aux appels de la communauté internationale, ont l’intention de la transférer en Russie. Initialement prévu le 17 juillet, son transfert est retardé par une explosion sur le pont de Crimée. Malgré les tractations de son avocat, la journaliste est finalement transportée le 24 juillet à la prison de Krasnodar, ville du sud-ouest de la Russie à une dizaine d’heures de voiture de son précédent lieu de détention (ndlr: l'information selon laquelle elle a été transférée à Armavir, une ville de la région de Krasnodar, et non à Krasnodar même, a été connue après la publication de ce communiqué).  Cette manœuvre  vient s’ajouter à la décision cynique de la Cour suprême de Crimée, prononcée en juin, de réduire de un mois seulement la peine de la journaliste en appel de 7 ans à 6 ans et 11 mois.

“Ce transfert vers la Russie, qui est l’une des techniques de la répression politique en marche dans la péninsule depuis son annexion en 2014, fait planer une ombre menaçante sur les autres journalistes emprisonnés en Crimée. Nous dénonçons cette méthode qui viole la convention de Genève et vise à isoler la journaliste de ses proches et de ses avocats. Iryna Danilovytch et ses confrères ukrainiens emprisonnés en territoire occupé et en Russie doivent être libérés immédiatement.”

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale

L’état de santé de la journaliste s’est fortement dégradé en prison et ses geôliers continuent à lui refuser l’accès à une assistance médicale appropriée. Elle risque de perdre l’audition à l’oreille gauche et souffre de maux de tête et d’acouphènes permanents qui lui provoquent des pertes de connaissance. Depuis la prison, Iryna Danylovytch écrit que, face à sa demande de soin, l’administration pénitentiaire a répondu qu’elle “ferait mieux de se couper les veines”. Tout comme lors de la procédure d’appel, où le tribunal avait rejeté sa requête de report d'audience malgré des problèmes de santé, ceux-ci ont été totalement ignorés dans la décision de transfert, bafouant une fois de plus les droits de la journaliste.

Triste cas d’école de la justice russe en Crimée, le sort d’Iryna Danilovytch a attiré l’attention de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui étudie actuellement une plainte sur la détention illégale de la journaliste, soumise par l’ONG de défense des droits de l’homme CrimeaSOS. Cette plainte fait écho à celle déposée en septembre par RSF auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et du bureau du procureur général d’Ukraine pour disparition forcée, détention arbitraire et déni du droit d'Iryna Danilovytch à un procès équitable. 

Iryna Danilovytch est victime du harcèlement des pouvoirs russes depuis 2016 en raison de son activité journalistique et de ses posts sur les réseaux sociaux, couvrant notamment les scandales sanitaires pendant la crise de la Covid-19. Elle a été enlevée par les services de sécurité russes, le FSB, le 29 avril 2022 et a été illégalement détenue au secret pendant huit jours dans les sous-sols du siège du FSB à Simferopol, le centre administratif de la Crimée. Elle reste en détention provisoire jusqu’à sa condamnation le 28 décembre 2022 pour des accusations fallacieuses de “fabrication d’explosifs”. 

L'annexion de la péninsule de Crimée par la Russie en 2014, a considérablement dégradé et entravé le travail des journalistes locaux. La répression menée par les pouvoirs d’occupation s’est amplifiée depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. À l’instar d’Iryna Danilovytch, le journaliste tatar de Crimée Remzi Bekirov, condamné en 2022 à 19 ans de prison pour “terrorisme”, a lui aussi été transféré en Russie il y a près de deux mois. 

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