Exposé écrit présenté par Reporters sans frontières International - Reporters Without Borders International, organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif spécial - Nations Unies, Conseil des droits de l'homme, 25ème session
Au cours de l’année 2013 Reporters sans frontières a exprimé à plusieurs reprises ses inquiétudes quant aux violences et intimidations auxquelles continuent d’être exposés les journalistes dans leur travail de couverture des manifestations et rassemblements pacifiques.
En Ukraine, au cours des récentes manifestations pro-européennes à Kiev, des journalistes ont été blessés, maltraités, arrêtés et emprisonnés sur des motifs fallacieux. Ils étaient dans la plupart des cas équipés de gilets marqués « presse », semblent être visés délibérément par les forces de l’ordre
En Turquie, en marge du mouvement de protestation “Occupy Gezi” entre mai et juillet 2013, quelque 150 journalistes ont été agressés, et un grand nombre interpellés.
En Égypte, le bilan des exactions commises contre les professionnels de l’information lors de manifestations, aussi bien pendant la période Morsi que depuis la prise de pouvoir par l’armée, est particulièrement lourd.
En Thailande, à la veille des élections, le contexte a rarement été aussi hostile aux journalistes. Les médias sont souvent pris à parti et désignés comme appartenant à un camp plutôt qu’à un autre.
Au Bahreïn, arrestations arbitraires, tortures et mauvais traitements continuent d’être le quotidien de ceux qui entendent couvrir les manifestations.
En Libye, en novembre 2013, un photographe a été tué et plusieurs de ses confrères blessés à Tripoli, lorsque des miliciens ont délibérément ouvert le feu sur une foule de manifestants pacifiques, faisant plus de quarante morts.
En Guinée, en avril, une quinzaine de journalistes ont été violemment agressés et leur matériel endommagé lors de manifestations organisées par l’opposition.
Au Brésil, la dégradation des conditions de sécurité des journalistes s’est accrue depuis janvier 2013. Lors du “Printemps Brésilien”, une centaine de journalistes ont subi des violences. Depuis le début de l’année 2014, trois journalistes ont déjà essuyé les coups des manifestants comme de la police.
En Argentine, en avril, la Police métropolitaine a utilisé une violence démesurée à l’encontre des professionnels des médias qui couvraient une manifestation de personnels hospitaliers à Buenos Aires.
Au Bangladesh, en février 2013, lors de heurts entre militants islamistes et forces de police, au moins 23 journalistes, reporters et photographes de presse ont été blessés. Un bloggeur qui couvrait les manifestations populaires a été retrouvé égorgé.
Outre les violences, les professionnels des médias font fréquemment l’objet d’arrestations arbitraires et de condamnation ou de mesures d’intimidation.
A Djibouti, plusieurs arrestations arbitraires ont eut lieu à l’encontre de journalistes en 2013. En mai, un collaborateur de presse a été emprisonné pour avoir posté des images de manifestants de l’opposition victimes de répression policière et par la suite été accusé d’"outrage à un officier de police" et de "diffamation de la police".
En Iran, en octobre 2013, des protestations rassemblant plusieurs milliers de personnes dans la province d’Hormozgan ont été sauvagement réprimées et plus d’une centaine de personnes ont été arrêtées dont plusieurs acteurs de l’information.
Au Bélarus, plusieurs journalistes qui couvraient une manifestation antinucléaire en avril 2013 à Minsk ont été arrêtés.
En Azerbaidjan, en janvier 2013, des journalistes et des net-citoyens de premier plan ont été brutalement interpellés en marge d’une manifestation à Bakou.
En Colombie, le 17 octobre 2013, lors d’un mouvement mobilisant des communautés indigènes, trois journalistes ont subi un violent assaut de la police anti-émeute.
Au Cambodge, le 22 septembre 2013, alors qu’ils couvraient des manifestations pacifiques, au moins sept journalistes ont été attaqués par des hommes masqués, travaillant de concert avec les forces de l’ordre.
Au cours de l’année écoulée, Reporters sans frontières a comptabilisé de nombreux cas d’entraves au travail des journalistes, notamment des interdictions d’accès à des manifestations, des refoulements, des cas de confiscation du matériel des journalistes dans le but d’empêcher tout écho médiatique, notamment international, de ces rassemblements.
En Chine, après que la région du Xinjiang a connu, le 26 juin dernier, les affrontements les plus meurtriers depuis les émeutes de 2009, Des reporters de l’Agence France-Presse (AFP) ont été refoulés après avoir été brièvement interpellés.
Au Bahrein, les autorités ont tenté d’imposer un blackout de l’information sur les manifestations qui ont eu lieu le 14 août en incarcérant des net-citoyens et en empêchant l’accès du pays aux journalistes et activistes des droits de l’homme.
Au Soudan, depuis le début des manifestations contre le gouvernement du président Omar-el-Beshir en septembre 2013, les autorités ont imposé un véritable black-out médiatique. Les services nationaux de renseignement et de sécurité ont convoqué les rédacteurs en chef des principaux journaux de Khartoum pour leur interdire de publier des informations sur les manifestations ne provenant pas de sources officielles du gouvernement.
En Guinée Équatoriale, en mai, à l’annonce d’une manifestation antigouvernementale par des étudiants et des opposants au gouvernement, Facebook et d’autres sites internet ont été désactivés sur tout le territoire équato-guinéen à la demande du gouvernement.
En Erythrée, le 1er février 2013, le ministère de l’Information a publié un décret interdisant à quiconque se trouvant sur le territoire de fournir un accès à Al Jazeera. Pour garantir le respect de ces consignes, les chaînes en langue anglaise du groupe Al Jazeera ont été brouillées.
En Inde, en juillet, après que des soldats des Forces de sécurité des frontières indiennes (BSF) aient abattu six manifestants qui protestaient contre leur intrusion dans une mosquée, les réseaux Internet et 3G ont été bloqués par les autorités, pour empêcher la circulation de l’information.
Les dérives observées dans des états démocratiques sont inquiétantes.
En France, les agressions et intimidations dont ont été victimes des journalistes notamment lors des manifestations contre la loi sur le mariage pour tous en mai, ou lors de la manifestation antigouvernementale du 26 janvier 2014, font craindre une dérive violente hostile aux médias.
En Espagne, certaines dispositions d’un projet de loi sur la sécurité publique attentent gravement à la liberté de l’information. Il y est prévu notamment que “la captation ou la diffusion d’images attentant à l’honneur, l’image ou la sécurité de membres des forces de l’ordre” sera condamnée par une amende allant jusqu’à 600 000 euros. Ce projet de loi risque de faire des manifestations de rue des zones interdites aux journalistes.
En Grèce, les forces anti-émeute n’ont toujours pas adapté leur répression et persistent à considérer les photographes, cameraman ou preneur de son sont les témoins gênants de leurs propres débordements.
Les manifestations pacifiques, évènements par essence publics, collectifs et politiques, constituent tout d’abord un sujet dont la couverture est d’intérêt public. Elle permet d’informer sur la tenue d’un rassemblement, de relayer les griefs ou les aspirations qui y sont exprimés, de rapporter la manière dont les autorités répondent à ces mouvements, de faire émerger un débat sur ces actions et revendications, etc. La couverture complète et précise des manifestations pacifiques est fondamentale. Et il est essentiel de rappeler que les professionnels des médias sont des observateurs, qu’ils ne prennent pas part à l’événement.
En outre, les médias sont les témoins de l’attitude des forces de l’ordre pendant ces manifestations. Les professionnels de l’information traitent, parfois en temps réel, du déroulement des rassemblements, des éventuelles arrestations, des cas de violence ou autres exactions à l’encontre des manifestants. Les images, photographies ou vidéos constituent des preuves des actes ou des abus commis dans le contexte de manifestations pacifiques.
Une réflexion sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des manifestations pacifiques, mentionnée dans la résolution 19/35 du Conseil des droits de l’homme, doit impérativement prendre en compte le statut des professionnels des médias lors de ces rassemblements.
Reporters sans frontières enjoint le Conseil des droits de l’homme à mandater le Rapporteur Spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association à se saisir de la question de la situation des journalistes dans les manifestations pacifiques et à y consacrer une partie de ses rapports. Elle appelle aussi le Rapporteur Spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association et le Rapporteur Spécial sur la liberté d’expression à émettre des recommandations conjointes sur le sujet.
Reporters sans frontières réitère les recommandations suivantes:
- Reconnaître la couverture médiatique comme un élément de promotion et de protection des droits de l’homme dans le contexte des manifestations pacifiques.
- Préciser que le droit à l’information n’est pas conditionné à la détention d’une carte de presse ou d’une accréditation.
- Enjoindre les Etats à respecter le droit à l’information dans le contexte des manifestations pacifiques : droit d’accès des journalistes aux lieux de rassemblement, droit de filmer, d’interviewer et de prendre des images.
- Interdire les refus de visa ou d’accréditation ou le refoulement de journalistes au seul motif qu’ils souhaitent couvrir une manifestation pacifique.
- Instaurer des formations et de dialogues préventifs avec les forces de sécurité sur le respect des standards internationaux relatifs à la liberté d’information.
- Lutter efficacement contre l’impunité des responsables d’exactions par l’introduction de poursuites systématiques et la mise en place de sanctions pénales et disciplinaires.
- Mettre en place un système de dédommagement pour les éventuels frais médicaux et pour les cas de confiscation ou de destruction de matériel.