Sotchi : derrière la façade des Jeux olympiques, un paysage médiatique sous contrôle

Le 28 février, lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques d'hiver, Vancouver passera le relais à la prochaine ville hôte des Jeux en 2014, Sotchi. Reporters sans frontières souhaite profiter de ce rare coup de projecteur sur une grande ville de la province de Krasnodar (Sud de la Russie), l'une des plus peuplées du pays sur les bords de la mer Noire, pour évoquer la situation de la presse locale. L'attribution des Jeux olympiques de 2014 à Sotchi a fait l'objet d'un traitement totalement univoque dans les médias locaux. Mobilisés derrière le mot d'ordre du Kremlin : "Les jeux à tout prix", ces derniers n'ont à aucun moment relayé les inquiétudes environnementales et les mouvements de protestation, notamment des habitants de la baie d'Imeritinskaya visés par un plan de déplacement forcé, sauf pour les taxer d'antipatriotisme. Mais il ne s'agit là que d'un signe parmi d'autres de la forte dépendance des médias locaux vis-à-vis du pouvoir. À l'été 2009, la section allemande de Reporters sans frontières a réalisé une enquête de terrain approfondie dans sept régions russes, dévoilant une réalité contrastée et largement ignorée. Parmi ces régions, figurait la province de Krasnodar. L'"Atlas de la liberté de la presse en régions" publié à l'issue de cette étude le 10 septembre 2009, n'était jusqu'à présent disponible qu'en allemand. L'organisation publie aujourd'hui en français le chapitre consacré à la région de Krasnodar, ainsi qu'un résumé en anglais et en russe. Il en ressort que les médias régionaux ont été mis en coupe réglée par le gouverneur pro-Kremlin, Alexander Tkatchov. Malgré la diversité des titres, la grande majorité d'entre eux sont étroitement dépendants des autorités régionales ou municipales. Cette influence se traduit avant tout par un manque d'indépendance financière des médias. Dans un contexte économique rendu encore plus tendu par la crise et la baisse des recettes publicitaires, la concurrence auprès des annonceurs est déloyale. Avec le "registre des médias", les autorités locales ont entre les mains un instrument très efficace de contrôle des titres privés : ceux qui s'y inscrivent bénéficient d'importants avantages financiers, mais en contrepartie, ils acceptent de publier des contenus commandés par les autorités et de se soumettre à un étroit contrôle comptable. Pour les quelques titres qui restent relativement indépendants de l'administration, comme l'édition locale de Novaïa Gazeta (Kubani) ou Tchernomorskaïa Zdravnitsa, la survie financière et les ennuis judiciaires sont des combats quotidiens. Mais cette dépendance financière et l'auto-censure qui en découle n'excluent nullement des cas d'ingérence directe de l'administration dans l'activité éditoriale des médias locaux. Malgré de légers progrès, l'accès à l'information publique reste étroitement filtré. Outre la campagne pour l'attribution des Jeux olympiques, le manque d'indépendance des médias de Sotchi s'est illustré de manière éclatante lors des élections municipales de début 2009, lorsque le candidat libéral Boris Nemtsov s'est présenté face au maire sortant Anatoli Pakhomov. Couvrant la campagne électorale de manière totalement partiale, la grande majorité des médias a contribué à dénigrer M. Nemtsov, les quatre chaînes de télévision locales relayant notammant un spot diffamatoire dans leurs journaux télévisés. Dans son rapport d'enquête, la section allemande de Reporters sans frontières insiste sur la nécessité absolue de renforcer l'indépendance financière des médias régionaux, et notamment de supprimer les différences de traitement induites par le "registre des médias", pour briser la "verticale du pouvoir" entre l'administration et la presse locale. Le climat d'unanimité propre aux réjouissances sportives ne doit pas faire oublier cette réalité. Lire le chapitre sur la région de Krasnodar (en français) : Lire le résumé en russe/ Читать на русском :
Publié le
Updated on 20.01.2016