Slovaquie : le cinquième anniversaire de l’assassinat de Ján Kuciak et de Martina Kušnírová marqué par de fragiles progrès en matière de liberté de la presse

Cinq ans après l’assassinat du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová, le commanditaire du crime n’a toujours pas été condamné et les mesures de protection de la liberté de la presse restent insuffisantes. Après une mission de deux jours en Slovaquie et en prévision des élections de septembre, Reporters sans frontières (RSF) et ses organisations partenaires demandent de nouveaux engagements politiques.

 

Cinq ans après l’assassinat de Ján Kuciak et de Martina Kušnírová, les juges slovaques s’apprêtent à rendre leur décision dans le nouveau procès du commanditaire présumé de l’assassinat du journaliste d’Aktuality.sk et de sa fiancée. Alors que les hommes de main et un intermédiaire du crime, commis en février 2018, ont déjà été condamnés à de longues peines de prison, le suspect Marián Kočner, inculpé pour avoir commandité l’assassinat, avait été acquitté. Dans l’attente du verdict de son nouveau procès, attendu en avril prochain, nos organisations renouvellent leur appel à ce que justice soit pleinement rendue pour ce double homicide. 

Les organisations soussignées ont mené une mission d’exploration et de plaidoyer en Slovaquie pour exprimer leur soutien aux familles et aux collègues de Ján Kuciak et de Martina Kušnírová, ainsi que pour évaluer, cinq ans après leur assassinat, l’état de la liberté de la presse dans le pays. Nous avons participé activement aux événements commémoratifs et rencontré des journalistes slovaques. Lors de nos réunions avec la présidente de la République, le Premier ministre et les partis politiques, nous les avons encouragés à poursuivre les réformes et à mettre en œuvre de nouvelles mesures pour améliorer la sécurité des journalistes et l’indépendance des médias – dont l’audiovisuel public RTVS –, ainsi qu’à assurer une protection contre les procédures-bâillons et à défendre les lanceurs d’alerte. À l’instar du processus menant à rendre la justice pour l’assassinat de Ján et de Martina, les progrès de la Slovaquie en matière de liberté des médias restent fragiles. 

Alors que les partis politiques se préparent à des élections anticipées en septembre prochain, nos organisations appellent à un nouveau consensus et de nouveaux engagements politiques afin d’améliorer la liberté des médias et la sécurité des journalistes. Cela afin d’éviter tout futur assassinat de professionnels des médias et de permettre aux collègues de Ján Kuciak de faire vivre son héritage en matière de journalisme d’intérêt public.

1) La sécurité des journalistes

Après les élections de 2020, les autorités du maintien de l’ordre – la police, le bureau du procureur spécial et les tribunaux – se sont attaquées à la corruption révélée par les journalistes, ce qui leur a valu la confiance de ces derniers. Mais la justice pleine et entière n’a pas encore été rendue, que ce soit pour l’assassinat de Ján Kuciak ou pour d’autres crimes commis contre des journalistes, tels que leur surveillance à grande échelle par la “bande de Kocner”, un réseau d’individus payés pour fournir des informations à l’homme d’affaires. Dans le même temps, la nouvelle étude menée par le Centre d’investigation de Ján Kuciak (ICJK) dans le cadre de l’initiative Safe.Journalism.sk montre que les journalistes slovaques sont très souvent la cible d’agressions en ligne et verbales.

L’une des plus grandes menaces auxquelles les journalistes sont confrontés en Slovaquie sont les attaques verbales, dont les campagnes de diffamation et de dénigrement de la part d’hommes politiques, qui incitent le grand public à poursuivre le harcèlement en ligne. Ces attaques de la part des responsables politiques – qui devraient être unanimement condamnées – restent largement impunies.

Les dirigeants et partis politiques doivent :

  • s’engager à fournir aux autorités du maintien de l’ordre tous les moyens nécessaires afin que justice soit rendue pour les crimes commis contre les journalistes et améliorer leur protection, conformément à la Recommandation sur la protection des journalistes de la Commission européenne de septembre 2021 ;
  • promettre de répondre positivement, le cas échéant, aux demandes de coopération du nouveau mécanisme de protection de la Slovaquie, Safe.Journalism.sk ;
  • promettre de procéder à l’interdiction des attaques verbales et des campagnes de diffamation contre les médias, de condamner ces attaques et de sanctionner les membres du parti qui passent outre ;
  • faire adopter des amendements au Code pénal afin de renforcer les sanctions pour attaques aggravées et menaces contre des journalistes visés en raison de leur travail.

2) L’indépendance des médias 

En 2022, le Parlement a adopté d’importants projets de loi renforçant la protection juridique de la confidentialité des sources journalistiques, ainsi que la transparence en matière de propriété et de financement des médias. L’ex-directeur général de RTVS, sous le mandat duquel plus de 30 journalistes avaient été contraints à quitter l’audiovisuel public, a été remplacé à la suite d’une élection transparente au Parlement. Les députés n’ont toutefois pas réussi à réformer le processus de sélection très politisé. En outre, ils ont décidé de supprimer la redevance publique, principale source de financement du média public, à partir de juillet prochain, et de la remplacer par des subventions de l’État dans l’attente d’une solution pérenne. Il a été rapporté à la mission que le nouveau directeur général bénéficie de la confiance de la profession des journalistes.

Le gouvernement actuel doit proposer dans les plus brefs délais un nouveau mécanisme à même d’assurer un financement adéquat et stable à RTVS, libre de toute pression politique et sous la surveillance d’un organe indépendant. Une consultation publique impliquant le média public doit également être organisée. Les partis politiques doivent s’engager à réformer, après les prochaines élections générales, le processus de sélection du directeur général de l’audiovisuel public et de son organe de surveillance afin de renforcer l’indépendance de RTVS. Pour cela, les dirigeants politiques doivent s’inspirer des bonnes pratiques et des éléments positifs de la proposition de loi européenne sur la liberté des médias de la Commission européenne.

3) La protection contre les poursuites abusives et l’accès à l’information

Nous saluons l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre les recommandations de la Commission européenne contre les procédures-bâillons (Strategic Lawsuits Against Public Participation, SLAPP), et à soutenir la proposition de directive anti-SLAPP. Nous appelons tous les partis à suivre cet exemple et à garantir des réformes similaires pour lutter contre les pressions juridiques au niveau national.

Nous sommes préoccupées par le fait que la diffamation demeure passible d’un emprisonnement de deux à huit ans en Slovaquie. Bien que de telles peines, qui figurent parmi les plus sévères de l’Union européenne (UE), ne sont pas appliquées par les tribunaux, elles fournissent des moyens de pression sur les journalistes à des hommes politiques et d’affaires. Les médias continuent d’être la cible de poursuites civiles assorties de demandes de dommages et intérêts atteignant des dizaines de milliers d’euros. Le ministre de la Justice a proposé de réduire la peine d’emprisonnement maximum pour diffamation à un an et – en cas de préjudice important – deux ans. Les partis politiques sont invités à supprimer toute peine de prison pour diffamation et de dépénaliser totalement la diffamation. 

Le cadre juridique pour l’accès à l’information publique demeure solide dans l’ensemble et parmi les meilleurs de l’UE. Nous considérons qu’il est positif que les amendements à la loi aient été adoptés par le Parlement en 2022, interdisant les poursuites contre les journalistes pour avoir publié des informations obtenues à travers une demande d’accès à l’information. Nous saluons la création du Bureau de protection des lanceurs d’alerte, demandons au gouvernement de transposer la directive sur les lanceurs d’alerte de l’UE dans sa totalité et de prendre toutes les mesures nécessaires à une protection maximale de tous les lanceurs d’alerte.

L’assassinat de Ján Kuciak et de Martina Kušnírová a provoqué des bouleversements sociétaux et politiques en Slovaquie. Toutefois, le commanditaire du crime n’a toujours pas été condamné, et les autorités doivent encore prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les journalistes et défendre les médias indépendants. La fin de l’impunité doit devenir une réalité, et les partis politiques doivent saisir l’opportunité du nouveau cycle politique pour renforcer la liberté de la presse.

 

Signé : 

Reporters sans frontières (RSF)

ARTICLE 19 Europe

Comité pour la protection des journalistes (CPJ)

European Centre for Press and Media Freedom (ECPMF)

Fédération européenne des journalistes (FEJ)

Free Press Unlimited (FPU)

International Press Institute (IPII)

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