Slovaquie : l’affaire de TV Markiza illustre l’urgence de garanties d’indépendance éditoriale, conformément au droit européen

Les plaintes successives de pressions exercées sur la rédaction de TV Markiza par la direction de la principale chaîne privée du pays constituent un test décisif pour ses propriétaires. Reporters sans frontières (RSF) leur enjoint de prendre des mesures spécifiques pour protéger l'indépendance éditoriale de la rédaction, en conformité avec la loi européenne sur la liberté des médias. 

Les négociations sur les garanties d'indépendance éditoriale entre la direction de la plus grande chaîne privée slovaque, TV Markiza, et ses journalistes semblaient sur le point d'échouer, ce mercredi 5 juin. Si la direction s'est engagée à respecter “le journalisme basé sur les faits”, elle a aussi suggéré que les employés “incapables d'accepter [son] cadre éthique et [ses] normes professionnelles” démissionnent. 
Or, c’est bien le cadre d’exercice de la rédaction de la chaîne qui est questionnée par ses journalistes. Certains affirment subir des pressions motivées, selon eux, par la volonté de leur propriétaire d'entretenir de bonnes relations avec le nouveau gouvernement. Dans certains cas, des journalistes auraient été dissuadés de poser des questions critiques aux membres du gouvernement et d'accorder du temps d'antenne à leurs détracteurs. Le conflit a atteint son paroxysme le 26 mai, lorsque Michal Kovacic, le présentateur d’un débat politique populaire, “Na telo”, a dénoncé “les pressions venant non seulement des politiciens, mais aussi de notre propre direction”

La direction de TV Markiza a réfuté ces accusations qualifiées d’“incorrectes et injustifiées” et accusé le journaliste – soutenu par 120 de ses collègues – d'avoir “abusé du temps d'antenne pour présenter ses propres opinions”. Le tout avant de suspendre le présentateur et son émission, boycottée depuis plusieurs semaines par la majorité au pouvoir, dont les représentants avaient qualifié TV Markiza de média “hostile”. Ils ont menacé de retirer la publicité allouée par l’État à la chaîne. Deux ministres ont par ailleurs accusé la rédaction d'activisme politique dans une tentative de menacer tout accord avec la direction.

Membre de l’Union européenne, la Slovaquie doit endosser la législation sur les médias appelée l'Acte européen pour la liberté des médias (EMFA) qui appelle à des garanties d’indépendance éditoriale pour les médias publics comme privés. L’affaire de TV Markiza est une illustration de la nécessité de tels garde-fous. 

“Les plaintes concernant les pressions exercées sur les journalistes de TV Markiza doivent être prises au sérieux. Ses propriétaires, CME et PPF, doivent prendre des mesures spécifiques pour garantir l'indépendance éditoriale de la chaîne, ainsi que la transparence de leurs activités avec l'État. Ce faisant, les sociétés ne feraient qu’appliquer la loi européenne sur la liberté des médias récemment adoptée. Les menaces pesant sur TV Markiza sont un test décisif pour la capacité des entreprises à protéger leurs rédactions dans toute l'Europe contre les pressions économiques et politiques.

Pavol Szalai
responsable du bureau UE-Balkans de RSF

Comme 42 autres chaînes dans six pays d’Europe centrale et orientale, TV Markiza est exploitée par Central European Media Enterprises (CME), qui appartient depuis 2020 au PPF, basé à Prague. Un groupe actif dans les domaines des médias, des transports ou des télécommunications. 

Des demandes dans l'esprit de la législation européenne

Dans l'esprit de la législation européenne, qui a été votée le 13 mars dernier et entrera en vigueur dans les prochains mois, RSF appelle :

  • la direction de TV Markiza à poursuivre les négociations avec les représentants des journalistes sur la mise en œuvre de garanties d'indépendance éditoriale ;
  • la société CME à publier régulièrement des informations détaillées sur la publicité perçue par l’État en Slovaquie et le groupe PPF à informer publiquement de ses contacts commerciaux avec les autorités du pays et ce dans tous les secteurs économiques de ses activités.
  • le gouvernement slovaque à s'abstenir de toute pression politique sur TV Markiza et à ne pas intervenir dans les négociations entre la direction et la rédaction. 

Perdant douze places depuis l'année dernière, la Slovaquie est classée 29ème sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2024 de RSF. 

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