Signature du nouveau traité : ni unanimité, ni consensus

La Conférence mondiale des télécommunications internationales (CMTI) s’est achevée le 14 décembre 2012, après deux semaines de négociations - souvent confuses. Le 13 décembre 2012, moins de la moitié des Etats membres de l’UIT (89 sur 193) ont signé le nouveau traité révisant le Règlement des télécommunications internationales (RTI). Une coalition de 55 Etats ont refusé de signer le traité, dont les Etats-Unis et les Etats de l’Union européenne, qui estiment que la Résolution Internet PLEN/3, (voir ci-dessous) pourrait permettre de placer Internet sous contrôle gouvernemental. L’UIT se défend des craintes énoncées en affirmant qu’il s’agit d’une résolution qui n’a pas la même force que les traités. “La résolution Internet ne fait qu’inviter les Etats membres à encourager un environnement propice à la croissance accrue de l’Internet”, a-t-on pu lire sur le compte Twitter de l’organisation, le 13 décembre dernier, après l’adoption controversée de la résolution, alors que le secrétaire général de l’UIT a affirmé le 14 décembre 2012 que le nouveau traité ne concernait pas Internet. ITU ‏@ITU
#WCIT12 Resolutions do not have treaty status. Present #Internet Resolution only invites Member States to foster greater growth of Internet
3:12 AM - 13 Déc, 12 · Détails
https://twitter.com/ITU/status/279106565544493056 Reporters sans frontières appelle à nouveau les États membres à préserver Internet en tant qu’espace d’échanges et de liberté. “Nous craignons que des pays aux traditions de contrôle du Web ne s’appuient sur cette résolution pour justifier des efforts de censure”. Pour exemple, en vertu de l’article 5B, concernant les ‘spam’ (Communications électroniques non sollicitées envoyées en masse) : “les Etats Membres devraient s'efforcer de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la propagation de communications électroniques non sollicitées envoyées en masse et en réduire autant que possible l'incidence sur les services internationaux de télécommunication. Les Etats Membres sont encouragés à coopérer dans ce sens”. Pour bloquer ce type de contenus, les Etats devront d’abord les identifier et donc utiliser des outils de contrôle d’Internet. Certes, certains Etats le font déjà, mais cela n’a jamais été reconnu par un traité des Nations unies, créant ici une référence sur laquelle des Etats peu concerné par la liberté d’information pourraient s’appuyer pour justifier la mise en place de mécanismes de blocage et de filtrage. ------ 13.12.2012 - Une résolution “adoptée” dans la confusion Lors d’une série de sessions à la CMTI, le 12 décembre 2012, qui s’est terminée tard dans la nuit, le président de la conférence, Mohammed Nasser Al Ghanim a présenté aux délégations la “Résolution visant à encourager un environnement favorable au développement accru d’Internet”, qui renforce le rôle de l’UIT dans la gouvernance d’Internet, revenant sur sa position ultérieure sur le sujet, qui était de ne pas se mêler de gouvernance. Dans la confusion, sous prétexte de “mesurer la température de l’audience”, le président a conclu que la résolution a été “adoptée” mais qu’elle n’a pas votée. L’UIT a pour principe de décider en consensus. S’il est impossible, alors un vote est proposé. La manière dont le texte a été présenté est une première selon l’ONG Center for Democracy and Technology (CDT). Elle a pris de court les Etats potentiellement opposés à cette résolution et qui n’ont pu se prononcer avant la clôture hâtive de la session. Reporters sans frontières réitère son appel à plus de transparence et demande, à l’instar de CDT, que la question soit à nouveau abordée sous la forme d’un vote officiel. La résolution, qui indique que l’UIT entend maintenir son modèle de prise de décision, exclut de fait la participation de la société civile et d’acteurs non-gouvernementaux dont l’expertise est pourtant cruciale. Une retranscription de la session est disponible ici : http://linguasynaptica.com/wp-content/uploads/2012/12/internet-resoluton-transcript.txt ------ 10.12.12 - L’avenir d’Internet en jeu à la Conférence mondiale des télécommunications internationales Du 3 au 14 décembre 2012, les Etats membres de l’Union Internationales des Télécoms (UIT) sont réunis à Dubaï pour la Conférence mondiale des télécommunications internationales (CMTI). L’objet principal des discussions, tenues à huis clos, est la révision du Règlement des télécommunications internationales (RTI) incluant notamment l’extension des compétences de l’UIT à Internet. La dernière révision de ces règles date de 1988. Reporters sans frontières s’inquiète que la contre-offensive de pays aux traditions de contrôle du Web ne nuise à la liberté de circulation de l’information en ligne, et que la banalisation de pratiques de surveillance ne rendent les utilisateurs du net encore plus vulnérables. Les enjeux sont d’autant plus importants que la société civile est exclue des négociations, marquées par un manque de transparence dénoncé par de nombreuses ONG. Reporters sans frontières appelle les États membres à préserver Internet, au cours de leurs négociations, en tant qu’espace d’échanges et de liberté, et à rejeter toute proposition contraire à la liberté d’expression et d’information qui viendrait justifier des efforts de censure. Les Emirats Arabes Unis ont introduit, le 7 décembre 2012, une proposition inquiétante, disponible sur le site WCITLeaks et soutenue par plusieurs pays, dont la Russie, la Chine, l’Arabie Saoudite, l’Algérie et le Soudan. Elle est destinée à étendre de manière drastique le contrôle de l’UIT sur Internet, pas seulement aux grands opérateurs de télécommunications, comme le préconisent notamment les autorités américaines, mais également à un certain nombre de plateformes et de réseaux sociaux. L’une de ses provisions remet en cause le rôle de l’ICANN et la manière dont le secteur privé gère aujourd’hui une partie de l’administration des adresses Web, en précisant que “les Etats membres ont le droit de gérer les noms, numéros, adresses et identifications des ressources utilisées sur Internet pour les communications internationales au sein de leur territoire”. L’ajout d’une nouvelle provision sur les questions de cybersécurité imposerait aux gouvernements de “prendre les mesures appropriées” afin de protéger “la sécurité physique et opérationnelle des réseaux”, de lutter contre le spam et de protéger les données personnelles. Certains gouvernements pourraient s’appuyer sur cette provision pour justifier la mise en place de mécanismes de blocage et de filtrage. Reporters sans frontières s’inquiète également des révélationsfaites, le 4 décembre 2012, quant à la validation de recommandations par l'UIT-T d’un standard international pour l’utilisation du Deep Packet Inspection (DPI). Ce type de technologie a en effet pour objectif d’inspecter le contenu des paquets transitant sur le réseau Internet. L’utilisation du DPI peut ainsi permettre d’accéder au contenu d’e-mails, de conversations instantanées et d’échanges par VoIP. L’utilisation du DPI constitue non seulement une grave atteinte à la neutralité du Net mais aussi une atteinte majeure à la confidentialité des échanges en ligne. La standardisation de l’utilisation du DPI pour les “Réseaux de nouvelle génération” permettrait à certains Etats de justifier au regard du droit international, l’écoute et la récupération d’informations sur des internautes, dissidents ou journalistes. L’adoption de la standardisation du DPI sans la création d’un cadre juridique limitant strictement son utilisation à la maintenance du réseau n’est pas acceptable. Reporters sans frontières rappelle que le DPI a été utilisé en Libye pour intercepter les communications d’opposants politiques. La société privée Amesys, éditrice d’une solution utilisant le DPI, Eagle, fait l’objet d’une poursuite pour complicité d’actes de torture en Libye. L’opacité des procédures de la Conférence mondiale des télécommunications internationales (CMTI) avait été dénoncée par la société civile bien en amont du sommet de Dubaï. Plus de 1 400 organisations, dont Reporters sans frontières, avaient signé la Déclaration en faveur de la protection de la liberté d'Internet. Une lettre, en date du 6 septembre dernier, a été adressée aux Etats membres et délégations de gouvernement, à l’initiative de l’ONG Center for Democracy and Technology, s’opposant à ce que l’UIT deviennent une autorité régulatrice d’Internet. Parmi les campagnes de mobilisation de la société civile : -*La campagne de l’Internet Defense League -*La “boite à outils de l’activisme” de Mozilla -*Une vidéo de AccessNow et de Fight For the Future résume les principaux enjeux : https://www.whatistheitu.org/ Pour regarder les sessions webstreamées : http://www.itu.int/en/wcit-12/Pages/webcast.aspx. Photo : Main conference room on Day 8, at WCIT 2012, Dubai, UAE ©ITU
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Updated on 25.01.2016