Scandale du Predatorgate en Grèce : RSF dénonce le sabotage politique de l’enquête

À la suite des derniers développements de l’affaire du Predatorgate, Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement la paralysie intentionnelle de l’enquête par les autorités grecques. L’inquiétante convocation, en tant que suspects, d’anciens et actuels membres de l’Autorité hellénique pour la sécurité des communications et la protection de la vie privée (ADAE), et le transfert surprise de l’enquête à la procureure de la Cour suprême apparaissent comme de graves obstructions politiques.

Dans le scandale du Predatorgate, qui a révélé la surveillance ciblée de journalistes par un logiciel espion, l’enquête est au point mort et les institutions grecques semblent déterminées à entraver sa progression. Récemment, la justice grecque a convoqué l’ancienne membre du conseil d’administration de l'ADAE, l’organisme de surveillance de la vie privée, Katerina Papanikolaou et l’actuel membre Stefanos Gritzalis, ainsi que deux autres employés. Ils sont tous accusés d’avoir révélé des secrets d’État à l’une des premières cibles du logiciel espion Predator, le journaliste Thanasis Koukakis, nommé pour le Prix RSF de la liberté 2023 dans la catégorie Impact. “Il est remarquable que le système judiciaire grec, qui n’a jusqu’à présent – après 18 mois – toujours rien fait ni inculpé personne pour l’utilisation du logiciel espion, s’empresse de poursuivre deux membres de l’organe de surveillance qui n’ont fait que leur devoir”, a réagi Christos Rammos, président de l’ADAE, devant le Comité des libertés civiles (LIBE) du Parlement européen, le 26 octobre dernier.

Mais ce n’est pas tout : le 23 octobre, la procureure de la Cour suprême Georgia Adilini a ordonné le transfert de l’enquête du Predatorgate du parquet de première instance à la Cour suprême. Cette décision inattendue est intervenue au moment même où les procureurs chargés de l’enquête s’apprêtaient à comparer la liste des cibles du logiciel espion avec celle de l’Agence nationale de renseignement grec (EYP). Ils comptaient en effet vérifier l’existence d’éventuelles correspondances entre les 88 propriétaires des 92 numéros de téléphone, dont plusieurs journalistes, ciblés par Predator, selon les données révélées par l’Autorité hellénique de protection des données (DPA), et la liste des personnes dont la confidentialité des communications téléphoniques a été levée par l’EYP.

Si l’on en croit les informations ayant récemment fuité dans les médias grecs, le nombre de correspondances entre les cibles de Predator et de l'EYP atteindrait jusqu’à 40 personnes. Selon les derniers articles, certaines personnes auraient été infectées par Predator via des SMS envoyés “en l’espace de quelques heures” par le téléphone mobile d’une personnalité politique “qui a occupé une fonction gouvernementale importante jusqu’à l’été 2022”.

“La paralysie intentionnelle de l’enquête du Predatorgate en Grèce est inacceptable et constitue une atteinte à l’état de droit dans le pays. Nous exhortons les autorités juridiques grecques à accélérer l’enquête sans plus tarder et à autoriser immédiatement la comparaison des listes de la DPA et de l’EYP, ainsi qu’à engager enfin des poursuites. Pourquoi les autorités grecques persistent-elles à paralyser l’enquête tout en ciblant, sans aucune justification, ceux qui œuvrent à faire toute la lumière sur cette affaire ? Ce honteux sabotage politique de l’enquête doit cesser.

Pavol Szalai
Responsable du bureau UE-Balkans de RSF

Une enquête retardée

La comparaison des listes, qui pourrait constituer une preuve de la mise sur écoute arbitraire de journalistes par les autorités grecques, a sans cesse été retardée. Lorsque la liste du DPA a été remise au parquet de première instance cet été, un délai de deux mois après les élections législatives grecques avait été imposé avant toute prise de décision. Par ailleurs, la prescription de cinq ans pour les délits simples en Grèce soulève des mêmes inquiétudes. Le transfert de l’affaire à la Cour suprême pourrait entraîner l’expiration du délai de prescription, ce qui rendrait les poursuites impossibles.

Ces nouveaux développements dans l’enquête du Predatorgate interviennent quelques semaines seulement après que le gouvernement grec ait brusquement changé la composition du conseil d’administration de l’ADAE, réduisant à néant les tentatives en cours pour éclaircir l’affaire.

Interrogée par RSF sur les raisons du renvoi de l’affaire devant la Cour suprême, la procureure Georgia Adilini, visiblement dérangée à l’idée de s’expliquer, s’est emportée contre RSF, déclarant que les questions de l’organisation n’étaient “pas dignes de journalistes” et que “presque tous les partis d’opposition et une partie des médias plaident depuis longtemps avec persistance pour élever l’enquête judiciaire au plus haut niveau”. Concernant un lien possible entre le transfert de l’affaire à la Cour suprême et la demande des deux anciens procureurs de comparer les deux listes, la procureure de la Cour suprême a expliqué que “[vous] devriez savoir que la phase spécifique de l’enquête, la phase préliminaire, est régie par le principe du secret, qui protège l’accusé (et le “suspect”), tout en mettant en œuvre la présomption d’innocence qui prévaut dans la législation européenne”.

La Grèce occupe le 107e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023, se classant ainsi dernier des pays de l’Union européenne.

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