Sabotage de Raajje TV : les médias au coeur de l’affrontement politique
Organisation :
Reporters sans frontières condamne fermement l’intrusion criminelle dans les locaux de la chaîne d’opposition Raajje TV, qui a été réduite au silence au matin du 7 août 2012.
“Cette attaque ciblée et bien préparée constitue malheureusement l’aboutissement prévisible de l’escalade verbale du nouveau pouvoir à l’encontre de Raajje TV. La réponse que les autorités apporteront à l’incident aura valeur de test pour leur attachement au pluralisme de l’information, a déclaré l’organisation. Nos craintes concernant la situation de la presse, exprimées à la suite de la prise de pouvoir de l’actuel président Mohammed Waheed Hassan, le 7 février dernier, étaient donc malheureusement justifiées. La polarisation croissante de la sphère médiatique maldivienne en un dualisme “pro-Nasheed” / “pro-Hassan” a atteint un niveau toxique. La première victime en est le droit de diffuser et de recevoir une information indépendante.”
Au cours des derniers mois, de nombreux professionnels des médias ont été arrêtés, agressés et intimidés en marge des manifestations organisées par les sympathisants de l’ex-président Mohamed Nasheed en faveur d’élections anticipées. Tout en appelant l’ensemble des parties au calme et à la réflexion sur le rôle qu’elles doivent jouer dans un débat démocratique, Reporters sans frontières condamne les attaques répétées des autorités contre les journalistes.
“Le gouvernement et la police portent une lourde responsabilité dans le pourrissement de la situation. Au lieu d’œuvrer à la mise en place d’un environnement sain pour le développement d’une presse libre et plurielle, ils ont exacerbé les rivalités en instrumentalisant la presse à des fins politiques. Nous demandons aux autorités de modérer leur discours à l’encontre de Raajje TV, de garantir la tenue d’une enquête complète et impartiale sur le sabotage des locaux de la chaîne, et de veiller à ce que les journalistes ne subissent pas d’autres attaques. Dans le même temps, nous invitons les journalistes de Raajje TV à bien distinguer leur engagement politique de leur activité professionnelle”, a ajouté l’organisation.
Raajje TV réduite au silence
Le 7 août 2012, entre 7 et 8 heures du matin, des intrus sont entrés par effraction dans les locaux de Raajje TV et ont sectionné des câbles essentiels au fonctionnement de la chaîne. Selon Abdulla Yamin, directeur général adjoint de la chaîne, les auteurs de l’infraction connaissaient bien les lieux. Le système de sécurité électronique du bâtiment a en effet été neutralisé au préalable.
La diffusion des programmes est donc suspendue pour l’instant. Les câbles nécessaires au remplacement de ceux qui ont été coupés coûtent cher et doivent être importés. Abdulla Yahim a cependant déclaré que tous les efforts étaient déployés pour que la diffusion reprenne dans les vingt-quatre heures.
La chaîne d'opposition sous le feu nourri des autorités Cette attaque intervient alors que Raajje TV, proche du MDP (Maldivian Democratic Party) du président déchu Mohamed Nasheed, est la cible de nombreuses déclarations hostiles émanant de la police et des autorités. Lors d’une conférence de presse, le 24 juillet 2012, le ministre de l’Intérieur, Mohamed Jameel, a qualifié Raajje TV et le MDP d’“ennemis de l’Etat”. Il a accusé la chaîne d’avoir diffusé des “allégations infondées” de violences policières contre des manifestants, au cours des manifestations consécutives au changement de régime , le 7 février. Le commissaire de police Abdulla Riyaz a ensuite accusé Raajje TV de se livrer à un “journalisme irresponsable” . Selon le commissaire, un reportage sur des vols de carburant de moto perpétrés par des policiers, diffusé la veille, n’avait pour but que de nuire délibérément à l’image des forces de l’ordre. Établissant un lien direct entre les reportages de Raajje TV et l'assassinat d’un policier, le 22 juillet 2012, les services de police ont annoncé qu’ils n’avaient pas fourni de protection à l’équipe de la chaîne présente pour couvrir ses funérailles, en rétorsion contre ses propos “diffamatoires”. De son côté, Raajje TV se dit victime de discrimination dans l’accès aux sources d’information officielles depuis février 2012. La rédaction s’est plainte de faire l’objet d’un véritable harcèlement policier. Bras de fer avec les instances de régulation indépendantes Les attaques officielles contre Raajje TV se doublent de menaces du gouvernement à l’encontre des organismes de régulation, accusés de laxisme par rapport à la chaîne d’opposition et au MDP. Celles-ci visent essentiellement la Commission électorale et la Commission de l’audiovisuel des Maldives (Maldives Broadcasting Commission, MBC). Fin juillet, le ministre de la Justice, Mme Azima Shukoor, a déclaré à Television Maldives (TVM) : “(l’appel à la violence de la part du MDP) est un fait. (...) L’absence de réaction des institutions de supervision indépendantes a mis en péril le processus démocratique aux Maldives. (...) Les institutions censées être responsables ne font pas leur travail. (Nous devons) prendre des mesures contre elles. L'exécutif mènera le travail juridique nécessaire (...). Nous soumettrons la question au Majlis (NDLR: assemblée législative)”. Fuad Thawfeeq, de la Commission électorale, a répondu qu’il ne limiterait pas les libertés d’expression et de rassemblement garanties par la Constitution, et qu’il ne céderait pas aux menaces et aux intimidations. La MBC, quant à elle, a demandé à Raajje TV de “s’excuser” pour son reportage sur le vol de carburant par des policiers. Violences indiscriminées lors des manifestations L’affrontement politique ne se traduit pas seulement par une joute verbale. A Malé (capitale), les manifestations de juillet en faveur d’élections anticipées ont donné lieu de plusieurs agressions contre des professionnels des médias, de la part de la police comme des manifestants. Un correspondant présent sur place a raconté à Reporters sans frontières que les médias pro-MDP étaient menacés par la police, tandis que les manifestants s’en prenaient aux médias défendant le gouvernement en place. Des cartes de presse ont été utilisées par les manifestants pour accéder aux espaces sécurisés par la police. Dans le même temps, des groupes ont été payés pour perturber les manifestations afin de justifier l’intervention des forces de l’ordre. Qu’ils couvrent les manifestations ou qu’ils y participent, les journalistes ont été pris en étau dans les rassemblements et ont reçu des coups de bâton et des jets de gaz asphyxiant. Lundi 9 juillet, les reporters Asward Ibrahim Waheed, de Raajje TV, et Ali Naseer, de Cable News Maldives (CNM), ont été interpellés quelques heures par les forces de l’ordre, alors qu’ils filmaient un policier en train d’immobiliser un manifestant. Le lendemain, Mohamed Ameeth, reporter pour la chaîne DhiTV, un média historiquement opposée au MDP, aurait été pris à partie par des manifestants. Le 11 juillet, le journaliste de Minivan Daily, Ahmed Haisam, et le cameraman de Raajje TV, Ahmed Shanoon, ont été agressés par la police. Le même jour, Reporters sans frontières a appris que Murshid Abdul Hakeem, du site d’informations Sun Online, avait dû être hospitalisé, inconscient, après avoir été atteint à la tête par un objet lancé par un manifestant. Face à cette situation chaotique, dans laquelle responsables et victimes d’exactions se confondent régulièrement, la Maldives Journalist Association (MJA) a appelé les médias à ne pas prendre part aux manifestations. Selon la MJA, en participant aux rassemblements, les journalistes agissent comme des “activistes politiques”, en une violation de leur code déontologique. L’association a mis en garde contre l’usage des médias comme “instruments politiques” au service des partis, et a demandé aux autorités de garantir un environnement favorable au journalisme indépendant. Six mois après le renversement du président Mohamed Nasheed par Mohamed Waheed Hassan, la situation politique est toujours extrêmement tendue aux Maldives. L’ex-président a été accusé, à la mi-juillet, d’avoir fait détenir illégalement un juge lorsqu’il était au pouvoir. Le 24 juillet, l’ancien ministre de l’Intérieur Hassan Mahir a été arrêté pour “incitation à la violence” contre la police dans un discours prononcé lors d’un rassemblement MDP à Usfasgandu. Le 2 août, Mohamed Nasheed a subi un interrogatoire, suite à la diffusion par la police de l’enregistrement d’une conversation du 29 mai dernier entre l’ex-président et le député (MDP) Mariya Ahmed Didi. Celle-ci prouverait la responsabilité directe de Mohamed Nasheed et de son parti dans l’”incitation aux violences” contre la police. Pour le MDP, cette affaire a été montée de toutes pièces pour éviter que l’ancien président ne participe aux élections à venir. Les Maldives se situaient à la 73e place sur 179 dans le classement mondial de la liberté de la presse 2011-2012 de Reporters sans frontières. La situation des médias s’est toutefois sérieusement dégradée depuis sa publication, antérieure aux événements de février 2012. Crédits photo: AFP PHOTO/STR
La chaîne d'opposition sous le feu nourri des autorités Cette attaque intervient alors que Raajje TV, proche du MDP (Maldivian Democratic Party) du président déchu Mohamed Nasheed, est la cible de nombreuses déclarations hostiles émanant de la police et des autorités. Lors d’une conférence de presse, le 24 juillet 2012, le ministre de l’Intérieur, Mohamed Jameel, a qualifié Raajje TV et le MDP d’“ennemis de l’Etat”. Il a accusé la chaîne d’avoir diffusé des “allégations infondées” de violences policières contre des manifestants, au cours des manifestations consécutives au changement de régime , le 7 février. Le commissaire de police Abdulla Riyaz a ensuite accusé Raajje TV de se livrer à un “journalisme irresponsable” . Selon le commissaire, un reportage sur des vols de carburant de moto perpétrés par des policiers, diffusé la veille, n’avait pour but que de nuire délibérément à l’image des forces de l’ordre. Établissant un lien direct entre les reportages de Raajje TV et l'assassinat d’un policier, le 22 juillet 2012, les services de police ont annoncé qu’ils n’avaient pas fourni de protection à l’équipe de la chaîne présente pour couvrir ses funérailles, en rétorsion contre ses propos “diffamatoires”. De son côté, Raajje TV se dit victime de discrimination dans l’accès aux sources d’information officielles depuis février 2012. La rédaction s’est plainte de faire l’objet d’un véritable harcèlement policier. Bras de fer avec les instances de régulation indépendantes Les attaques officielles contre Raajje TV se doublent de menaces du gouvernement à l’encontre des organismes de régulation, accusés de laxisme par rapport à la chaîne d’opposition et au MDP. Celles-ci visent essentiellement la Commission électorale et la Commission de l’audiovisuel des Maldives (Maldives Broadcasting Commission, MBC). Fin juillet, le ministre de la Justice, Mme Azima Shukoor, a déclaré à Television Maldives (TVM) : “(l’appel à la violence de la part du MDP) est un fait. (...) L’absence de réaction des institutions de supervision indépendantes a mis en péril le processus démocratique aux Maldives. (...) Les institutions censées être responsables ne font pas leur travail. (Nous devons) prendre des mesures contre elles. L'exécutif mènera le travail juridique nécessaire (...). Nous soumettrons la question au Majlis (NDLR: assemblée législative)”. Fuad Thawfeeq, de la Commission électorale, a répondu qu’il ne limiterait pas les libertés d’expression et de rassemblement garanties par la Constitution, et qu’il ne céderait pas aux menaces et aux intimidations. La MBC, quant à elle, a demandé à Raajje TV de “s’excuser” pour son reportage sur le vol de carburant par des policiers. Violences indiscriminées lors des manifestations L’affrontement politique ne se traduit pas seulement par une joute verbale. A Malé (capitale), les manifestations de juillet en faveur d’élections anticipées ont donné lieu de plusieurs agressions contre des professionnels des médias, de la part de la police comme des manifestants. Un correspondant présent sur place a raconté à Reporters sans frontières que les médias pro-MDP étaient menacés par la police, tandis que les manifestants s’en prenaient aux médias défendant le gouvernement en place. Des cartes de presse ont été utilisées par les manifestants pour accéder aux espaces sécurisés par la police. Dans le même temps, des groupes ont été payés pour perturber les manifestations afin de justifier l’intervention des forces de l’ordre. Qu’ils couvrent les manifestations ou qu’ils y participent, les journalistes ont été pris en étau dans les rassemblements et ont reçu des coups de bâton et des jets de gaz asphyxiant. Lundi 9 juillet, les reporters Asward Ibrahim Waheed, de Raajje TV, et Ali Naseer, de Cable News Maldives (CNM), ont été interpellés quelques heures par les forces de l’ordre, alors qu’ils filmaient un policier en train d’immobiliser un manifestant. Le lendemain, Mohamed Ameeth, reporter pour la chaîne DhiTV, un média historiquement opposée au MDP, aurait été pris à partie par des manifestants. Le 11 juillet, le journaliste de Minivan Daily, Ahmed Haisam, et le cameraman de Raajje TV, Ahmed Shanoon, ont été agressés par la police. Le même jour, Reporters sans frontières a appris que Murshid Abdul Hakeem, du site d’informations Sun Online, avait dû être hospitalisé, inconscient, après avoir été atteint à la tête par un objet lancé par un manifestant. Face à cette situation chaotique, dans laquelle responsables et victimes d’exactions se confondent régulièrement, la Maldives Journalist Association (MJA) a appelé les médias à ne pas prendre part aux manifestations. Selon la MJA, en participant aux rassemblements, les journalistes agissent comme des “activistes politiques”, en une violation de leur code déontologique. L’association a mis en garde contre l’usage des médias comme “instruments politiques” au service des partis, et a demandé aux autorités de garantir un environnement favorable au journalisme indépendant. Six mois après le renversement du président Mohamed Nasheed par Mohamed Waheed Hassan, la situation politique est toujours extrêmement tendue aux Maldives. L’ex-président a été accusé, à la mi-juillet, d’avoir fait détenir illégalement un juge lorsqu’il était au pouvoir. Le 24 juillet, l’ancien ministre de l’Intérieur Hassan Mahir a été arrêté pour “incitation à la violence” contre la police dans un discours prononcé lors d’un rassemblement MDP à Usfasgandu. Le 2 août, Mohamed Nasheed a subi un interrogatoire, suite à la diffusion par la police de l’enregistrement d’une conversation du 29 mai dernier entre l’ex-président et le député (MDP) Mariya Ahmed Didi. Celle-ci prouverait la responsabilité directe de Mohamed Nasheed et de son parti dans l’”incitation aux violences” contre la police. Pour le MDP, cette affaire a été montée de toutes pièces pour éviter que l’ancien président ne participe aux élections à venir. Les Maldives se situaient à la 73e place sur 179 dans le classement mondial de la liberté de la presse 2011-2012 de Reporters sans frontières. La situation des médias s’est toutefois sérieusement dégradée depuis sa publication, antérieure aux événements de février 2012. Crédits photo: AFP PHOTO/STR
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Updated on
20.01.2016