RSF soutient Cumhuriyet face aux pressions d’Erdogan
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Depuis qu’il a publié des éléments qui attesteraient de la livraison d’armes par les services secrets turcs (MIT) à des rebelles islamistes syriens, le journal Cumhuriyet est sous le coup d’une enquête judiciaire. Le 1er juin 2015, le président de la République Recep Tayyip Erdogan a personnellement accusé son rédacteur en chef d’“espionnage” et promis qu’“il ne s’en sortira(it) pas comme cela”.
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Reporters sans frontières (RSF) dénonce les intenses pressions dont fait l’objet le quotidien indépendant Cumhuriyet de la part de l’exécutif turc. Déjà poursuivi pour avoir repris la Une du “numéro des survivants” de Charlie Hebdo en janvier 2015, le journal se retrouve à nouveau dans l’œil du cyclone. Le 29 mai, il a publié des photos et une vidéo suggérant que des camions affrétés par les services secrets turcs à destination de la Syrie en 2014 étaient bien chargés d’armes.
Le jour même, le parquet d’Istanbul ouvrait une enquête contre le quotidien et son rédacteur en chef, Can Dündar, sur le fondement de la loi antiterroriste. Le procureur Irfan Fidan a du même coup requis le blocage de tout contenu reprenant les images incriminées sur Internet, affirmant que celles-ci “portent atteinte aux intérêts (...) de l’État turc et sont susceptibles de mettre en danger la sécurité nationale”. Trois jours plus tard, Recep Tayyip Erdogan a annoncé à la télévision qu’il avait personnellement porté plainte contre Can Dündar pour “espionnage”. “Celui qui a commis ce crime va le payer cher. Il ne s’en sortira pas comme cela”, a-t-il menacé, tout en accusant Cumhuriyet d’agir pour le compte de la confrérie Gülen, ancien allié du gouvernement devenu son pire ennemi.
“Nous demandons au président de la République de cesser ses menaces à l’encontre de la presse et d’arrêter d’interférer avec la justice. Le parquet d’Istanbul doit abandonner sur le champ ses poursuites, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. La politique syrienne d’Ankara est un élément important du débat public turc, la population est donc en droit de savoir si son gouvernement a livré des armes et à qui. Si l’exécutif est au pied du mur, il ne peut en rendre coupable Cumhuriyet qui n’a fait que son travail d’information.”
A deux reprises, en janvier 2014, des véhicules affrétés par la MIT avaient été interceptés par la police avant de passer la frontière, alimentant les analyses sur une lutte de pouvoir entre l’exécutif turc et des pans de la justice sous l’influence de la communauté religieuse de Fethullah Gülen. Les policiers et magistrats responsables des fouilles avaient été promptement sanctionnés et toute mention de cette affaire dans les médias avait été interdite. Depuis lors, les autorités ont toujours nié que les camions transportaient des armes.
Les révélations de Cumhuriyet constituent donc un rebondissement majeur dans ce dossier explosif, d’autant qu’elles interviennent à moins d’une semaine des élections législatives. Pressé de s’expliquer, l’exécutif a multiplié les déclarations contradictoires tout en maintenant que l’“aide” de la Turquie était destinée à la communauté turkmène de Syrie et non à des factions islamistes. Or, d’après la plupart des observateurs, la région vers laquelle se dirigeaient les camions était aux mains de groupes tels que Jabhat Al-Nosra ou l’État islamique (EI).
RSF apporte son soutien total à Can Dündar, qui invoque le droit du public à être informé. Le journaliste résume sa position dans une chronique du 1er juin, intitulée: “Nous sommes des journalistes, pas des fonctionnaires d’État”. Outre cette affaire, Can Dündar est également appelé à comparaître pour “insulte” à Recep Tayyip Erdogan”.
Retrouver le précédent communiqué de presse de RSF sur l’affaire des camions de la MIT
(Photo: Cumhuriyet)
Publié le
Updated on
20.01.2016