Plusieurs acteurs politiques et de la société civile ont dénoncé, début août, la manipulation de l’information par la chaîne publique
RTNC, qui prend la forme d’une campagne pour préparer un possible troisième mandat du président Joseph Kabila. Le mandat du président prendra fin en novembre 2016 et la constitution congolaise ne lui permet pas de se représenter. D’après les informations dont dispose RSF, des antennes de la
RTNC auraient été installées dans toutes les villes du pays, et les journalistes de la chaîne publique subissent des pressions internes et externes pour mettre en avant les actions du gouvernement, ne pas critiquer le pouvoir, et ne pas laisser d’espace de parole à l’opposition.
RSF a pu récolter plusieurs témoignages de journalistes de la
RTNC, tant à Kinshasa que dans d’autres antennes provinciales du pays. Ces derniers ont souhaité garder l’anonymat par crainte de représailles. L’un d’eux déclare ainsi : «
On nous a dernièrement instruit de toujours commencer et de mettre en avant les consignes du gouvernement et de ne jamais critiquer le pouvoir. Si vous osez, vous êtes punissable, d’ailleurs vous n’avez aucune chance que votre papier qui critique ou dénonce le pouvoir passe au conseil de rédaction. Moi ça gêne mon indépendance et j’ai décidé de ne plus soumettre de papiers à la rédaction. » .
«
Il suffit qu’un message du gouverneur de province tombe sur notre table… Toute la rédaction est mobilisée sur ce papier, même lorsqu’il y a plus important. Les consignes de la part de ses services sont claires : on doit contribuer à maintenir le pouvoir sinon, on va couler avec », confie un autre journaliste de la chaîne à RSF. Le constat est accablant : les journalistes du média sont soumis à l’autocensure et doivent suivre les directives de la hiérarchie par crainte de perdre leur travail.
Dans le contexte de cette pré-campagne de la majorité au pouvoir, d’élections locales fin août et fin octobre, et de la restructuration administrative avec la loi sur le découpage territorial et la décentralisation
adoptée le 9 janvier 2015, toute forme de pression contre des médias ou journalistes ajoute au climat général d’autocensure et de tensions envers les acteurs de l’information.
Des pressions contre les voix dissidentes
Selon des informations parvenues à Journaliste en danger (JED), le journaliste
François Mada, directeur de publication du journal
La Manchette, a été convoqué le 6 août 2015 au parquet de grande instance de Kinshasa/ Kalamu. Il y a été longuement sermonné au sujet d'un article intitulé : "Enseignement Supérieur et Universitaire. Situation explosive au CIDEP" dénonçant la mauvaise gestion au sein de cet établissement universitaire. A la suite de cette audition, le journaliste a été mis en état d'arrestation. Il a été relâché après avoir payé une somme de 150 dollars américains.
Le 10 août dernier, plusieurs hommes armés ont raflé des exemplaires du journal
C-News dans différents points de vente de Kinshasa, selon la direction du média. Cet acte de censure envers le journal s’ajoute à une longue liste d’actes de harcèlement dont il fait l’objet depuis plusieurs mois. Le 13 juillet, Dido Zamangwana, distributeur de
C-News, a été appréhendé place Victoire, à Kinshasa, et placé en détention par les services de renseignement congolais (ANR) alors qu’il vendait l’édition du jour du journal.
Dans une lettre adressée, mardi 14 juillet 2015, au Vice-premier Ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité, Evariste Boshab, JED a exigé des explications et des sanctions concernant cette grave atteinte à la liberté d’informer. En l’absence de toute justification officielle de cette attaque flagrante contre la presse et indigne d’un état de droit, JED a dénoncé cet acte barbare qui ne peut rester impuni et qui ne doit plus se répéter.
Depuis, l’avocat du média a exprimé ses inquiétudes quant à l’illégalité de sa détention et a demandé de pouvoir s’entretenir avec
Dido Zamangwana et exigé que le motif de son incarcération soit rendu public. En tant que distributeur Zamangwana ne peut pas être poursuivi pour délit de presse. L’éditeur de
C-News Mike Mukebaye est resté détenu pendant onze mois entre août 2014 et juillet 2015 sans que le dossier contre lui ne comporte de plainte recevable légalement. Le directeur de publication Yves Buya serait aujourd’hui « traqué » et ses bureaux scellés.
Mardi 21 juillet 2015,
Simon Mulowa, directeur de
Full Contact Radio, station émettant à Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï Central (Centre de la RDC), a été placé en garde à vue, au cachot du parquet de grande instance de Kananga avant d’être transféré à la prison centrale de Kananga. Le journaliste répondait à une convocation d’un magistrat à la suite d’une émission radio sur quelques dysfonctionnements constatés dans la mise en place de la nouvelle province.
Simon Mulowa a été libéré le même jour aux alentours de 18 heures (heure locale) après plus de 10 heures de détention. Il a été demandé au journaliste de se représenter au parquet le lendemain.
«
Reporters sans frontières demande la libération de Dido Zamangwan, déclare Virginie Dangles, rédactrice en chef de l’organisation.
Il est intolérable que le distributeur de journal se voit refuser l’accès à ses avocats, comme la Constitution congolaise l’y autorise.
Par ailleurs, RSF dénonce le harcèlement dont est victime le média C-News. Dans le contexte actuel, ces pressions ne font qu’accroître la peur des journalistes et médias congolais, propice à l’autocensure. RSF est particulièrement inquiète pour la situation des médias congolais dans les mois à venir, alors que les échéances électorales approchent. »
Pour sa part, Journaliste en Danger demande aux autorités congolaises de faire cesser ces atteintes flagrantes à la liberté de l’information, et de créer un environnement de travail rassurant pour les journalistes en perspective des échéances politiques majeures auxquelles doit faire face la RD Congo dans les jours et mois à venir. «
Il ne peut y avoir des élections libres, transparentes et apaisées, sans la liberté pour les journalistes de diffuser toutes les informations électorales importantes, et de critiquer des dysfonctionnements dans la processus sans être inquiété » a déclaré Tshivis Tshivuadi, Secrétaire général de JED.
En provinces, RSF et JED recensent également des cas troublants d’atteinte à la liberté de l’information. Il s’agit, notamment de la saisie de matériel par l’ANR de la télévision et radio
Canal Orient à Kisangani. Le média est propriété du député John Ilongo Tokole, opposant au gouverneur de la province lors de l’élection de 2013. Aucun motif officiel n’a été communiqué pour la saisie de ce matériel entre le 1er et le 3 août dernier.
A Uvira, ville située à 120 km du Bukavu, chef lieu de la province du Sud-Kivu,
Brinal Nundu, journaliste à
Canal 7 TV, chaîne privée émettant à Kinshasa, capitale de la RDC, a été arrêté en plein exercice de sa profession, samedi 8 août 2015, par un groupe d’agents de l’ANR. Le journaliste a été détenu dans le cachot de ce service des renseignements avant d’être libéré trois jours après, le 11 août 2015 dans la soirée.
Brinal Nundu a effectué le déplacement à Uvira pour réaliser une série de reportages sur la situation des réfugiés Burundais dans le territoire d’Uvira. Le journaliste s’était également rendu au siège de l’organisation « Action Ku Saïdia » Il a été appréhendé par des agents de l’ANR au moment où il réalisait des interviews avec le personnel de cette organisation. Le journaliste a été conduit au siège local de l’ANR où il a été gardé pendant 72 heures avant d’obtenir une libération conditionnelle. Ses pièces d’identités et son matériel de travail étaient confisqués. Il a été demandé au journaliste de pouvoir se présenter vendredi 14 août 2015 dans la matinée au bureau local de l’ANR pour être auditionné sur le motif réel de sa présence dans les installations de l’organisation « Action Ku Saïdia ». Contacté par JED, Brinal Nundu a déclaré qu’il a été accusé d’avoir réalisé son reportage dans l’enclos de l’organisation « Action Ku Saïdia » sans l’autorisation préalable de l’ANR.
Ces types de pression sont à prendre très au sérieux dans un pays où
82 journalistes ont été arrêtés ou interpellés entre 2013 et 2014, et où 60 on été battus et menacés sur la même période dans l’impunité la plus totale. Ainsi dans un rapport publié à l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’impunité en 2014, le JED indique que près de 50% des atteintes à la liberté de la presse en RDC sont le fait de personnes identifiables dans l’armée, la police ou encore les services de sécurité qui n’ont pas à craindre des poursuites judiciaires. Lors des élections de 2006 et 2011 les médias publics se consacraient à la campagne électorale des candidats proches du pouvoir, tandis que les journalistes qui diffusaient des informations différentes subissaient des pressions afin d’être réduits au silence. Le 16 avril dernier RSF et JED apprenaient avec effroi l’assassinat du journaliste de radio
Soleil Balanga par le fils du superviseur de l’hopital de Mokonto, furieux des informations diffusé par le journaliste sur l’affectation d’un médecin pour remplacer son père. Plusieurs mois après les faits, la procédure judicaire n’a toujours pas avancé.
La RDC est 150ème sur 180 pays au Classement de la liberté de la presse publié par RSF en février 2015.