RSF et 9 organisations partenaires lancent un appel aux autorités du Guatemala : “Sans liberté de la presse, il n’y a pas de démocratie”

A un mois de l’élection présidentielle, Reporters sans frontières (RSF) et neuf organisations internationales de défense de la liberté de la presse et des droits de l'homme ont effectué une mission d'observation au Guatemala pour rencontrer des journalistes et des représentants des médias. Dans une déclaration commune, elles révèlent les conclusions préliminaires de leur visite dans le pays et appellent le gouvernement à respecter la liberté de la presse, indispensable pour garantir la démocratie et la légitimité du processus électoral.

Sans liberté de la presse, il n’y a pas de démocratie

Nous appelons les autorités à respecter la liberté d'expression et à protéger la liberté de la presse, indispensables pour garantir la démocratie et la légitimité du processus électoral

À un mois des élections générales, les neufs organisations signataires ont participé et/ou soutenu une mission dans le pays, dont l’objectif était d'analyser l'état de la liberté de la presse au Guatemala. Nous nous sommes rendus dans différentes régions du territoire national et nous nous sommes entretenus avec des journalistes pour connaître les circonstances dans lesquelles ils exercent leurs activités, et les défis auxquels ils sont confrontés. Nous avons rencontré des dirigeants de médias, des représentants d'organisations de la société civile et des autorités de l'État afin de mesurer leurs efforts pour garantir la liberté de la presse, et connaître les initiatives qu’ils ont entrepris dans ce but. 

La conclusion à laquelle nous sommes parvenus est extrêmement préoccupante, non seulement pour le droit des journalistes à informer, mais surtout en ce qui concerne le droit des citoyens à être informés, pour pouvoir prendre leurs décisions librement, et en toute connaissance de cause.

Au Guatemala, un climat d'intimidation, de réduction au silence et de restriction du libre exercice du journalisme s'intensifie. Dans un contexte où seulement 16% de la population, selon un récent sondage de Prensa Libre, fait confiance au Tribunal suprême électoral pour garantir un processus électoral démocratique, de telles restrictions à la presse pourraient ternir la crédibilité du scrutin et de son résultat.

La persécution des journalistes n'est pas une nouveauté dans le pays. Le Guatemala a un historique de menaces pesant sur la presse, en particulier la presse locale dans les territoires où les entreprises nationales et internationales s'associent au crime organisé et aux autorités locales pour faire taire les enquêtes journalistiques. La mission a aussi observé que la presse est de plus en plus considérée comme une menace pour l'alliance des acteurs étatiques et privés, créée pour contrôler les institutions et entretenir la corruption et l'impunité dans le pays. Dans cette optique, le harcèlement et les poursuites en justice contre les journalistes sont devenus une nouvelle forme de censure, qui a commencé pendant la présidence de Jimmy Morales. Elle s'est intensifiée sous l'administration d'Alejandro Giammattei et pourrait être consolidée lors de ces élections.

L’arrestation et les deux procès visant José Rubén Zamora, les enquêtes visant des journalistes d’El Periódico et l’asphyxie financière de ce média, qui a conduit à sa fermeture le 22 mai, sont un exemple de la façon dont ce système répressif choisit des cibles stratégiques pour intimider la presse en général. Oser dénoncer la corruption et l'impunité qui rongent l'État guatémaltèque a suffi à déclencher la persécution. Malheureusement, le cas d’El Periódico n'est pas isolé.

A la veille des élections, dans un pays qui se veut démocratique, cette mission a constaté d'autres cas inquiétants pour le journalisme sous toutes ses formes - comme les poursuites contre Carlos Choc et Robinson Ortega, l'emprisonnement arbitraire d'Anastasia Mejía, la détention illégale de Norma Sancir et l'agression subie par Sonny Figueroa.

De plus en plus souvent, les journalistes préfèrent ne pas signer leurs chroniques ou leurs reportages par crainte de représailles. Les journalistes deviennent des cibles et peuvent être sommés de révéler leurs sources ou se retrouver sur le banc des accusés lorsqu'ils couvrent des affaires criminelles particulièrement emblématiques. Une vingtaine de journalistes ont quitté le pays après avoir été menacés ou poursuivis en justice à cause de leur couverture journalistique incommodante pour le pouvoir. D'autres sont sous surveillance ou ont reçu des menaces de mort, y compris de la part de candidats aux élections. L'instrumentalisation de la communication officielle et la pression gouvernementale sur les annonceurs renforcent cet effort pour bâillonner la presse. Le harcèlement et l'intimidation en ligne constants, auxquels des structures sont entièrement dédiées, comme la Fundación Contra el Terrorismo, poussent aussi les journalistes à l'autocensure. Le machisme, le racisme, l'homophobie et le racisme de classe font partie des facteurs aggravants de la violence que subissent les journalistes en raison de leur travail.

La réponse de l'État à cette situation est insuffisante. Bien que le pays dispose d'un parquet spécialisé dans les crimes contre les journalistes, la plupart des cas d'intimidation et d'agression contre la presse ne font pas l'objet d'enquêtes ou restent impunis, de même que les récents cas de meurtres de journalistes, comme celui de Mario Ortega en 2020. Tous les journalistes et les représentants de la société civile interrogés par cette mission se méfient ou ne croient pas à l'efficacité de cet organe. Dans ce contexte, le bureau du procureur en charge des droits de l'homme, qui devrait faire un suivi des cas d'agression contre la presse, ne remplit pas non plus activement sa mission. Alors que l'État est inefficace pour enquêter sur les attaques contre la presse et protéger les journalistes, il est prompt à les accuser et à les poursuivre en justice.

L'accès aux données publiques est restreint et la loi qui devrait garantir cet accès à l'information n'est pas respectée, en violation flagrante du droit de la population à contrôler le travail des dirigeants. Le manque de transparence affecte également le Tribunal suprême électoral, où une note interne empêche les responsables de parler à la presse.

Compte-tenu de cette très grave situation, nous concluons que sans presse libre et indépendante, il ne peut y avoir d'élections libres et justes, et sans elles, il ne peut y avoir de véritable démocratie, c'est pourquoi l'État du Guatemala doit prendre des mesures urgentes pour garantir le droit d’informer et d'être informé.

Par conséquent, nous appelons les autorités à respecter et à protéger la liberté d'expression et de la presse, indispensables pour garantir la démocratie et la légitimité du processus électoral, en assurant des conditions sûres et favorables à l'exercice du travail journalistique dans tout le pays. La mission exhorte aussi la communauté internationale à ne pas renoncer à son devoir de promouvoir et de défendre les droits de l'homme dans le monde.

Enfin, nous reconnaissons le travail courageux des journalistes au Guatemala et leur contribution à la construction d'une société plus juste, plurielle et démocratique.

Organisations signataires:

ARTICLE 19 pour le Mexique et l'Amérique centrale

Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ)

Free Press Unlimited

Freedom House

Fundación para la Libertad de Prensa (FLIP)

Fundamedios

IFEX-ALC

Protection International Mesoamerica

Reporters Sans Frontières (RSF)

Voces del Sur

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