Détenu depuis 10 mois dans la prison d’Evin à Téhéran,
Jason Rezaian, correspondant irano-américain du
Washington Post à Téhéran, est accusé "d'espionnage", de "collaboration avec des gouvernements hostiles", de "collecte d'informations confidentielles et de “propagande contre la République islamique." La deuxième audience de son procès à huis clos s’est ouvert le 7 juin 2015 devant la 15e chambre du tribunal de la révolution de Téhéran.
Or, selon les informations obtenues par RSF, les preuves selon laquelle l'acte d'accusation a été établi reposent uniquement sur des emails personnels ou administratifs dans lesquels ont été sortis de leur contexte des bouts de phrases de correspondance, et pour lesquels le journaliste a subi de nombreuses pressions. En réalité, le dossier est vide. Et après près de 11 mois d’acharnement des gardiens de la révolution sur le journaliste et sa famille, il n'y a aucune preuve tangible qui vient étayer les accusations portées contre lui.
Pressions physiques et psychologiques
De nombreuses irrégularités ont été constatées lors de la première audience du procès de Jason Rezaian, le 26 mai dernier, notamment l’obtention par la pression d’aveux et le huis clos qui n’aurait pas dû être appliqué.
Les «aveux» sont couramment obtenus lorsque l'accusé est placé à l’isolement, sans possibilité de communiquer avec sa famille, ni ses avocats, ce qui engendre de facto une pression psychologique susceptible d’inciter les prévenus à “avouer”. C’est le cas de Jason Rezaian, détenu dans la section “sécurité 2A” de la prison d'Evin sous le contrôle des gardiens de la révolution.
L’article 38 de la Constitution iranienne établit pourtant que l'exercice de « la contrainte sur des personnes pour les amener à témoigner, avouer ou prêter serment n'est pas autorisé » et indique que « tout témoignage, aveu ou serment obtenu sous la contrainte est sans valeur ».
Par ailleurs, la justice iranienne, et particulièrement les tribunaux révolutionnaires, recourent presque systématiquement aux procès à huis clos alors que l’article 168 de la Constitution iranienne établit que les procès pour des délits «politiques» ou des délits de «presse» doivent être publics.
La justice entre les mains du Guide suprême
La justice iranienne n’est en rien indépendante. Selon l’article 110 de la Constitution de la République islamique d’Iran, le chef du système judiciaire est nommé par le Guide suprême. Quant au président de la 15e chambre du tribunal de la révolution de Téhéran,
Aboughasem Salevati, il est depuis des années l’un des bourreaux des journalistes et net-citoyens, et est accusé d’être impliqué dans des exactions qui pourraient constituer des crimes contre l’humanité.
L’accusation d’espionnage et de collaboration avec des Etats étrangers sont les chefs d’inculpation retenus à l’encontre de la plupart des journalistes arrêtés et emprisonnés en Iran. Adnan Hassanpour, Mohammad Sedegh Kabodvand sont également détenus pour ce motif. Dans le passé, ce fut le cas de Siamak Pourzand (2000), Hossein Ghazian, Abbas Abdi, (2004), Parnaz Azima, Ramin Jahabeglou (2006), Mohammad Hassin Falahieh Zadeh, Ali Farahbakhsh (2007), Roxana Saberi(2008), Marcus Hellwig et Jens Koch, deux journalistes allemands (2010). Tous ont été condamnés pour espionnage par la justice iranienne. La plupart ont reconnu les charges retenues contre eux après avoir subi de fortes pressions physiques et psychologiques.
Rezaian est pour sa part victime de la guerre de pouvoir que se livrent différentes factions au sein du régime. Le journaliste est également instrumentalisé par le régime qui procède depuis 1979 à des prises d’otages afin d’échanger ces prisonniers étrangers (ou ayant une double nationalité) à des agents iraniens détenus à l’étranger. Ce chantage s’exerce malheureusement avec la complicité de pays démocratiques, et particulièrement des États-Unis, qui ont à plusieurs reprises plié face aux exigences des autorités iraniennes.
Retour sur les faits
Le 22 juillet 2014, Jason Rezaian et son épouse
Yeganeh Salehi, également journaliste pour
The National, un journal basé aux Emirats arabes unis, ainsi que deux autres ressortissants américains, ont été arrêtés par des agents en civil des gardiens de la révolution à leur domicile de Téhéran. Lors de la perquisition, leur appartement a été saccagé, et l’ensemble des équipements informatiques confisqué. Les deux ressortissants américains ont été libérés provisoirement un mois plus tard. Yeganeh Salehi a, elle, été libérée provisoirement le 4 octobre 2014 contre le versement d’une lourde caution dans l’attente de son jugement.
Le 12 avril 2015,
Farsnews, l’agence de presse proche des gardiens de la Révolution, avait annoncé que “le journaliste était accusé d’espionnage et allait être jugé pour avoir "vendu des informations économiques et industrielles à la CIA.” Le Washington Post, par la voix de Martin Baron, son rédacteur en chef, répliquait le jour même en qualifiant les informations de l’agence iranienne d’”absurdes” et en dénonçant "un manque inacceptable d’accès à tout conseil juridique au cours des neuf derniers mois d’emprisonnement du journaliste”.
Le 18 avril 2015, le quotidien extrémiste
Vatan-é Emrooz, proche des gardiens de la Révolution et de l’ancien président de la République Mahmoud Ahmadinejad, publiait un article délirant en Une. Sous le titre «dévoiler les secrets de Jason», le quotidien accusait le journaliste d’infiltration dans les institutions et le gouvernement afin de dévoiler le système établi par le pays pour contourner les sanctions internationales.
Le 20 avril 2015, l’avocate du journaliste, Leila Ahsan, exposait à l’Agence France-Presse les charges retenus contre Rezaian et expliqué qu’elle n’avait pu s’entretenir avec lui pour la première fois que début mars.
La famille du journaliste a de son côté demandé à l’administration Obama « de faire de la libération de Jason Rezaian une de ses priorités”. Son frère Ali s’est adressé directement aux autorités iraniennes : “Maintenant qu’un accord a été trouvé, nous demandons aux dirigeants iraniens d’examiner les preuves que leurs sous-fifres prétendent détenir à l’encontre de Jason”.
A ce jour, plus de 400 000 personnes ont signé la
pétition relayée par RSF pour la libération du journaliste. Une dizaine de figures emblématiques du monde médiatique, notamment Noam Chomsky, Anderson Cooper, Christiane Amanpour, Marty Baron et John Hughes President du National Press Club, ont cosigné, avec Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, une lettre adressée au chef du pouvoir judiciaire, Sadegh Amoli Larijani, demandant la libération immédiate du correspondant du
Washington Post.
L’Iran est classé 173e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2015 de Reporters sans frontières.