"A Roxana Saberi, Iranienne au passeport américain"

Bhaman Ghobadi, réalisateur iranien, a redigé une letter ouverte suite a l'arrestation et la condamnation de Roxana Saberi. "Si je me suis tu jusqu'à présent, c'était pour elle. Si à présent je parle, c'est encore pour elle. C'est mon amie, ma fiancée et ma compagne .. Une jeune femme intelligente et talentueuse, qui a toujours été pour moi source d'admiration. C'était le 31 janvier, le jour de mon anniversaire. Le matin même elle m'avait appelé pour me dire qu'elle viendrait chez moi pour que nous allions dehors ensemble. Elle n'est pas venue… Je l'ai appelée sur son portable. Il était éteint, et pendant un ou deux jours je ne savais pas ce qui était arrivé. Je suis allé chez elle, et comme nous avions les clefs l'un de l'autre, je suis entré, mais elle n'y était pas. Deux jours plus tard, elle m'appela et dit "Pardonne-moi, mon chéri, j'ai été obligée de partir a Zahedan". Je me suis mis en colère: pourquoi ne m'avait-elle rien dit? Je ne la croyais pas. Elle me répétat: " Pardonne-moi, j'ai ete obligée". La ligne fut coupée et j'attendis qu'elle me rappelle. Mais elle ne rappela pas. Elle ne rappela pas. Je partis pour Zahedan. Je la cherchais dans tous les hôtels, mais personne n'avait entendu parler d'elle. Pendant dix jours, mille idées folles me vinrent a l'esprit. Jusqu'à ce que j'apprenne par son père qu'elle avait été arrêtée. J'ai cru qu'il s'agissait d'une blague. J'ai cru a une erreur, qu'on la libèrerait au bout de deux ou trois jours. Mais plusieurs jours passèrent et je restais sans nouvelles de Roxana. Je me suis inquiété et j'ai frappé a toutes les portes, jusqu'à ce que je comprenne ce qu'il s'était vraiment passé. C'est les larmes aux yeux que je dis qu'elle est innocente et irréprochable. Moi qui la connais depuis des années, moi qui ai été a ses côtés à chaque instant. Elle était toujours occupée à lire et faire avancer son travail de recherche, rien de plus. Pendant toutes ces années ou nous nous connaissions, elle n'allait nulle part sans m'en tenir au courant, ni ne faisait rien sans me demander mon avis. A ses amis, sa famille, et ses proches, elle n'avait pas non plus donné de signe d'inquiétude. Comment se fait-il que quelqu'un qui pouvait passer des jours sans sortir de chez elle, sauf pour me rendre visite, quelqu'un qui, telle une Japonaise, se contentait de peu, qui avait parfois du mal à faire les fins de mois; quelqu'un qui cherchait à rencontrer un éditeur local pour publier son livre ici (en Iran), soit aujourd'hui accusée d'espionnage? Nous savons tous – non, nous avons tous vu dans les films- que les espions sont rusés et sans scrupules, qu'ils fouinent à droite à gauche et qu'ils sont bien payés. Et j'ai le cœur plein de remords. Car c'est moi qui l'ai persuadée de rester ici. Et maintenant je ne peux plus rien faire pour elle. Roxana voulait quitter l'Iran. C'est moi qui l'en ai empêché. Des le début de notre relation, elle voulait rentrer aux Etats-Unis. Elle aurait aimé qu'on parte ensemble. Mais j'ai insisté pour qu'elle reste jusqu'à ce que mon nouveau film soit terminé. Elle tenait à quitter l'Iran, et c'est moi qui l'en ai empêché. Et maintenant je suis effondré qu'à cause de moi elle soit restée et qu'elle soit victime de ces évènements. Ces dernières années, j'ai été sujet à une dépression sérieuse. Pourquoi? Parce que mon dernier film a été interdit et ne se trouvait que sur le marché noir. Mon film suivant n'a pas obtenu d'autorisation, et on m'a assigné à résidence. Si je l'ai supporté jusqu'à aujourd'hui, c'est grâce à la présence et l'aide que m'a apporté son esprit. Comme je n'avais pas obtenu d'autorisation pour mon film, j'étais devenu nerveux et irascible, et elle était toujours la pour m'inciter à me calmer. Roxana voulait quitter l'Iran. C'est moi qui l'en ai empêché. C'est elle qui a soigné ma dépression. Puis je l'ai persuadée de rester, je voulais qu'elle écrive le livre qu'elle avait déjà commencé dans sa tête. Je l'ai accompagné, j'ai mobilisé les amis et les contacts que j'avais, j'ai frappé à toutes les portes et lui ai fait rencontré des réalisateurs, des artistes, des sociologues, des homes politiques, et tant d'autres. Je l'y accompagnais moi-même. Son livre était crucial pour elle, au point de rester et de tout supporter, jusqu'à ce que mon film soit terminé et que nous partions ensemble. Le livre de Roxana était tout entier un éloge de l'Iran. Le manuscrit du livre existe, il sera sûrement publié un jour, et tous s'en rendront compte. Mais enfin pourquoi se sont-ils tous tus? Tous ceux qui ont parlé, travaillé, se sont assis avec elle et qui savent à quel point elle était sans reproches. Si j'écris cette lettre c'est parce que je suis inquiet pour elle. Inquiet pour sa santé. J'ai entendu qu'elle déprimait et pleurait sans cesse. Elle est sensible au point de ne plus toucher à ses repas. Ma lettre est un appel à tous les hommes d'Etats et responsables politiques, ainsi qu'à tous ceux qui peuvent faire quelque chose. Depuis l'autre côté de l'océan, les Américains ont dénoncé son emprisonnement, au nom de sa nationalité américaine. Moi je dis que non. Elle est Iranienne et elle aime l'Iran Je vous en supplie, laissez-la tranquille! Je vous en supplie, n'en faites pas le jouet de la politique des grands! Elle est bien trop faible et trop pure pour participer à vos jeux. Laissez-moi assister à son procès, m'asseoir aux cotés de son père et de sa mère, et témoigner de son innocence. Pourtant, je suis optimiste à propos de sa libération, et j'espère qu'à la prochaine étape du procès, son verdict sera revu et annulé. Mon iranienne aux yeux de Japonaise, au passeport américain, est en prison. Honte à moi! Honte à nous!
Publié le
Updated on 20.01.2016