Retour de la presse indépendante : entre espoir et résignation
Organisation :
Fatigués par plusieurs années d'inactivité dues à la suspension de la presse indépendante, et dans l'attente que leurs journaux obtiennent enfin une licence pour pouvoir travailler à nouveau, les journalistes de la presse privée zimbabwéenne sont tiraillés entre espoir et résignation, a constaté Reporters sans frontières, au cours d'une mission d'enquête menée à Harare, du 20 au 23 mars 2010. L’organisation se rendait pour la première fois au Zimbabwe, après plusieurs années sans pouvoir obtenir de visa pour ce pays.
"La presse zimbabwéenne a suffisamment souffert de la chape de plomb imposée ces dernières années par les autorités. Il est temps que le gouvernement d'union nationale prouve sa volonté de réformer la législation sur les médias et d'ouvrir le paysage médiatique. L'heure des déclarations est passée. Nous demandons au Zimbabwe Media Council d'accorder dans les meilleurs délais des licences aux organes de presse qui en feront la demande", a déclaré Reporters sans frontières, qui rappelle que le Zimbabwe se situe à la 136e place, sur 175 pays, dans le classement mondial 2009 de la liberté de la presse établi par l'organisation.
Lors de sa mission à Harare, le responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières a rencontré le vice-ministre des Médias, de l'Information et de la Communication, également conseiller du Premier ministre, Jameson Timba ; l'avocate Beatrice Mtetwa ; le photojournaliste Shadreck Anderson Manyere ; les directions et membres de la rédaction de The Zimbabwe Independent, The Standard, NewsDay, The Financial Gazette, ainsi que du défunt Daily News. L'organisation s'est également entretenue avec les responsables du Media Institute of Southern Africa – Zimbabwe (Misa-Zimbabwe), de la Media Alliance of Zimbabwe (MAZ) et des associations Zimbabwe Journalists for Human Rights (ZJHR) et Zimbabwe Lawyers for Human Rights (ZLHR), ainsi qu'avec un correspondant de la presse étrangère et un représentant de la presse publique. Reporters sans frontières regrette de ne pas avoir pu rencontrer le président du Zimbabwe Media Council (ZMC), lequel n'a pas souhaité accorder un entretien.
Lois scélérates Au début des années 2000, la presse zimbabwéenne était encore une des plus vigoureuses d'Afrique. La population se ruait chaque jour sur les journaux, notamment le quotidien privé The Daily News. Dirigé par des journalistes expérimentés, il était connu pour son indépendance, ses informations fiables et son sérieux. "C'était un journal très vivant et quand il est apparu sur le marché, nous épuisions les numéros pratiquement chaque jour. Nous vendions plus d'exemplaires que The Herald, le quotidien d'Etat", confie Annie Musemburi-Musodza, l'ancienne assistante de Geoffrey Nyarota, à l'époque rédacteur en chef du journal. Puis, en 2002, le chef de l'Etat, Robert Mugabe, qui figure depuis plusieurs années dans la liste des "prédateurs de la liberté de la presse" établie par Reporters sans frontières, a fait voter la loi sur "la protection de la vie privée et l'accès à l'information" (AIPPA). Cette loi, interdisant l'investissement étranger dans les organes de presse, avait pour unique but de tuer The Daily News, dont l'un des actionnaires était écossais. A l'AIPPA s'est s'ajoutée la promulgation, le 6 août 2007, d’une loi sur "l’interception des communications". Celle-ci, venant renforcer la paranoïa de l’appareil politique et policier, accorde au gouvernement et à la police le droit d’intercepter, de lire ou d’écouter les courriels et les communications par téléphone portable, sans l’obligation d’engager une procédure judiciaire. Ce cadre législatif liberticide, permettant une surveillance étroite des journalistes et un contrôle permanent sur les médias, est l'un des principaux freins au développement des organes de presse au Zimbabwe. Un problème que la Media Alliance of Zimbabwe (MAZ) a décidé de combattre. A travers le Media Law Reform Project, cette coalition d'organisations milite auprès des parlementaires pour que les lois sur la presse soient modifiées en profondeur et pour que, entre autres, la "liberté des médias" vienne s'ajouter à la liberté d'information dans la Constitution du Zimbabwe. Fin mars 2010, le Premier ministre, Morgan Tsvangirai, a rappelé quelles étaient les priorités de son gouvernement. La présentation devant le Parlement d'un projet de loi sur la liberté de l'information (Freedom of Information Bill), ayant vocation à remplacer l'AIPPA, et d'un projet de loi sur les professionnels des médias (Media Practitioners Bill) figure en bonne place. L'hebdomadaire indépendant The Standard affirme, dans son édition du 21-27 mars 2010, que le gouvernement compte avoir achevé cette réforme avant la fin de l'année. Le Zimbabwe Media Council et le retour de la presse indépendante Cet organisme, qui remplace la Commission des médias et de l'information (Media and Information Commission - MIC), est chargé de délivrer aux journaux leurs licences et devrait permettre à la presse indépendante de renaître. Depuis des mois, il promet ces sésames qui ne viennent pas. "Il ne faut pas chercher midi à 14 heures. Le ZMC est là pour sauver les médias. Il doit se mettre au travail", estime l'avocate Beatrice Mtetwa. Constitué dès 2009, le ZMC a officiellement annoncé son lancement lors d'une réunion inaugurale le 18 mars 2010. Entre-temps, après de longues tergiversations et d'âpres négociations entre le Zanu-PF (parti du chef de l'Etat, Robert Mugabe) et le Movement for Democratic Change (MDC, parti de Morgan Tsvangirai, Premier ministre), les neuf commissaires avaient enfin été nommés. Il s'agit de Godfrey Majonga (président), Nqobile Nyathi (vice-président), Chris Mutsvangwa, Matthew Takaona, Chris Mhike, Henry Muradzikwa, Lawton Hikwa, Miriam Madziwa et Millicent Mombeshora. Ces derniers ont pour mission de recueillir et d'étudier les demandes formulées par les organes de presse. Lors d'une rencontre avec les rédacteurs en chef de tous les organes de presse du Zimbabwe, début mars 2010, le chef de l'Etat en personne a demandé au ZMC de commencer à travailler, de remplir sa fonction et d'ouvrir l'espace des médias. Le Premier ministre assure pour sa part que les commissaires ont les mains libres pour travailler. Mais rien ne bouge et tout se passe comme si le ZMC tâchait de gagner du temps. Lors de son séjour à Harare, Reporters sans frontières a souhaité s'entretenir avec le président de cet organe. Malgré plusieurs tentatives, cette demande n'a pas été satisfaite. Godfrey Majonga a d'abord affirmé n'avoir rien à dire de plus que ce qu'il avait déclaré lors de la réunion du 18 mars, puis a prétendu ne pas pouvoir s'exprimer seul, le ZMC étant une commission collective. "Il est en poste depuis sept jours seulement, a tempéré le vice-ministre des Médias, de l'Information et de la Communication, Jameson Timba. Laissez-lui un peu de temps." Interrogé par Reporters sans frontières, Jethro Goko, le directeur de l'Associated Newspapers of Zimbabwe (ANZ), l'entreprise à laquelle appartiennent les journaux privés The Daily News et The Daily News on Sunday, a rappelé qu'un jugement de la Haute Cour, en 2006, avait été favorable à son entreprise. "Nous sommes prêts. Nous attendons simplement que le ZMC nous accorde notre licence, mais nous ne présenterons pas de nouveau dossier puisqu'une décision validée il y a quatre ans prouve que nous sommes en règle, a-t-il affirmé. L'ANZ n'a pas beaucoup de ressources, mais nous sommes résolus à fournir au peuple zimbabwéen des journaux crédibles et de qualité." Un autre quotidien privé, NewsDay, a décidé de ne pas attendre sa licence pour travailler. En 2009, quand le quotidien a menacé de paraître, même sans licence, le secrétaire permanent du ministère de la Communication, George Charamba, a annoncé que ses journalistes seraient arrêtés. L'équipe est constituée, les journalistes travaillent et pour l'instant, NewsDay paraît dans un format de quatre pages, à l'intérieur des hebdomadaires The Standard et The Zimbabwe Independent. Contrôle de l'Etat sur les médias publics et harcèlement de la presse indépendante
En attendant que le ZMC contribue à faire évoluer le paysage des médias, celui-ci reste sclérosé et soumis à un fort contrôle de l'Etat. Les journalistes des médias d'Etat, par exemple, ont les mains liées par leurs rédacteurs en chef, eux-mêmes aux ordres du pouvoir. L'autocensure est généralisée, le licenciement abusif une crainte permanente. En 2008, six reporters de la chaîne publique Zimbabwe Broadcasting Corporation (ZBC), avaient été licenciés pour avoir prétendument accordé une couverture insuffisante à Robert Mugabe pendant la campagne électorale. En mars 2010, la direction de la ZBC a retiré de l'antenne un présentateur de radio, Godfrey Gweje, au prétexte qu'il avait émis des "commentaires politiques subversifs". Il venait de dénoncer les faibles salaires des fonctionnaires (189 dollars US/mois), alors en grève pour demander un meilleur traitement. Une semaine plus tôt, le responsable de la rubrique Sports de l'hebdomadaire public Sunday News, Wellington Toni, avait été remercié par son employeur pour avoir fait état, sur un site Internet, de pratiques de corruption dans le quotidien régional public The Chronicle. "Nous ne pouvons pas exprimer nos opinions, a confié à Reporters sans frontières un représentant de la presse publique, sous couvert d'anonymat. Nous sommes des hommes, avec nos faiblesses, nous avons peur." Les journalistes freelance ou travaillant pour les hebdomadaires de la presse privée sont quant à eux régulièrement harcelés ou menacés. Ainsi, après avoir été interpellés ensemble en mai 2009, Constantine Chimakure et Vincent Kahiya, du Zimbabwe Independent, ont été poursuivis en justice pendant un an avant que les charges qui pesaient contre eux soient finalement abandonnées. Le 30 mars 2010, deux jours seulement après que le ministre de la Communication, Webster Shamu, avait déclaré que le harcèlement des reporters devait cesser, le journaliste freelance Stanley Gama a été convoqué au commissariat central d'Harare. Auteur d'un article dénonçant la corruption supposée d'un ministre, paru dans l'édition zimbabwéenne de The Sunday Times, publié en Afrique du Sud, il a été interrogé sur ses sources par l'officier de police Chrispen Makedenge. Deux mois plus tôt, le 15 janvier, ce même Chrispen Makedenge, impliqué dans de nombreux enlèvements de journalistes et de membres du MDC, avait menacé de mort le journaliste indépendant Stanley Kwenda, suite à la publication de l'un de ses articles dans le journal privé The Zimbabwean. Après que Chrispen Makedenge lui avait promis "qu'il ne passerait pas le week-end", le journaliste a décidé de fuir le pays pour préserver sa sécurité. Courant mars 2010, Nick Maunze, un agent de la Central Intelligence Organisation (CIO, les services de renseignements), a publiquement menacé Godfrey Mutimba, correspondant de l'hebdomadaire The Standard dans la province de Masvingo (sud d'Harare) : "Faites très attention jeune homme, très très attention car je peux vous réduire en poussière. Je me fiche de ce que vos journaux écrivent sur moi, ils sont nuls et ne servent à rien. Vos collègues et vous-même doivent savoir que j'ai eu affaire à de bien plus gros poissons que vous. C'est moi qui ai forcé Sikhala (activiste de l'opposition) à boire son urine quand il a été arrêté. Je peux tout à fait m'occuper de vous et vous ne pouvez rien contre moi." Ces cas ne sont que des exemples, parmi d'autres, des intimidations et pressions que subissent régulièrement les journalistes zimbabwéens. Shadreck Anderson Manyere : un photojournaliste sous pression Remis en liberté le 18 avril 2009, après quatre mois de détention, Shadreck Anderson Manyere a vécu une expérience comparable à celle de la célèbre journaliste et militante des droits de l'homme, Jestina Mukoko. Kidnappé en décembre 2008, brutalement interrogé, détenu dans des conditions très difficiles et torturé, Shadreck Manyere a été poursuivi en justice pour "actes de banditisme", "sabotage" et "terrorisme". Depuis un an, le photojournaliste doit se présenter chaque vendredi dans un commissariat de la capitale sous peine d'être à nouveau arrêté. Le journaliste ne peut donc accepter de mission en province, un handicap pour un professionnel freelance. Le 18 janvier 2010, Shadreck Manyere a été interpellé alors qu'il couvrait une manifestation organisée par des membres de l'association Women of Zimbabwe Arise (WOZA), puis relâché sans charge. Le 24 février, il a été contraint d'effacer ses photographies d'une manifestation de militants pro-Zanu-PF qui dénonçaient les sanctions de gouvernements occidentaux prises à l'encontre de dirigeants du parti, notamment Robert Mugabe. Enfin, le 1er mars, il a été arrêté au Tribunal d'Harare et conduit au commissariat central de la capitale. Il a été relâché le lendemain, après avoir payé une amende de 20 dollars. Il lui était reproché d'avoir pris des clichés des prisonniers qui arrivaient au tribunal, pour répondre d'accusations de complot contre le gouvernement, sans la permission des autorités. La caméra du journaliste a été confisquée. "Quand je couvre une manifestation ou un événement, la police me demande chaque fois 'Travaillez-vous pour The Herald ou la ZBC ?' Dès que je leur réponds que je suis freelance, ils cherchent à me confisquer mon appareil photo et m'emmènent souvent au poste de police", a confié Shadreck Manyere à Reporters sans frontières. "Ils s'acharnent contre lui, c'est certain, affirme l'avocate Beatrice Mtetwa. Ils veulent le pousser à bout et le contraindre à abandonner le métier." Trois ans de silence sur la mort du photographe Edward Chikomba Le 23 mars 2010, dernier jour de la mission de Reporters sans frontières, la police zimbabwéenne a effectué un raid contre une galerie d'art à Harare, pour décrocher plus d'une soixantaine de photographies exposées par l'association de défense des droits de l'homme ZimRights. La plupart des clichés avaient été pris lors de la préparation des élections de 2008. Elles montraient la répression brutale de manifestations ainsi que l’actuel Premier ministre, opposant à l'époque, Morgan Tsvangirai, au visage déformé, après qu’il avait été passé à tabac pendant sa détention. Edward Chikomba, cameraman freelance et ancien collaborateur de la Zimbabwe Broadcasting Corporation (ZBC), fait partie des photographes qui avaient pris des clichés de Morgan Tsvangirai. Le 31 mars 2007, il était retrouvé mort à Darwendale (60 km à l’ouest de Harare). Deux jours auparavant, il avait été kidnappé par quatre hommes soupçonnés d’être des agents des services de renseignements. Ces derniers, après s’être présentés à son domicile de Glen View, une banlieue populaire de la capitale, l’ont forcé à monter à bord d’un véhicule tout-terrain blanc, sous la menace d’armes à feu. Edward Chikomba était accusé d’avoir vendu ses images de Morgan Tsvangirai à des médias étrangers. Depuis son départ de l’équipe de production de l’émission "Vision 30", diffusée jusqu’en 2001 par la ZBC, Edward Chikomba continuait à réaliser des films de manière indépendante pour des particuliers ou des médias. Selon son épouse, qui a assisté à son kidnapping, Edward Chikomba se savait en danger puisqu’il lui aurait dit, à la vue des hommes venus l’enlever, « Je suis mort ». Depuis trois ans, aucune enquête sérieuse et indépendante n'a jamais été menée. Etant donné l'état actuel du paysage médiatique au Zimbabwe et le besoin urgent de restaurer la liberté de la presse dans ce pays, Reporters sans frontières recommande : - Au gouvernement zimbabwéen : de faire cesser les violences policières régulières à l'encontre des professionnels des médias ; d’encourager le plus rapidement possible un climat plus favorable à l’expression de journaux privés et indépendants ; et de libéraliser l'espace audiovisuel, aujourd'hui monopolisé par la ZBC. Les deux mouvances, Zanu-PF et MDC, devraient travailler de façon plus volontaire et concertée. Il est temps de passer de la parole aux actes. - Au Zimbabwe Media Council : de délivrer immédiatement des licences aux journaux qui en feraient la demande ; et de faire preuve de plus de transparence dans sa gestion en cessant d'être un organisme fermé dont on ne connaît pas les activités. - A la communauté internationale : (SADC, Union africaine, Union européenne, ONU, coopérations bilatérales) de faire davantage pression sur le Zimbabwe pour que l'ouverture du secteur de la presse soit une priorité dans le calendrier des réformes. - Au président sud-africain Jacob Zuma : en tant que facilitateur mandaté par la SADC pour obtenir la pleine application de l'accord de partage du pouvoir signé entre le Zanu-PF et le MDC, de se montrer plus ferme à l'égard de Robert Mugabe et du Zanu-PF. En ne coopérant pas pleinement avec le MDC, le chef de l'Etat zimbabwéen et son parti ont été à l'origine de plusieurs blocages dans l'application de l'accord de partage du pouvoir, empêchant ainsi le Zimbabwe d'avancer résolument dans la voie de la démocratisation. - Aux journalistes zimbabwéens : de tâcher d'échapper à la forte polarisation de la vie politique du pays, en ne prenant pas une posture pro-Zanu-PF ou pro-MDC, mais en respectant le principe de neutralité et d'objectivité afin d'informer au mieux le peuple zimbabwéen.
Lois scélérates Au début des années 2000, la presse zimbabwéenne était encore une des plus vigoureuses d'Afrique. La population se ruait chaque jour sur les journaux, notamment le quotidien privé The Daily News. Dirigé par des journalistes expérimentés, il était connu pour son indépendance, ses informations fiables et son sérieux. "C'était un journal très vivant et quand il est apparu sur le marché, nous épuisions les numéros pratiquement chaque jour. Nous vendions plus d'exemplaires que The Herald, le quotidien d'Etat", confie Annie Musemburi-Musodza, l'ancienne assistante de Geoffrey Nyarota, à l'époque rédacteur en chef du journal. Puis, en 2002, le chef de l'Etat, Robert Mugabe, qui figure depuis plusieurs années dans la liste des "prédateurs de la liberté de la presse" établie par Reporters sans frontières, a fait voter la loi sur "la protection de la vie privée et l'accès à l'information" (AIPPA). Cette loi, interdisant l'investissement étranger dans les organes de presse, avait pour unique but de tuer The Daily News, dont l'un des actionnaires était écossais. A l'AIPPA s'est s'ajoutée la promulgation, le 6 août 2007, d’une loi sur "l’interception des communications". Celle-ci, venant renforcer la paranoïa de l’appareil politique et policier, accorde au gouvernement et à la police le droit d’intercepter, de lire ou d’écouter les courriels et les communications par téléphone portable, sans l’obligation d’engager une procédure judiciaire. Ce cadre législatif liberticide, permettant une surveillance étroite des journalistes et un contrôle permanent sur les médias, est l'un des principaux freins au développement des organes de presse au Zimbabwe. Un problème que la Media Alliance of Zimbabwe (MAZ) a décidé de combattre. A travers le Media Law Reform Project, cette coalition d'organisations milite auprès des parlementaires pour que les lois sur la presse soient modifiées en profondeur et pour que, entre autres, la "liberté des médias" vienne s'ajouter à la liberté d'information dans la Constitution du Zimbabwe. Fin mars 2010, le Premier ministre, Morgan Tsvangirai, a rappelé quelles étaient les priorités de son gouvernement. La présentation devant le Parlement d'un projet de loi sur la liberté de l'information (Freedom of Information Bill), ayant vocation à remplacer l'AIPPA, et d'un projet de loi sur les professionnels des médias (Media Practitioners Bill) figure en bonne place. L'hebdomadaire indépendant The Standard affirme, dans son édition du 21-27 mars 2010, que le gouvernement compte avoir achevé cette réforme avant la fin de l'année. Le Zimbabwe Media Council et le retour de la presse indépendante Cet organisme, qui remplace la Commission des médias et de l'information (Media and Information Commission - MIC), est chargé de délivrer aux journaux leurs licences et devrait permettre à la presse indépendante de renaître. Depuis des mois, il promet ces sésames qui ne viennent pas. "Il ne faut pas chercher midi à 14 heures. Le ZMC est là pour sauver les médias. Il doit se mettre au travail", estime l'avocate Beatrice Mtetwa. Constitué dès 2009, le ZMC a officiellement annoncé son lancement lors d'une réunion inaugurale le 18 mars 2010. Entre-temps, après de longues tergiversations et d'âpres négociations entre le Zanu-PF (parti du chef de l'Etat, Robert Mugabe) et le Movement for Democratic Change (MDC, parti de Morgan Tsvangirai, Premier ministre), les neuf commissaires avaient enfin été nommés. Il s'agit de Godfrey Majonga (président), Nqobile Nyathi (vice-président), Chris Mutsvangwa, Matthew Takaona, Chris Mhike, Henry Muradzikwa, Lawton Hikwa, Miriam Madziwa et Millicent Mombeshora. Ces derniers ont pour mission de recueillir et d'étudier les demandes formulées par les organes de presse. Lors d'une rencontre avec les rédacteurs en chef de tous les organes de presse du Zimbabwe, début mars 2010, le chef de l'Etat en personne a demandé au ZMC de commencer à travailler, de remplir sa fonction et d'ouvrir l'espace des médias. Le Premier ministre assure pour sa part que les commissaires ont les mains libres pour travailler. Mais rien ne bouge et tout se passe comme si le ZMC tâchait de gagner du temps. Lors de son séjour à Harare, Reporters sans frontières a souhaité s'entretenir avec le président de cet organe. Malgré plusieurs tentatives, cette demande n'a pas été satisfaite. Godfrey Majonga a d'abord affirmé n'avoir rien à dire de plus que ce qu'il avait déclaré lors de la réunion du 18 mars, puis a prétendu ne pas pouvoir s'exprimer seul, le ZMC étant une commission collective. "Il est en poste depuis sept jours seulement, a tempéré le vice-ministre des Médias, de l'Information et de la Communication, Jameson Timba. Laissez-lui un peu de temps." Interrogé par Reporters sans frontières, Jethro Goko, le directeur de l'Associated Newspapers of Zimbabwe (ANZ), l'entreprise à laquelle appartiennent les journaux privés The Daily News et The Daily News on Sunday, a rappelé qu'un jugement de la Haute Cour, en 2006, avait été favorable à son entreprise. "Nous sommes prêts. Nous attendons simplement que le ZMC nous accorde notre licence, mais nous ne présenterons pas de nouveau dossier puisqu'une décision validée il y a quatre ans prouve que nous sommes en règle, a-t-il affirmé. L'ANZ n'a pas beaucoup de ressources, mais nous sommes résolus à fournir au peuple zimbabwéen des journaux crédibles et de qualité." Un autre quotidien privé, NewsDay, a décidé de ne pas attendre sa licence pour travailler. En 2009, quand le quotidien a menacé de paraître, même sans licence, le secrétaire permanent du ministère de la Communication, George Charamba, a annoncé que ses journalistes seraient arrêtés. L'équipe est constituée, les journalistes travaillent et pour l'instant, NewsDay paraît dans un format de quatre pages, à l'intérieur des hebdomadaires The Standard et The Zimbabwe Independent. Contrôle de l'Etat sur les médias publics et harcèlement de la presse indépendante
En attendant que le ZMC contribue à faire évoluer le paysage des médias, celui-ci reste sclérosé et soumis à un fort contrôle de l'Etat. Les journalistes des médias d'Etat, par exemple, ont les mains liées par leurs rédacteurs en chef, eux-mêmes aux ordres du pouvoir. L'autocensure est généralisée, le licenciement abusif une crainte permanente. En 2008, six reporters de la chaîne publique Zimbabwe Broadcasting Corporation (ZBC), avaient été licenciés pour avoir prétendument accordé une couverture insuffisante à Robert Mugabe pendant la campagne électorale. En mars 2010, la direction de la ZBC a retiré de l'antenne un présentateur de radio, Godfrey Gweje, au prétexte qu'il avait émis des "commentaires politiques subversifs". Il venait de dénoncer les faibles salaires des fonctionnaires (189 dollars US/mois), alors en grève pour demander un meilleur traitement. Une semaine plus tôt, le responsable de la rubrique Sports de l'hebdomadaire public Sunday News, Wellington Toni, avait été remercié par son employeur pour avoir fait état, sur un site Internet, de pratiques de corruption dans le quotidien régional public The Chronicle. "Nous ne pouvons pas exprimer nos opinions, a confié à Reporters sans frontières un représentant de la presse publique, sous couvert d'anonymat. Nous sommes des hommes, avec nos faiblesses, nous avons peur." Les journalistes freelance ou travaillant pour les hebdomadaires de la presse privée sont quant à eux régulièrement harcelés ou menacés. Ainsi, après avoir été interpellés ensemble en mai 2009, Constantine Chimakure et Vincent Kahiya, du Zimbabwe Independent, ont été poursuivis en justice pendant un an avant que les charges qui pesaient contre eux soient finalement abandonnées. Le 30 mars 2010, deux jours seulement après que le ministre de la Communication, Webster Shamu, avait déclaré que le harcèlement des reporters devait cesser, le journaliste freelance Stanley Gama a été convoqué au commissariat central d'Harare. Auteur d'un article dénonçant la corruption supposée d'un ministre, paru dans l'édition zimbabwéenne de The Sunday Times, publié en Afrique du Sud, il a été interrogé sur ses sources par l'officier de police Chrispen Makedenge. Deux mois plus tôt, le 15 janvier, ce même Chrispen Makedenge, impliqué dans de nombreux enlèvements de journalistes et de membres du MDC, avait menacé de mort le journaliste indépendant Stanley Kwenda, suite à la publication de l'un de ses articles dans le journal privé The Zimbabwean. Après que Chrispen Makedenge lui avait promis "qu'il ne passerait pas le week-end", le journaliste a décidé de fuir le pays pour préserver sa sécurité. Courant mars 2010, Nick Maunze, un agent de la Central Intelligence Organisation (CIO, les services de renseignements), a publiquement menacé Godfrey Mutimba, correspondant de l'hebdomadaire The Standard dans la province de Masvingo (sud d'Harare) : "Faites très attention jeune homme, très très attention car je peux vous réduire en poussière. Je me fiche de ce que vos journaux écrivent sur moi, ils sont nuls et ne servent à rien. Vos collègues et vous-même doivent savoir que j'ai eu affaire à de bien plus gros poissons que vous. C'est moi qui ai forcé Sikhala (activiste de l'opposition) à boire son urine quand il a été arrêté. Je peux tout à fait m'occuper de vous et vous ne pouvez rien contre moi." Ces cas ne sont que des exemples, parmi d'autres, des intimidations et pressions que subissent régulièrement les journalistes zimbabwéens. Shadreck Anderson Manyere : un photojournaliste sous pression Remis en liberté le 18 avril 2009, après quatre mois de détention, Shadreck Anderson Manyere a vécu une expérience comparable à celle de la célèbre journaliste et militante des droits de l'homme, Jestina Mukoko. Kidnappé en décembre 2008, brutalement interrogé, détenu dans des conditions très difficiles et torturé, Shadreck Manyere a été poursuivi en justice pour "actes de banditisme", "sabotage" et "terrorisme". Depuis un an, le photojournaliste doit se présenter chaque vendredi dans un commissariat de la capitale sous peine d'être à nouveau arrêté. Le journaliste ne peut donc accepter de mission en province, un handicap pour un professionnel freelance. Le 18 janvier 2010, Shadreck Manyere a été interpellé alors qu'il couvrait une manifestation organisée par des membres de l'association Women of Zimbabwe Arise (WOZA), puis relâché sans charge. Le 24 février, il a été contraint d'effacer ses photographies d'une manifestation de militants pro-Zanu-PF qui dénonçaient les sanctions de gouvernements occidentaux prises à l'encontre de dirigeants du parti, notamment Robert Mugabe. Enfin, le 1er mars, il a été arrêté au Tribunal d'Harare et conduit au commissariat central de la capitale. Il a été relâché le lendemain, après avoir payé une amende de 20 dollars. Il lui était reproché d'avoir pris des clichés des prisonniers qui arrivaient au tribunal, pour répondre d'accusations de complot contre le gouvernement, sans la permission des autorités. La caméra du journaliste a été confisquée. "Quand je couvre une manifestation ou un événement, la police me demande chaque fois 'Travaillez-vous pour The Herald ou la ZBC ?' Dès que je leur réponds que je suis freelance, ils cherchent à me confisquer mon appareil photo et m'emmènent souvent au poste de police", a confié Shadreck Manyere à Reporters sans frontières. "Ils s'acharnent contre lui, c'est certain, affirme l'avocate Beatrice Mtetwa. Ils veulent le pousser à bout et le contraindre à abandonner le métier." Trois ans de silence sur la mort du photographe Edward Chikomba Le 23 mars 2010, dernier jour de la mission de Reporters sans frontières, la police zimbabwéenne a effectué un raid contre une galerie d'art à Harare, pour décrocher plus d'une soixantaine de photographies exposées par l'association de défense des droits de l'homme ZimRights. La plupart des clichés avaient été pris lors de la préparation des élections de 2008. Elles montraient la répression brutale de manifestations ainsi que l’actuel Premier ministre, opposant à l'époque, Morgan Tsvangirai, au visage déformé, après qu’il avait été passé à tabac pendant sa détention. Edward Chikomba, cameraman freelance et ancien collaborateur de la Zimbabwe Broadcasting Corporation (ZBC), fait partie des photographes qui avaient pris des clichés de Morgan Tsvangirai. Le 31 mars 2007, il était retrouvé mort à Darwendale (60 km à l’ouest de Harare). Deux jours auparavant, il avait été kidnappé par quatre hommes soupçonnés d’être des agents des services de renseignements. Ces derniers, après s’être présentés à son domicile de Glen View, une banlieue populaire de la capitale, l’ont forcé à monter à bord d’un véhicule tout-terrain blanc, sous la menace d’armes à feu. Edward Chikomba était accusé d’avoir vendu ses images de Morgan Tsvangirai à des médias étrangers. Depuis son départ de l’équipe de production de l’émission "Vision 30", diffusée jusqu’en 2001 par la ZBC, Edward Chikomba continuait à réaliser des films de manière indépendante pour des particuliers ou des médias. Selon son épouse, qui a assisté à son kidnapping, Edward Chikomba se savait en danger puisqu’il lui aurait dit, à la vue des hommes venus l’enlever, « Je suis mort ». Depuis trois ans, aucune enquête sérieuse et indépendante n'a jamais été menée. Etant donné l'état actuel du paysage médiatique au Zimbabwe et le besoin urgent de restaurer la liberté de la presse dans ce pays, Reporters sans frontières recommande : - Au gouvernement zimbabwéen : de faire cesser les violences policières régulières à l'encontre des professionnels des médias ; d’encourager le plus rapidement possible un climat plus favorable à l’expression de journaux privés et indépendants ; et de libéraliser l'espace audiovisuel, aujourd'hui monopolisé par la ZBC. Les deux mouvances, Zanu-PF et MDC, devraient travailler de façon plus volontaire et concertée. Il est temps de passer de la parole aux actes. - Au Zimbabwe Media Council : de délivrer immédiatement des licences aux journaux qui en feraient la demande ; et de faire preuve de plus de transparence dans sa gestion en cessant d'être un organisme fermé dont on ne connaît pas les activités. - A la communauté internationale : (SADC, Union africaine, Union européenne, ONU, coopérations bilatérales) de faire davantage pression sur le Zimbabwe pour que l'ouverture du secteur de la presse soit une priorité dans le calendrier des réformes. - Au président sud-africain Jacob Zuma : en tant que facilitateur mandaté par la SADC pour obtenir la pleine application de l'accord de partage du pouvoir signé entre le Zanu-PF et le MDC, de se montrer plus ferme à l'égard de Robert Mugabe et du Zanu-PF. En ne coopérant pas pleinement avec le MDC, le chef de l'Etat zimbabwéen et son parti ont été à l'origine de plusieurs blocages dans l'application de l'accord de partage du pouvoir, empêchant ainsi le Zimbabwe d'avancer résolument dans la voie de la démocratisation. - Aux journalistes zimbabwéens : de tâcher d'échapper à la forte polarisation de la vie politique du pays, en ne prenant pas une posture pro-Zanu-PF ou pro-MDC, mais en respectant le principe de neutralité et d'objectivité afin d'informer au mieux le peuple zimbabwéen.
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20.01.2016