Mais pourquoi le président guinéen Alpha Condé s'est-il lancé dans une diatribe contre les journalistes et plus particulièrement contre l'organisation RSF, deux jours avant la visite de François Hollande ? Lors d'une conférence de presse, le chef de l’Etat guinéen s'est exprimé avec virulence et confusion, indiquant
“respecter la liberté de la presse” tout en accusant les journalistes de
“faire n’importe quoi”. “Je m’en fous (sic) de ce que Reporters sans frontières va écrire (...). Ce n’est pas eux qui dirigent la Guinée. Moi, je n’ai aucune crainte des lois internationales ou des droits de l’homme (...). Chacun va respecter la loi en Guinée, a-t-il déclaré. Et d’ajouter en parlant des journalistes :
“Ils peuvent écrire ce qu’ils veulent, cela n’a aucune importance. Je ne lis aucun journal, je ne vais pas sur Internet et je n’écoute pas les radios."
"A RSF, nous sommes très heureux de constater que M. Alpha Condé veuille faire appliquer la loi, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de l’organisation.
Mais il est dommageable que le président guinéen tienne des propos aussi acerbes contre une organisation qui défend simplement la liberté de l'information. Aux journalistes de son pays et à ceux de l'extérieur, cela donne l'image d'un chef de l'Etat incohérent. Qu'il affirme ne pas lire la presse, Internet ou écouter la radio, revient à signifier le peu de considération qu'il semble avoir vis-à-vis d'une fonction sociale pourtant essentielle pour l'exercice normal de la démocratie. Il n'est pas impossible que le président guinéen fasse preuve d'énervement car il sait très bien que son pays est moins un modèle qu'il ne le prétend. Les lois sur la presse de son pays y sont en réalité contournées. Nous lui suggérons d’ailleurs de commencer par faire appliquer la loi sur la presse qui est régulièrement bafouée dans son pays."
Le 12 novembre, le journaliste
Mamadou Saïdou Barry a été arrêté, sans mandat, par les gendarmes, pour un article qu'il avait publié sur
Afriquezoom.info. Alors que les délits par voie de presse sont dépénalisés en Guinée selon
la loi sur la presse de 2010, le journaliste se retrouve poursuivi au pénal pour "complicité d'offense au chef de l'Etat " et menacé de prison.
Reporters sans frontières prend également très au sérieux les attaques personnelles prononcées contre le correspondant historique de
Radio France internationale (RFI),
Moukhtar Bah et le refus des autorités guinéennes de renouveler son accréditation. Les arguments avancés par le pouvoir guinéen, selon lesquels aucun média international n'a deux correspondants dans le pays, en plus d’être infondés en droit, ne sont pas vérifiés dans les faits.
RFI fonctionne avec des équipes de correspondants dans de nombreux pays d’Afrique, notamment en Guinée.
La volonté de faire peser une menace permanente sur la presse internationale ne se limite pas à
RFI car depuis plusieurs mois, la plupart des correspondants n'ont pas pu renouveler leur accréditation. Volonté délibérée de fragiliser la presse internationale ou défaillance administrative ?
Pour les journalistes des médias guinéens, la question ne se pose pas.
Mandian Sidibé de
Planète FM,
déjà menacé en mai 2013 et
Diawara Moussa de
Beat FM ont été contraints à l'exil en septembre 2014 après avoir été victimes de menaces graves de la part des autorités. En l'espace d'un an, cinq journalistes ont été grièvement battus par les forces de l'ordre, sans compter les dizaines de journalistes brutalisés par des partisans du pouvoir lors des manifestations qui ont précédé les législatives de 2013.
Monsieur Alpha Condé, nous vous exhortons à faire en sorte que le droit des citoyens guinéens à une information libre soit effectivement respecté, afin que la Guinée ait, comme vous le souhaitez, "le destin qu'elle mérite".
Ecoutez l’extrait de la conférence
ici.
La Guinée est à la 102e place sur 180 pays selon l’édition 2014 du
Classement établi par Reporters sans frontières.