A l'occasion du sommet Afrique-France consacré à la jeunesse qui se tient à Bamako (Mali) du 3 au 4 décembre 2005, Reporters sans frontières publie quatre « Lettres à un jeune Africain qui veut devenir journaliste », rédigées par des professionnels accomplis du Cameroun, du Nigeria, de la République démocratique du Congo et du Zimbabwe. « Ces quatre témoignages montrent que malgré l'oppression, la pauvreté et l'indifférence, des journalistes africains font honneur à une profession à risques », a déclaré l'organisation.
A l'occasion du sommet Afrique-France consacré à la jeunesse qui se tient à Bamako (Mali) du 3 au 4 décembre 2005, Reporters sans frontières publie quatre « Lettres à un jeune Africain qui veut devenir journaliste », rédigées par des professionnels accomplis du Cameroun, du Nigeria, de la République démocratique du Congo et du Zimbabwe.
« Ces quatre témoignages sont instructifs. Ils nous montrent que malgré l'oppression, la pauvreté et l'indifférence, des journalistes africains font honneur à une profession à risques, a déclaré Reporters sans frontières. Les journalistes indépendants sont vitaux aux peuples et aux nations. Si elle veut sincèrement aider l'Afrique, la France doit défendre leur liberté. Et s'ils veulent défendre leurs intérêts, les chefs d'Etat africains devraient être fiers qu'une presse vigoureuse et responsable ait la liberté de les critiquer, sans risquer la prison ou la mort. »
Le métier de journaliste fait rêver dès l'adolescence, disent les quatre auteurs dans leur lettre. « Déjà, à l'école, écrit de son côté le Congolais Donat M'Baya Tshimanga, président de l'organisation Journaliste en danger (JED), je m'amusais à jouer au reporter lors des championnats scolaires. » Des figures de la profession servent souvent de modèle, à l'image des sportifs ou des stars de cinéma. Du reste, pour le Zimbabwéen Guthrie Munyuki, journaliste du Daily News, son cœur balançait entre la profession d'avocat, de journaliste ou de footballeur : « Enfant, je me voyais comme le prochain Mike Munyati, le journaliste de télévision de la Zimbabwe Broadcasting Corporation (ZBC) aujourd'hui disparu, ou bien comme Michel Platini, le footballeur plein de vivacité de l'équipe de France », écrit-il. Tous les quatre expliquent qu'ils étaient fascinés par le « rôle puissant » que joue ce métier. « Tu tiens à être journaliste ou rien, m'a-t-on dit ! » s'exclame le Camerounais Jules Koum Koum, directeur de publication du Jeune Observateur en s'adressant à un jeune « frangin » imaginaire. « En réalité, je devrais te féliciter pour ce choix qui fut également le mien, il y a dix-huit ans... »
« Mais j'ignorais que le monde médiatique, ce n'était pas une mince affaire, tempère le Nigérian Ayodele Ale, journaliste du Saturday Punch. Il faut faire preuve d'assiduité. L'information ne vous est pas apportée sur un plateau d'argent. La vraie information, l'information sérieuse, n'est pas facile à approcher. » De plus, la pauvreté est souvent un obstacle : combien d'enfants d'Afrique n'ont pas la chance d'aller à l'université, pour ne pas parler de l'école primaire ? Et même diplôme en poche, les choses ne sont pas simples pour les jeunes journalistes. Guthrie Munyuki raconte qu'à ses débuts, « toutes les portes étaient fermées », mais qu'il n'a pas abandonné. Un jour, la récompense arrive. Le premier article. « Ce fut une joie immense de savoir que j'étais lu par beaucoup de gens qui, du reste, ne me connaissaient pas », se souvient Donat M'Baya Tshimanga. « Je suis parfois profondément heureux de voir mes articles discutés par des gens qui ne savent pas qui je suis, même si je suis en leur présence », approuve Ayodele Ale.
Après un rêve aussi exaltant, le réveil est difficile. « Des côtes ont été cassées, des vies perdues, des gens harcelés ou torturés », raconte Guthrie Munyuki dont le journal, The Daily News, qui fut naguère le plus populaire du Zimbabwe, a été contraint de fermer. « Moi-même, avec plusieurs confrères, j'ai été durement agressé pour avoir voulu faire connaître notre situation au monde. » Dans l'ex-Zaïre où Donat M'Baya Tshimanga a commencé sa carrière, « la critique et la contradiction étaient les voies indiquées pour la prison, le cimetière ou le fond du majestueux fleuve Zaïre », écrit-il. Emprisonné pendant un mois, début 2005, après une enquête sur la corruption au sein d'un ministère, Jules Koum Koum exprime son amertume : « Moi qui pensais avoir bien fait mon travail vis-à-vis de la société, j'ai été jeté dans le tristement célèbre pénitencier de New Bell. » Sous la dictature militaire nigériane, à la fin des années 90, Ayodele Ale, quant à lui, s'était engagé dans le « journalisme de guérilla », qui l'a contraint à une vie dangereuse. « Des endroits comme les églises, les halls des mosquées, les immeubles abandonnés, les écoles ou les centres de formation, les coins de rue étaient nos lieux de rendez-vous », se souvient-il.
Et lorsque ce n'est pas la police que l'on craint, c'est la misère. « Comment résister à un appel du pied pour un papier laudatif, lorsqu'on a laissé son fils malade et sans soins, faute d'argent ? » s'interroge Donat M'Baya Tshimanga, qui se désole de ceux qui « échangent leur indépendance contre des espèces sonnantes et trébuchantes ».
S'ils refusent la flagornerie ou la corruption, les journalistes africains peuvent pourtant faire face à la violence. Menaces de mort, tabassages, emprisonnement, peur quotidienne : tous ont, à un moment ou un autre, payé ce prix. Pour Jules Koum Koum, « le chien de garde, malgré ses veilles, ne reçoit que la trique en guise de récompense ». Un peu partout en Afrique, des journalistes continuent d'être froidement assassinés. « Dans notre monde, il n'existe pas d'amis ou d'ennemis permanents », déclare le Nigérian. « Ce métier n'est pas fait pour les cœurs fragiles », dit le Zimbabwéen, qui ajoute toutefois qu'il n'a jamais perdu espoir de vaincre. « L'heure la plus sombre précède l'aurore », rappelle-t-il, à l'unisson d'Ayodele Ale qui explique que, dans son Nigeria natal, « l'institution militaire est tombée et la victoire est allée aux plumes courageuses ».
Jules Koum Koum souhaite terminer son triste inventaire des « galères » du métier : « Après tout ce que je viens de te révéler, frangin, si tu continues de te sentir attiré par cette profession, cela veut dire que tu as un destin. Alors vas-y, frangin, fonce ! » Exerçant le journalisme dans l'un des pays les plus répressifs du continent, Guthrie Munyuki est déterminé : « Le journalisme m'a blindé, m'a modelé et m'a construit. »
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