Reporters sans frontières interpelle la Présidence et quatre préfets d'opposition après dix jours d'extrême violence
Au terme de dix jours de violence qui ont fait une vingtaine de morts et fortement affecté la presse, Reporters sans frontières en appelle publiquement au président Evo Morales et à quatre préfets d'opposition. Cette lettre ouverte est publiée alors que s'amorce un dialogue, longtemps différé, entre le gouvernement et l'opposition.
MM.
Rubén Costas, préfet du département de Santa Cruz
Leopoldo Fernández, préfet du département de Pando
Ernesto Suárez, préfet du département de Beni
Mario Cossío, préfet du département de Tarija
Monsieur le Président, Messieurs,
Reporters sans frontières, organisation mondiale de défense de la liberté de la presse, se félicite que l'offre de dialogue du président Evo Morales ait enfin trouvé un écho auprès des préfets d'opposition, après dix jours de violence qui ont fait au moins vingt morts dans les départements autonomistes et conduit à l'instauration de la loi martiale à Cobija, capitale du Pando. Cette vague d'affrontements, après d'autres, a durement touché la presse, en particulier publique et communautaire. L'incendie des locaux de la chaîne d'État Canal 7-Televisión Boliviana, le 9 septembre à Santa Cruz, par des membres de la Unión Juvenil Cruceñista, la séquestration, depuis le 12 septembre, de Juan Domingo Yañique, de la radio Red Patria Nueva, par des militants du comité civique du Beni, mais également, la blessure par balles de Claudia Méndez, de la chaîne privée Red PAT, lors d'une opération militaire à Cobija, figurent parmi les cas les plus graves. En l'absence de garanties minimales de sécurité pour les journalistes, certains médias, comme la station Radio Frontera de Cobija (associée au réseau éducatif Erbol), ont décidé de suspendre leurs émissions. La presse n'est évidemment pas seule victime d'un conflit politique, dans lequel elle prend d'ailleurs sa part de responsabilité. Les médias ont parfois participé à leur manière d'une polarisation qui se retourne contre eux, qu'ils soient publics et présumés progouvernmentaux, ou privés et réputés d'opposition. Cependant, et comme nous l'avons soulevé à de nombreuses reprises, la survie d'une presse pluraliste - vecteur essentiel dans une démocratie - est compromise dans un contexte que la classe politique n'a pas su ni voulu juguler. Les exactions contre les médias de certains militants issus des comités civiques autonomistes, ou de la très dangereuse Unión Juvenil Cruceñista, n'ont suscité aucun désaveu ni réaction appropriée de la part de préfets qui réclament pourtant plus de pouvoirs dans leur département. Le gouvernement a, quant à lui, manqué de fermeté face aux débordements de certains de ses soutiens les plus radicaux. Le dialogue qui s'inaugure aujourd'hui entre vous doit aboutir à une claire volonté commune de préserver les libertés publiques. Cet objectif suppose d'une part, de cesser de désigner les médias à la vindicte, d'autre part de réprimer, dans vos propres rangs, toute atteinte au droit d'informer. Nous n'ignorons pas non plus que la situation ne saurait se résoudre si chacun des pouvoirs en conflit ne reconnaît pas à l'autre la légitimité qui lui est due. L'autonomie revendiquée par certains départements ne peut être le moyen de disqualifier a priori l'autorité d'un chef d'État démocratiquement élu et confirmé dans ses fonctions lors du référendum révocatoire du 10 août dernier. Ce même scrutin a également permis aux préfets de se maintenir à leur poste. Nous espérons dès lors qu'un accord politique se traduira dans la lettre de la nouvelle Constitution voulue par le président Evo Morales, et dont le principe est à la source du conflit. Enfin, nous formulons le vœu que la réunion de l'Union des nations sud-américaines (Unasur), ce 15 septembre à Santiago du Chili, contribuera de façon décisive à la restauration de la paix et des libertés publiques en Bolivie.
En vous remerciant de l'attention que vous porterez à cette lettre, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, Messieurs, l'expression de ma très haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général