Reporters sans frontières appelle au dialogue avec le gouvernement dans une lettre au nouveau ministre de la Communication et de l'Information
Après avoir publié deux communiqués sur deux affaires controversées, Reporters sans frontières s'est attirée des réponses cinglantes du ministre de la Communication et de l'Information Yuri Pimentel, reprochant à l'organisation d'ourdir un « sabotage médiatique contre la Révolution bolivarienne ». Dans une lettre à son successeur, Willian Lara (photo), nommé le 9 mars, Reporters sans frontières répond aux accusations et appelle au dialogue.
Ministre de la Communication et de l'Information Monsieur le Ministre, A l'occasion de votre prise de fonctions, le 9 mars 2006, Reporters sans frontières souhaite revenir sur les récents échanges entre le gouvernement que vous représentez et notre organisation. Nous espérons ainsi poser les bases d'un véritable dialogue. En tant qu'association de défense de la liberté de la presse, nous avons dernièrement publié deux communiqués concernant des affaires, en cours de traitement judiciaire, qui suscitent une apparente controverse au sein de l'opinion publique et des médias vénézuéliens. Le premier, publié le 27 février, se présentait sous la forme d'une lettre ouverte à votre prédécesseur, M. Yuri Pimentel, l'interrogeant sur une procédure engagée contre plusieurs médias pour « outrage à la justice ». Le second communiqué portait sur la mise en détention, le 7 mars, de Gustavo Azócar Alcalá, présentateur d'une émission de la chaîne Televisora del Táchira, poursuivi pour « escroquerie » et « détournement de fonds ». Nous avons été à la fois étonnés et choqués par la violence des réactions que votre ministère a opposées à nos prises de position, dans deux déclarations datées des 1er et 9 mars. Nous avons d'ailleurs pris la peine de publier sur notre site Internet en version espagnole la réponse de M. Yuri Pimentel à la suite de la lettre ouverte que nous lui avions adressée. Choqués, car ces déclarations multipliaient les fausses accusations et les procès d'intention contre Reporters sans frontières. Notre organisation, « à la solde du gouvernement des Etats-Unis et de ses services secrets », aurait entrepris « le sabotage médiatique contre la Révolution bolivarienne ». Nous serions coupables, aux yeux du gouvernement de votre pays, de « diffamer le peuple vénézuélien, de mépriser le Venezuela, de faire preuve d'ingérence dans ses affaires internes ». Tout cela, « avec la complicité de l'opposition séditieuse et les médias privés, dans une nouvelle offensive médiatique qui fait partie des opérations de guerre psychologique de l'Empire - les Etats-Unis - pour justifier son agression contre la démocratie vénézuélienne » (communiqué du 9 mars). Dans un cas comme dans l'autre, nous n'avons fait qu'exprimer notre « préoccupation » sur des points juridiques précis, sans remettre en cause le principe des procédures instruites et sans dénigrer le moins du monde les autorités qui ont à charge de les conduire. Préoccupation ne signifie pas condamnation. Il est du rôle de toute organisation non gouvernementale d'interpeller les Etats sur les principes ou la cause qu'elle défend, et dont ces mêmes Etats démocratiques se revendiquent. Nous avons émis, c'est vrai, des critiques sur une partie de la loi de responsabilité sociale des médias audiovisuels et sur la loi de réforme du code pénal. Nous craignons que certaines dispositions de ces lois restreignent la liberté de la presse. En concluons-nous qu'il n'y aurait plus de liberté de la presse au Venezuela ? Non. La critique d'une loi ne signifie pas la condamnation d'un gouvernement. De là vient notre étonnement. D'une part, nous savons que la situation des journalistes est bien plus dramatique dans des pays où, à la différence du Venezuela, ils sont livrés aux représailles de groupes armées comme le Mexique ou la Colombie. D'autre part, nous avons également condamné l'incarcération, de juillet à septembre 2005, aux Etats-Unis, de Judith Miller, du New York Times, au seul motif que cette dernière avait refusé de révéler ses sources à la justice de son pays. Nous suivons avec la plus grande attention le cas de Sami al-Hajj, cameraman d'Al-Jazira, détenu depuis près de quatre ans sur la base militaire de Guantanamo, sans charges précises et dans des conditions contraires à toutes les conventions internationales sur les droits de l'homme. Nous vous invitons à lire notre récent rapport, disponible sur notre site, et au titre on ne peut plus clair : « Camp Bucca et Guantanamo : quand l'Amérique emprisonne des journalistes ». Nous sommes prêts à vous en adresser un exemplaire. Nous ne méconnaissons pas - et nous l'avons soulignée en son temps - l'attitude de certains médias privés durant la période du coup d'Etat d'avril 2002. Nous comprenons alors d'autant moins que le gouvernement de votre pays soit le seul à ne pas supporter la moindre critique à son endroit. Enfin, nous recevons effectivement des fonds de la National Endowment for Democracy. Cet argent représente 2 % de notre budget (nos comptes sont publics) et, outre qu'il provient du Congrès américain et non de la Maison Blanche, il est dévolu à notre action en faveur des journalistes africains emprisonnés. Il ne concerne pas le continent américain. En espérant que vous entendrez notre appel, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération. Robert Ménard
Secrétaire général