Lors de sa première réélection en 2004, Monsieur Abdelaziz Bouteflika a souscrit des engagements forts en faveur de la liberté d'expression. Hélas, ces engagements n'ont pas été suivis d'effet. Reporters sans frontières saisit l'occasion de l'élection présidentielle pour rappeler le Président algérien à ses promesses, espérant qu'elles seront cette fois suivies d'effet.
Monsieur le Président,
Vous serez, sans aucun doute, réélu lors du scrutin présidentiel du 9 avril prochain. Pour ce début de troisième mandat, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, tient à vous rappeler vos engagements pris au lendemain de votre victoire en 2004 en matière de liberté d'expression. En mai 2004, vous aviez réaffirmé votre « détermination à veiller à la liberté d'expression » en Algérie. « Nous voulons marquer, encore une fois, avec force, notre détermination à veiller à l'exercice effectif, pour tous, de la liberté d'expression, en droite ligne de la Déclaration universelle des droits de l'homme », aviez-vous déclaré dans un message à la presse.
Or depuis cette période, peu de choses ont évolué dans la bonne direction. Des délits de presse, par exemple, sont toujours passibles de peines de prison et d'amende. L'article 144bis du code pénal algérien (en vigueur depuis 2001) prévoit en effet des peines de prison allant de 2 à 12 ans et des amendes pour tout propos jugé diffamatoire. Cette menace d'emprisonnement menace tous les journalistes et les directeurs de publications. Les poursuites à leur encontre se multiplient et les tribunaux ne désemplissent pas. Cette situation ne correspond pas aux engagements auxquels vous avez souscrit et n'est pas digne d'un pays comme l'Algérie.
La détention ne constitue pas une mesure adéquate pour lutter contre la diffamation. Aussi, Reporters sans frontières vous demande de mettre en place les réformes nécessaires pour dépénaliser le délit de presse.
Par ailleurs, malgré la fin de son monopole sur la presse en 1989, le gouvernement algérien conserve une mainmise sur l'impression et la diffusion. Certes El Khabar et El Watan sont parvenus à créer une société indépendante qui gère deux imprimeries ainsi qu'un système de distribution indépendant (« Algérie Diffusion & Impression de presse »), mais seuls ces deux quotidiens en bénéficient. Les autres journaux dépendent entièrement des imprimeries d'Etat. La création d'un holding d'entreprises d'impression par le ministère de la Communication en juillet 2008 n'a fait que renforcer le contrôle de l'Etat dans ce domaine. Un tel système réduit par conséquent toute marge de manœuvre des journaux qui voudraient exercer un regard critique sur la société et sur la vie politique algérienne.
La situation est identique en ce qui concerne la distribution des journaux : mis à part El Khabar et El Watan qui ont réussi à mettre en place un réseau indépendant, les autres titres restent tributaires des sociétés étatiques de distribution.
Avec le monopole sur l'importation du papier, les autorités algériennes complètent leur emprise. Et elles disposent d'une arme économique supplémentaire contre les récalcitrants, via son monopole sur l'attribution de la publicité. Depuis avril 1968, l'Agence nationale de l'édition et de la publicité (ANEP), créée en décembre 1967, distribue la publicité des administrations et des entreprises en fonction des lignes éditoriales, récompensant d'abord les journaux proches du régime.
Plus grave encore pour un pays qui revendique son ouverture démocratique, l'Etat garde le contrôle total sur la radio et la télévision. Le secteur audiovisuel est aux mains du pouvoir. Seules les chaînes privées étrangères qui émettent par satellite ont le droit d'opérer.
En outre, de manière régulière, à chaque scrutin présidentiel, les journalistes étrangers, qu'ils soient français ou autre, rencontrent des difficultés pour obtenir un visa pour entrer en Algérie. Les exemples ne manquent pas. Ainsi la journaliste tunisienne Sihem Bensedrine, invitée par la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme pour participer au programme de monitoring des médias, a été refoulée à son arrivée à l'aéroport d'Alger le 4 avril dernier.
Ces archaïsmes doivent disparaître pour faire place au pluralisme de l'information en Algérie. Reporters sans frontières vous exhorte aujourd'hui à mettre en œuvre vos promesses électorales. Il y va du droit des Algériens à disposer d'une information libre et indépendante.
Je vous remercie de l'attention que vous porterez à nos remarques, et je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos très hautes considérations.
Jean-François Julliard,
Secrétaire Général