Reporters sans frontières se félicite de l'instauration d'un parquet spécial consacré à la lutte contre les crimes et délits commis envers les journalistes dans une lettre ouverte adressée au procureur David Vega Vera (photo), nommé à sa tête le 22 février. L'organisation regrette cependant que le narcotrafic, principale source de violence contre la presse mexicaine, n'entre pas dans le champ de compétences de cette institution unique en son genre.
Reporters sans frontières salue la mise en place, le 15 février 2006, par le ministère fédéral de la Justice, d'un parquet spécial dédié à la lutte contre les crimes et délits commis envers les journalistes. L'organisation adresse une lettre ouverte à M. David Vega Vera, procureur spécial nommé le 22 février à la tête de cette instance unique au monde, pour lui souhaiter bonne chance dans sa mission, tout en regrettant certaines carences dans ses prérogatives.
Monsieur le Procureur,
Reporters sans frontières, organisation de défense de la liberté de la presse, salue votre nomination, le 22 février 2006, à la tête du parquet spécial dédié à la lutte contre les crimes et délits commis envers les journalistes. Cette instance, créée le 15 février à l'initiative du président de la République, M. Vicente Fox, et du procureur général de République, M. Daniel Cabeza de Vaca, est en soi une première au monde. Nous espérons que ce précédent inspirera d'autres pays où la liberté de la presse est réellement menacée.
En instituant ce parquet spécial, les autorités fédérales semblent avoir enfin pris la mesure du climat de terreur et d'impunité dont sont victimes les journalistes mexicains, surtout localement. Depuis six ans, seize d'entre eux ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions ou n'ont plus donné signe de vie, dont six dans le seul Etat de Tamaulipas. Au cours des années 2004 et 2005, le Mexique est devenu le pays le plus meurtrier du continent américain, avec huit professionnels des médias assassinés ou disparus. Aucun commanditaire de ces crimes n'a jamais été arrêté ni jugé.
La plupart de ces journalistes ont payé de leur vie d'avoir voulu informer sur le narcotrafic et les activités mafieuses qui sévissent en particulier dans les Etats frontaliers du nord du pays. En témoignent notamment les assassinats de Francisco Javier Ortiz Franco, co-fondateur de l'hebdomadaire Zeta, le 22 juin 2004 à Tijuana, de Raúl Gibb Guerrero, directeur du quotidien La Opinión, le 8 avril 2005 dans l'Etat de Veracruz, ou encore la disparition d'Alfredo Jiménez Mota, du quotidien El Imparcial, le 2 avril 2005 à Hermosillo.
Ces tragédies ont incité de nombreux médias à s'autocensurer pour se protéger. Cette ligne de conduite n'a, hélas, pas empêché l'attentat à la mitraillette, le 6 février 2006, contre le quotidien El Mañana à Nuevo Laredo, qui a failli coûter la vie au journaliste Jaime Orozco Tey.
C'est pourquoi Reporters sans frontières s'étonne, Monsieur le Procureur, que les affaires liées au narcotrafic ne relèvent pas de la compétence du parquet spécial que vous vous apprêtez à diriger. Comment comprendre cette mesure, quand il est avéré que les narcotrafiquants, et plus largement la délinquance organisée, sont les principales sources de violence envers les médias mexicains ? Le parquet spécial ne saurait faire l'économie de cette question.
Il ne saurait ignorer non plus les complicités dangereuses dont bénéficient parfois les prédateurs des médias de la part des autorités locales. Arrêtée abusivement en décembre 2005 après avoir révélé l'existence d'un réseau de pédophilie dans l'Etat de Puebla, Lydia Cacho Ribeiro fait l'objet d'une véritable conspiration contre sa personne si l'on en juge par les conversations, récemment rendues publiques, entre ses détracteurs, parfois haut placés.
Nous ne méconnaissons ni l'ampleur, ni la difficulté de la tâche qui vous attend. Mais il y va de l'avenir de la liberté de la presse au Mexique et de la crédibilité du parquet spécial, que celui-ci dispose de tous les moyens nécessaires à sa mission. A la veille des élections présidentielle et législatives du 2 juillet 2006, sa pérennité dépendra de sa capacité à faire rapidement la preuve de son efficacité.
Je me tiens à votre disposition et je vous prie de recevoir, Monsieur le Procureur, l'assurance de ma parfaite considération.
Robert Ménard
Secrétaire général