A la veille d'une visite en France du chef d'Etat ukrainien Viktor Iouchtchenko, le secrétaire général de Reporters sans frontières s'est rendu à Kiev pour évoquer avec les responsables ukrainiens la situation de la liberté de la presse dans ce pays. "Aujourd'hui, les promesses ne suffisent plus. Il faut des actes", a déclaré Robert Ménard.
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A la veille d'une visite en France de Viktor Iouchtchenko, le président de la République d'Ukraine, le secrétaire général de Reporters sans frontières s'est rendu à Kiev pour évoquer avec les responsables ukrainiens la situation de la liberté de la presse dans ce pays.
Dans le classement mondial 2005 établi par Reporters sans frontières, l'Ukraine opère une remontée spectaculaire (112e cette année alors qu'elle n'était que 138e en 2004) en raison, notamment, de l'abolition de la censure depuis l'avènement de la « révolution orange ». Par ailleurs, l'arrestation des exécutants des assassins du journaliste Géorgiy Gongadze - une affaire qui avait marqué le début de l'affaiblissement du régime de Léonid Koutchma - a permis à l'Ukraine de ne plus faire partie de la liste des « prédateurs de la liberté de la presse » établie chaque année par Reporters sans frontières.
Malheureusement, ces bonnes nouvelles ont été entachées par plusieurs affaires qui viennent ternir l'image de marque du nouveau régime sur la scène internationale. A titre d'exemple, on peut citer l'agression subie par la journaliste Natalia Vlassova de la chaîne de télévision Kanal 34, le 4 octobre dernier à Dnipropetrovsk (à l'est du pays). Cette dernière avait révélé des affaires de corruption au sein de partis locaux. Une autre agression a visé le rédacteur en chef et propriétaire de l'hebdomadaire indépendant Oberih : il a été menacé de mort le 14 mai 2005 pour avoir dénoncé des détournements de fonds dans la gestion de financements municipaux à Pereyaslav-Khmelnytski (sud de Kiev).
Autre exemple de cette dégradation de la situation : l'arrestation sans aucun motif de Volodymyr Lutiev, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Yevpatoriskaya Nedelia, à Sébastopol, le 30 juin dernier, pour avoir émis des critiques sur une élection controversée. Il est toujours en détention, bien qu'il ait fait la grève de la faim pendant 47 jours. Quant aux deux journalistes de l'hebdomadaire Vhoru, le photographe Maxim Soloviev et le reporter Natalia Kozarenko, ils ont été attaqués et leur matériel confisqué alors qu'ils étaient en reportage à Kherson (sud du pays) sur une affaire de racket.
A cette déjà trop longue liste de pressions et d'agressions, il faut maintenant ajouter ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire des frasques d'Andriy Iouchtchenko ». Alors que Paparazzi s'apprêtait à publier en une la photo du fils du chef de l'Etat accompagné d'une jeune femme dans une position lascive, la voiture de Walid Harfouch, le directeur de publication de ce bihebdomadaire, a été partiellement détruite par un cocktail molotov, et plusieurs menaces ont été proférées à son égard. Il est aujourd'hui protégé en permanence par des policiers qui, manifestement, prennent très au sérieux les risques qui pèsent sur sa sécurité.
L'ensemble de ces faits traduit un climat qui se détériore, alors même que de grands espoirs avaient été placés dans la « révolution Orange ». Faut-il rappeler que, lors de son investiture, le président Viktor Iouchtchenko avait fait de la liberté de la presse une « priorité de son mandat ».
Les élections législatives de mars prochain seront une étape décisive dans la consolidation de la démocratie ukrainienne. A cette occasion, les médias doivent être libres de travailler, et les autorités ont le devoir de prendre toutes les mesures dans ce sens. Malheureusement, l'interdiction imposée aux journalistes de commenter les programmes électoraux des différents candidats augure mal d'une couverture par les médias de cette échéance pourtant cruciale.
Les journalistes doivent se sentir libres et pouvoir travailler en toute sécurité. Après quelques mois d'euphorie, le climat est en train de s'alourdir en Ukraine. Aux autorités européennes, comme aux responsables français qui s'apprêtent à recevoir le président Viktor Iouchtchenko, de rappeler à celui-ci l'ensemble de ses engagements. Alors que la Cour européenne des droits de l'homme vient de condamner l'Ukraine pour ne pas avoir « protégé la vie du mari de madame Gongadzé » et d'avoir « négligé d'enquêter sur cette affaire de manière cohérente et effective », il est essentiel que les commanditaires de cette sordide affaire soient poursuivis et condamnés. Il s'agira du véritable test de la volonté effective des autorités de Kiev de tourner définitivement la page de l'impunité.
Aujourd'hui, les promesses ne suffisent plus. Il faut des actes, des engagements, des poursuites contre ceux qui menacent la presse et les journalistes. Il y va de l'avenir européen de l'Ukraine.