Refus de visa, interdiction de filmer et arrestations arbitraires, dangers sur la situation de la liberté de l’information en Libye
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Reporters sans frontières exprime sa vive inquiétude quant à la dégradation de la situation de la liberté de l’information en Libye depuis l’élection du Congrès national libyen, le 7 juillet 2012.
Un certain nombre de journalistes ont signalé à l’organisation des difficultés pour obtenir des visas, notamment après l’attaque du consulat des Etats-Unis à Benghazi, le 11 septembre dernier. Ceux qui ont pu se rendre sur place ont rencontré de nombreuses difficultés de la part de milices, notamment pour prendre des photos, ou pour filmer des manifestations pacifiques de protestation contre la mort de l’ambassadeur américain, Chris Stevens.
Le Comité suprême de la sécurité nationale s’est rendu responsable d’un certain nombre d’arrestations arbitraires de journalistes.
La journaliste et réalisatrice britannique, Sharron Ward, et sa traductrice ont été arrêtées le 19 juillet 2012 et retenues pendant près de huit heures, alors qu’elles venaient de filmer dans un camps de déplacés (IDPs) à Janzour (est de Tripoli). La journaliste a ensuite été détenue pendant trois jours, du 21 au 23 juillet.
“Les journalistes étrangers et nationaux doivent pouvoir travailler librement dans la Libye post-Kadhafi. L’ère de l’arbitraire doit être celle du passé. Certes, le pays est en pleine transition. Mais les exactions commises par le Comité suprême de la sécurité nationale sont préoccupantes. Nous demandons au nouveau gouvernement, notamment au ministère de l’Intérieur, d’ouvrir une enquête sur ces incidents et de procéder à la restitution, aux journalistes, de l’ensemble de leur matériel arbitairement confisqué”, a déclaré l’organisation.
Contactée par Reporters sans frontières, Sharron Ward raconte:
Sa première détention
“J’avais un visa presse et toutes les autorisations nécessaires. Je filmais ouvertement dans le camp de Janzour depuis le début de l’après-midi. Nous n’avions pas eu de difficultés à entrer dans le camp, et n’avions pas été fouillées. Malgré tout ça, nous avons quand même été arrêtées. Ce soir-là, à l’issue de l'interrogatoire, on nous a dit qu’on pouvait partir. Deux hommes, qui n’étaient pas en uniforme, nous ont dit qu’ils nous raccompagnaient. Il s’est trouvé qu’ils étaient de la Seconde Brigade du Comité suprême de la sécurité nationale. Ils nous ont alors emmenées, pour interrogatoire, sur leur base à Ain Zara (sud-est de Tripoli), malgré le fait que j’avais toutes les autorisations nécessaires pour filmer ce camp, et que des dizaines de journalistes avaient déjà fait des sujets sur ce camp auparavant, sans autorisation. Après nous avoir menacées de nous jeter en prison en attendant l’arrivée de personnes compétentes pour nous interroger, ils nous ont relâchées, grâce à l’intervention de l’ambassade britannique. Ils ont toutefois gardé ma caméra, mes différents badges de presse et mon passeport.
Nouvelle convocation
“Deux jours plus tard, le 21 juillet, moi et ma traductrice avons été reconvoquées par la Seconde Brigade pour “complément d’enquête”. Les questions tournaient autour de l’autorisation que nous avions reçue de filmer dans le camp. Après une interruption vers 16 heures pour l’iftar (rupture du jeûne), l’interrogatoire s’est poursuivi pendant près de quatre heures, jusqu’à 2 heures 30 le lendemain, sans présence d’un représentant de mon ambassade. C’est alors qu’ils ont confisqué mon téléphone portable. Il apparaît clairement qu’ils ne voulaient juste pas que je fasse un sujet sur les Tawerghas. Je suis la seule qu’ils aient gardée, ma traductrice ayant été relâchée à l’issue de la première journée. Et ils m’ont gardée pendant trois jours. Je respecte la souveraineté des lois libyennes et je comprends la nécessité de ne pas les enfreindre. Toutefois, les journalistes ne peuvent être arrêtés pour la simple et unique raison que les autorités n’aiment pas les sujets sur lesquels ils travaillent.
“Le dimanche, ils m’ont à nouveau interrogée. Un représentant de l’ambassade britannique est venu.
“Je tiens à souligner que je n’ai pas été maltraitée physiquement : ils ont fait en sorte que j’aie de quoi manger et boire, n’arrêtant pas de me demander si j’avais besoin de quelque chose. Il était quelque part rassurant de voir qu’ils continuaient à suivre mon cas. Toutefois, le fait d’être détenue là où j’avais été détenue en premier lieu, et ce pendant autant de jours, est préoccupant.
“Je suis très reconnaissante de l’assistance que l’ambassade britannique en Libye m’a apportée, ainsi que de l’intervention du ministère des Affaires étrangères. Après avoir été libérée et confiée aux représentants de l’ambassade, le sac de ma caméra et mes papiers m’ont été remis... j’ai découvert par la suite que ma caméra n’y était pas, ni mes disques durs. Le Comité suprême de la sécurité nationale les avait gardés.
“Le Comité suprême de la sécurité nationale voulait confisquer l’ensemble de mes rushs tournés dans les camps d’IDPs, pas seulement ceux tournés à Janzour. Je n’ai pas eu d’autre choix que de céder. Quand il a été découvert que mes cassettes et enregistrements avaient été accidentellement détruits, bien que cela n’était pas de mon fait, le Comité suprême de la sécurité nationale a menacé de m’arrêter à l’aéroport le lendemain.
“ Cette menace était inquiétante. Au final, je n’ai pas été arrêtée et suis arrivée à Londres le 24 juillet. Réalisatrice freelance, je ne peux financièrement pas me racheter tout mon équipement. Aujourd’hui, je veux juste qu’on me rende ma caméra et mes disques durs. Le ministère libyen des Affaires étrangères doit certainement penser qu’ils m’ont été remis. Je pense qu’ils seraient préoccupés de savoir que cela n’a pas été le cas. ”
Les journalistes étrangers ne sont pas les seuls à faire l’objet de pression de la part du Comité suprême de la sécurité nationale. En effet, Reporters sans frontières a appris la convocation, le 25 août 2012, du managing director de la chaîne Al-Assema, Nabil Shebani, par la Seconde brigade du Comité suprême de la sécurité nationale, suite à la couverture, par la chaîne, de la destruction de la mosquée Al-Sha’ab à Tripoli. Le directeur a expliqué avoir été gardé pendant près de dix heures, mais insistant sur le fait que cela était dû à l’absence des personnes compétentes au début de sa convocation. Deux des journalistes de la chaîne ont également été brièvement interrogés.
Du 23 au 26 août dernier, de nombreux mausolées soufis ont été ainsi été vandalisés. Le 23, le tombeau de Sidi Abdul-Salam Al-Asmar Al-Fituri à Zliten a été pris pour cible. Le 25, c’était le tour du mausolée de Cheikh Ahmed Al-Zarruq, près de Misrata, et du tombeau Al-Sha’ab à Tripoli. Le ministère aurait par la suite ordonné leur destruction complète. Le Comité suprême de la sécurité nationale avait tenté d’empêcher l’accès au site pendant sa destruction, se montrant particulièrement hostile aux journalistes souhaitant couvrir l’événement.
Publié le
Updated on
20.01.2016