Référendum constitutionnel : Reporters sans frontières en appelle à la responsabilité des politiques et des médias
A titre de mise en garde dans un contexte politique tendu, Reporters sans frontières rend publics sur son site des extraits de la chronique “Nuestra Palabra”, véritable tribune de haine contre la population indigène qu'anime l'avocat Luis Arturo Mendivil sur une station FM de Santa Cruz.
Organisation de défense de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, Reporters sans frontières considère qu'il est de son devoir de dénoncer l'utilisation des médias pour inciter au racisme, à la violence, voire au meurtre. C'est pourquoi l'organisation a condamné le comportement de Jorge Melgar Quete, arrêté le 13 octobre 2008 à Riberalta, dont les chroniques sur la chaîne régionale du Beni Canal 18 n'étaient que vociférations haineuses contre une population et un président démocratiquement élu, en raison de leurs origines indigènes. Le secrétaire général de Reporters sans frontières, Jean-François Julliard, s'est indigné de tels propos dans une tribune publiée, le 21 octobre 2008, dans les quotidiens La Razón et La Prensa. C'est également pourquoi l'organisation a décidé de rendre publics sur son site Internet, à titre de mise en garde, des extraits de “Nuestra Palabra”, autre tribune de haine qu'anime l'avocat Luis Arturo Mendivil sur la station dont il est propriétaire, Radio Oriental, à Santa Cruz. Ses “chroniques” glorifient en particulier la Unión Juvenil Cruceñista, un groupe radical à l'origine de multiples attaques contre des médias publics comme la chaîne Canal 7 ou le réseau radiophonique Red Patria Nueva, stigmatisés comme proches du gouvernement de La Paz. Contre la “guerre médiatique”
Quatre préfets de départements autonomistes - Rubén Costas (Santa Cruz, Est), Savina Cuéllar (Chuquisaca, Sud), Mario Cossío (Tarija, Sud) et Ernesto Suárez (Beni, Nord) -, ont réitéré, le 13 janvier 2009, leur opposition à la nouvelle Constitution. Ce refus relève bien entendu de leur droit démocratique. Il leur appartient néanmoins de s'opposer à toute instrumentalisation, en leur nom, de médias à des fins haineuses et violentes, et à toute attaque de médias ou de journalistes qui n'ont a priori pas leur faveur. Les autorités et militants se réclamant du gouvernement ou de la majorité au pouvoir - comme le Comité civique populaire de La Paz - doivent également respecter ce principe à l'égard des médias privés ou réputés proches de l'opposition. Certaines déclarations du président Evo Morales lui-même mettant en cause la “dignité” des journalistes ont suscité de vives protestations de la profession, le 15 décembre 2008 à La Paz. Enfin, l'actuel développement des médias publics - dont un quotidien - fait craindre l'apparition d'une presse d'État qui serait subordonnée au pouvoir. Une nouvelle presse publique ne doit effectivement pas s'assimiler à une presse d'État, censée répliquer sur le même mode aux attaques d'une partie de la presse d'opposition. Cependant, la promotion d'une telle presse n'a, en soi, rien d'illégitime, pourvu que des garanties d'indépendance lui soient données par les autorités. Contre l'impunité
L'explosion des agressions et des attaques contre la presse durant la crise politique a fait passer la Bolivie au 115e rang (sur 173 pays recensés) du classement mondial établi par Reporters sans frontières pour l'année 2008, soit une chute de 47 places par rapport à l'année précédente. Ce recul doit pour beaucoup à la mort, le 29 mars 2008, du journaliste de la station Radio Municipal Pucarani (département de La Paz, Ouest), Carlos Quispe Quispe, 31 ans. Plusieurs fois reporté, le procès des assassins présumés n'a toujours pas eu lieu. Est demeurée également sans suite l'inculpation pour “terrorisme” du sous-lieutenant de l'armée George Peter Nava Zurita, et de onze autres personnes, après le plasticage des locaux de la chaîne privée Canal 4-Unitel, le 21 juin 2008 à Yacuiba, dans le département de Tarija. De la même manière, justice n'a jamais été rendue après les attentats contre Canal 7 et Red Patria Nueva à Santa Cruz. Pour l'heure, seul un responsable du Comité civique populaire de La Paz, Adolfo Cerrudo, mis en cause dans plusieurs agressions contre la presse, et notamment une menace de viol contre une journaliste du quotidien La Razón en mars 2008, a fait l'objet d'une assignation à résidence tardive, le 14 novembre dernier. L'impunité réduit à de vains mots la protection des libertés publiques et la sécurité des journalistes. La justice n'est pas affaire d'idéologie ou d'appartenance politique. En l'occurrence, elle passe également par un dialogue, toujours en attente, entre le gouvernement, la classe politique dans son ensemble et les représentants de la profession. La Constitution
Reporters sans frontières n'a pas mandat à juger l'ensemble d'un texte constitutionnel, dont l'appréciation relève de la souveraineté du peuple bolivien. L'article 108 (alinéa 2) du projet de nouvelle Loi fondamentale a, il est vrai, suscité une polémique dans son libellé initial, selon lequel “l'information et les opinions émises à travers les médias de communications doivent respecter les principes de véracité et de responsabilité”. A la demande de six organisations professionnelles, cet alinéa a été complété en octobre 2008 d'une référence à “l'autorégulation” des médias, soit la définition même, selon Reporters sans frontières, de la “responsabilité” qui leur incombe. Par ailleurs, l'article 106 réaffirme “le droit à la communication et le droit à l'information” (alinéa 1), ainsi que “les libertés d'expression, d'opinion et d'information et le droit à émettre librement des idées par n'importe quel moyen de diffusion sans censure préalable” (alinéa 2). Enfin, l'article 107 (alinéa 3), dispose que “les médias ne pourront se constituer, de manière directe ou indirecte, en monopoles ou en oligopoles” et engage l'État, non seulement à reconnaître, mais également à “favoriser la création de médias communautaires et à égalité de conditions et d'opportunités”. La Constitution, conforme à la jurisprudence interaméricaine, ne saurait cependant résoudre la question de l'attribution des fréquences, ni celle des conditions d'accès à l'information publique, qui fait l'objet d'un projet de loi très discuté. Il ne faut donc pas se tromper de débat. Contre toute reprise de la “guerre médiatique”, Reporters sans frontières veut croire à un seul principe : celui du pluralisme des opinions et de la libre circulation des idées dans tous les médias, quelle que soit leur tendance. La campagne référendaire en offre une excellente occasion.