Sur la base de nouvelles informations récemment révélées par la presse et par la justice, Reporters sans frontières demande au parquet général d'ouvrir un procès public et équitable sur l'assassinat de Géorgiy Gongadze, jeune journaliste très critique envers le pouvoir, disparu le 16 septembre 2000.
Quatre ans après la disparition, le 16 septembre 2000, de Géorgiy Gongadze, rédacteur en chef du journal en ligne pravda.com, dont le corps décapité avait été retrouvé le 2 novembre 2000, de nouvelles informations ont été révélées par la presse et la justice.
Le parquet général d'Ukraine a récemment déclaré qu'un prisonnier était passé aux aveux, tandis que le quotidien britannique The Independent a affirmé détenir des documents prouvant que le journaliste était suivi par les services de sécurité avant sa mort et que le décès d'un témoin clé dans cette affaire serait dû à un empoisonnement et non à des coups infligés par des gardiens de prison, comme l'affirment les autorités judiciaires.
« Pendant des années, l'enquête sur la disparition et l'assassinat du journaliste n'avait connu aucune avancée significative. A l'approche de l'élection présidentielle, l'affaire Gongadze étant plus que jamais un enjeu politique majeur, des éléments nouveaux ont été révélés par la presse, mais aussi par le parquet », a déclaré Reporters sans frontières, dans un courrier adressé au procureur général d'Ukraine, Gennady Vassiliev.
« Si vous considérez que ces informations, d'une importance capitale, sont crédibles, alors il est temps que la justice passe à l'étape suivante : un procès public et équitable », a ajouté Reporters sans frontières.
Le 17 juin 2004, la commission parlementaire sur l'assassinat de Géorgiy Gongadze, dominée par l'opposition, a demandé au parquet général d'ouvrir une procédure criminelle contre le président Leonid Koutchma et réclamé sa destitution en raison de son implication dans cette affaire. Grigory Omelchenko, président de cette commission, a toutefois précisé ne pas avoir encore trouvé de preuves suffisantes indiquant que le Président avait organisé le meurtre du journaliste.
Le 19 juin, The Independent a affirmé avoir obtenu de la part de collaborateurs du parquet général des documents indiquant que l'ancien ministre de l'Intérieur, Iouri Kravtchenko, avait ordonné à l'ancien chef du renseignement du ministère de l'Intérieur, Olexi Poukatch, de faire suivre Géorgiy Gongadze. M. Poukatch, soupçonné d'avoir détruit des preuves importantes dans cette affaire, avait été arrêté en octobre 2003 puis libéré un mois plus tard. Le 14 juillet 2004, le parquet général a réclamé au ministère de l'Intérieur des explications sur les raisons pour lesquelles des policiers avaient pris le journaliste en filature.
Le quotidien britannique a affirmé que les documents qu'il s'était procurés indiquaient également qu'un témoin clé, l'ancien officier de la police criminelle Igor Gontcharov, était décédé en prison suite à une surdose de barbituriques. Le parquet général avait quant à lui déclaré que la mort, survenue le 1er août 2003, était due à des « blessures corporelles » infligées par les gardiens de la prison.
Le corps de M. Gontcharov avait été incinéré trois jours après sa mort. Il avait été arrêté en mai 2002 pour son rôle présumé dans des meurtres perpétrés par un groupe associant bandits et anciens policiers. Il avait refusé à plusieurs reprises de témoigner devant le parquet général, expliquant avoir peur d'être tué en prison. Dans une lettre posthume, authentifiée par le parquet général, Igor Gontcharov avait affirmé qu'une série de meurtres, dont celui de Géorgiy Gongadze, avaient été commis sur ordre du ministre de l'Intérieur de l'époque, Iouri Kravtchenko, et de son successeur, Iouri Smirnov. Il avait ajouté : "Les plus hauts responsables de l'Etat et le Président étaient au courant de ces enlèvements et de ces meurtres, et sont impliqués."
Le 21 juin 2004, le parquet général a annoncé qu'un homme, dénommé « Monsieur K », écroué pour plusieurs meurtres par décapitation, avait avoué le meurtre de Géorgiy Gongadze. Le suspect aurait décrit en détail les circonstances de l'homicide. Le parquet général n'a pas communiqué davantage d'informations sur ce suspect.
Le 10 septembre, Olexandre Krout, chef des expertises judiciaires du ministère de la Justice a affirmé, lors d'une conférence de presse, que les enregistrements mettant en cause les plus hautes autorités de l'Etat dans le meurtre du journaliste, qui auraient été réalisés dans le bureau du président Koutchma par l'ancien officier Mykola Melnichenko, sont le résultat d'un montage de mauvaise qualité qui ne permet pas d'identifier la voix du Président.
En 2001, le parquet avait déjà déclaré que ces enregistrements étaient des faux, alors qu'une expertise réalisée par les Etats-Unis en 2002 avait permis d'en authentifier une grande partie. Reporters sans frontières, l'Institut des Mass Medias, Article 19, le National Union of Journalists et la Fédération internationale des journalistes ont dénoncé le résultat de cette nouvelle analyse, qui s'est déroulée dans la plus grande opacité.