Propositions de loi pour l’indépendance éditoriale dans les médias en France : des initiatives salutaires

Deux propositions de loi viennent mettre sur la table des mécanismes concrets pour préserver l’indépendance éditoriale face aux ingérences de l’actionnaire dans les médias. La situation au Journal du Dimanche (JDD) est le dernier exemple en date qui montre l’importance pour le législateur de se saisir du problème. Reporters sans frontières (RSF) salue ces initiatives prises respectivement par un groupe transpartisan de députés et par des sénateurs socialistes.

L’annonce de l’arrivée à la tête du JDD de l'ancien rédacteur en chef du magazine Valeurs Actuelles, Geoffroy Le Jeune a provoqué un véritable électrochoc. Alors qu’ils entament leur 28e journée de grève, les journalistes du JDD, rejoints par des élus et des associations dont RSF, se sont rassemblés ce 19 juillet devant l’Assemblée nationale où une proposition de loi est déposée pour mettre sur le bureau du législateur des pistes de solutions concrètes pour éviter ce genre de cataclysme. 

Cette proposition transpartisane a pour objet d'instaurer un “droit d’agrément”. Le texte prévoit en effet que pour prétendre aux aides publiques à la presse pour les médias imprimés ou en ligne, ou à l’usage des fréquences publiques pour les médias audiovisuels, “toute nomination d’un directeur ou d’une directrice de rédaction devra faire l’objet d’un vote d’approbation des journalistes employés par la rédaction.” Idem pour la proposition des sénateurs socialistes déposée le 12 juillet qui introduit un “droit de veto” des rédactions à la nomination de leur directeur. Celle-ci doit, dans ce cas, recueillir 60 % des suffrages d’au moins 50 % des membres de la rédaction.

“RSF se réjouit de voir que le législateur cherche à répondre aux atteintes à l’indépendance éditoriale dans les médias, et à préserver l’honnêteté de l’information et la déontologie du journalisme. Ces propositions de loi sont des  initiatives salutaires pour prendre des mesures concrètes. Elles montrent que l’emprise de Vincent Bolloré sur le JDD et les médias du groupe Lagardère a agi comme un électrochoc et impose des mesures transpartisanes fortes pour éviter la reproduction d’une telle situation, quel que soit le propriétaire.

Christophe Deloire
Secrétaire général de RSF

La proposition de loi transpartisane déposée au bureau de l’Assemblée nationale ce mercredi 19 juillet, rédigée à l’initiative de la députée Générations du Val-de-Marne, Sophie Taillé-Polian, et portée par des députés de huit groupes parlementaires, justifie la démarche en signifiant que “les atteintes à l’indépendance des médias se multiplient”, qu’“elles sont le fait d’actionnaires qui refusent de se cantonner à jouer un rôle économique dans les médias qu’ils achètent, mais souhaitent y jouer un rôle de plus en plus politique, quitte à exercer des pressions contre l’indépendance éditoriale des rédactions et la liberté de conscience des journalistes”. 

La situation au sein du JDD“un actionnaire peut imposer un directeur de rédaction à la tête d’un journal contre l’avis de 99 % des journalistes qu’il emploie” est prise en exemple. Les parties prenantes de cette proposition législative étaient déjà de la soirée de soutien à la rédaction du journal organisée par RSF le 27 juin Plusieurs députés y avaient pris la parole : Clémentine Autain (La France insoumise), Violette Spillebout (Renaissance), Laurent Esquenet-Goxes (Modem), marquant la première prise de conscience de la possibilité d’un engagement transpartisan historique. 

Pour le sénateur socialiste David Assouline, également présent à la soirée du 27 juin et à l'origine de la proposition sénatoriale, “un média n’est pas une entreprise comme les autres : c’est une entreprise qui produit un bien public, l’information. C’est pourquoi les journalistes doivent disposer de protections particulières leur permettant de nous informer en toute liberté”.

L’instauration d’un droit d’agrément ou d’un droit de veto est un moyen d’empêcher un actionnaire, ou l’acquéreur d’un média, de bouleverser complètement sa ligne éditoriale sans aucune concertation. Il revient à conférer aux journalistes, capital humain des médias d'information, des droits collectifs, qui viennent renforcer les droits individuels (clause de conscience et clause de cession) dont ils jouissent par ailleurs. Pour aller plus loin et renforcer encore les garanties du respect de l’indépendance éditoriale des rédactions, des mesures complémentaires pourraient être incluses dans le texte ou faire l’objet d’une inscription dans un texte de portée plus importante, élaboré dans le cadre des États généraux de l’information. RSF publiera prochainement le détail de ses préconisations. 

La proposition transpartisane doit être examinée en octobre prochain. Celle des sénateurs socialistes le sera à la rentrée en première lecture par la Commission de la culture et de l’éducation du Sénat.

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