Procès en diffamation et amendes astronomiques menacent la presse arménienne
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Reporters sans frontières s’inquiète de la multiplication des plaintes pour diffamation visant les médias arméniens et de la disproportion des peines requises. Les amendes mirobolantes menacent l’activité de certains journaux et participent à la création d’un climat propice à l’auto-censure. Cette tendance à l’étouffement judiciaire et économique doit être absolument bridée. En avril 2010, l’abrogation des peines de prison pour diffamation ou calomnie a été saluée comme une avancée démocratique, mais les pressions n’en persistent pas moins. Au cours du seul premier trimestre 2011, on recense 12 procès en diffamation.
Les journaux indépendants sont les premières victimes de cette avalanche procédurière. Le quotidien Jamanak est actuellement en procès dans trois affaires différentes. Haykakan Jamanak et Hraparak sont également visés par des plaintes provenant le plus souvent d’hommes politiques. Le site d’information en ligne Hetq, fondé par l’ONG “Investigative journalists”, a été condamné le 18 avril 2011 par la cour de cassation à verser au maire d’Ijevan Tavoush Marz 450 000 drams (820 euros) et à publier un démenti officiel. Le litige portait sur une série d’articles dénonçant un détournement d’argent par plusieurs officiels locaux. Ayant épuisé tous les recours en justice possibles, l’ONG a annoncé qu’elle porterait plainte de la décision auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
Parmi les habitués du recours en justice, la famille Kotcharian figure en bonne place. Ainsi, la femme de l’ex-président, Bella Kotcharian, et son fils, Sedrak Kotcharian, réclament à Jamanak 6 millions de drams (11 000 euros) pour un article, paru en septembre 2011, les impliquant dans des malversations financières. En 2009, le journal Haykakan Jamanak avait déjà été condamné à payer 3,5 millions de drams (6400 euros) à Levon Kocharian.
Récemment, l’ex-président lui même a entamé un procès retentissant contre Hraparak pour un article du 2 février 2011 le décrivant comme “assoiffé de sang” et coutumier des “coups de folie”. Si le recours à la justice pouvait être justifié, la demande de Robert Kotcharian de geler les actifs du journal l’est nettement moins. Or, cette requête avait été satisfaite dès la première audience du procès. La décision a été annulée le 11 avril 2011, mais l’action de l’ex-président reste dangereuse car elle tend à prouver que le véritable but du recours en justice est l’étouffement financier des médias indépendants. L’OSCE, à laquelle appartient l’Arménie, est très claire sur ce point : “La somme de l’amende ne doit pas mener à la banqueroute du média concerné, ni ne doit empêcher son travail normal”. La justice semble aller la plupart du temps dans le sens des plaignants, en demandant à chaque fois l’amende maximum. Le 7 février 2011, Haykakan Jamanak a été condamné à verser 2 440 000 drams (soit en tout près de 16 000 dollars) à chacun des trois députés Ruben Hayrapetyan, Samvel Aleksanyan et Levon Sargsyan pour un article publié du 14 octobre 2010 citant une liste d’officiels et d’hommes d’affaires arméniens impliqués dans des affaires criminelles. Le rédacteur en chef Hayk Gevorgyan a décidé de faire appel, mais s’est déclaré peu étonné de la décision de la justice.
Outre les sommes importantes requises par les plaignants, les journaux doivent faire face à des frais d’avocat excessifs. Les abus sont tels que le conseil de la chambre des avocats de la république d’Arménie a approuvé un arrêté pour limiter les frais d’avocats à 300 000 drams maximum (6400 euros) dans les affaires de diffamation. Le document sera soumis au département judiciaire qui décidera de son applicabilité.
Reporters sans frontière suit avec attention toutes les affaires en cours. Outre celles citées plus haut, nous attendons la prochaine audience des procès en diffamation opposant le député Tigran Arzakantsian au journal Yerkir et la société “Glendale Hills” à Jamanak.
À la veille du forum sur la liberté des médias, organisé à Erevan par l’ombudsman d’Arménie, nous appelons les participants à mener une véritable réflexion sur les moyens de limiter le recours à la justice en cas de diffamation. Des solutions existent pour promouvoir l’autorégulation des médias. En cas d’action en justice, le principe de proportionnalité de la peine doit prévaloir.
Publié le
Updated on
20.01.2016