Procès d’Erol Önderoğlu: la liberté de la presse sur le banc des accusés

Le procès du représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Turquie, Erol Önderoğlu, et de ses confrères Şebnem Korur Fincancı, Ahmet Nesin et İnan Kızılkaya, s’est ouvert le 8 novembre 2016 à Istanbul. Le tribunal a refusé d’abandonner les poursuites à leur encontre. RSF appelle à maintenir la mobilisation la plus large d’ici la prochaine audience, le 11 janvier prochain.

La salle d’audience était pleine à craquer : près d’une centaine d’observateurs avait fait le déplacement au palais de justice de Çağlayan, à Istanbul, pour l’ouverture du procès du représentant d’Erol Önderoğlu, de Şebnem Korur Fincancı et d’Ahmet Nesin, le 8 novembre 2016. Le représentant de RSF en Turquie, la présidente de la Fondation pour les droits de l’homme TİHV et l’écrivain sont poursuivis pour avoir pris part à une campagne de solidarité avec le quotidien kurde Özgür Gündem, persécuté par la justice. Le rédacteur en chef de ce journal, İnan Kızılkaya, comparaît à leurs côtés. Tous sont accusés de “propagande terroriste”.


A la barre, Erol Önderoğlu et Şebnem Korur Fincancı ont rejeté les accusations et invoqué l’exercice légitime de la liberté d’expression. Ils ont tous deux refusé la possibilité que leur peine soit commuée en sursis, s’ils étaient reconnus coupables. Trois avocats se sont relayés pour présenter leur défense et réclamer l’abandon des poursuites, ce que le tribunal a refusé. Les deux autres prévenus n’ont pas assisté à l’audience. Le procès reprendra le 11 janvier.


"Cela fait 20 ans que je défends la liberté de la presse et les journalistes turcs engagés dans une mission d'information, quelles que soient leurs orientations politiques, déclare Erol Önderoğlu à la sortie du tribunal. Je rejette totalement les accusations fallacieuses portées à notre encontre. Je n'accepterai jamais le fait que nous ayons été emprisonnés en raison d'une campagne de solidarité avec un journal. Défendre des idées critiques et exercer un droit fondamental ne devraient conduire personne en prison."


La présidente de la section autrichienne de RSF, Rubina Möhring, la directrice des programmes de l’organisation Lucie Morillon, le responsable de son bureau Europe de l’est et Asie centrale Johann Bihr, et l’attachée de presse de sa section allemande Anne Renzenbrink étaient présents à l’audience pour soutenir les accusés. Ils ont également pris part à un rassemblement devant le palais de justice et à un “Forum international pour la Justice et la Liberté”, aux côtés de nombreuses autres organisations turques et internationales de défense des droits de l’homme. La veille, la délégation de RSF avait observé le procès de Nadire Mater, directrice du site d’information de référence Bianet, elle aussi poursuivie en tant que “rédactrice en chef d’un jour” d’Özgür Gündem. Elle avait également rendu visite à la rédaction de Cumhuriyet, dont neuf collaborateurs ont été jetés en prison le 5 novembre.


“La balle est dans le camp du tribunal : nous attendons qu’il abandonne enfin ces poursuites absurdes, déclare Lucie Morillon. La mobilisation la plus large reste nécessaire pour que la justice reconnaisse l’innocence d’Erol, Sebnem, Ahmet et des dizaines d’autres participants à la campagne de solidarité avec Özgür Gündem. Défendre le pluralisme est plus que jamais nécessaire à l’heure où les derniers médias critiques sont liquidés les uns après les autres et où plus d’une centaine de journalistes croupissent en prison.”


Erol Önderoğlu est poursuivi sur la base de trois articles publiés par Özgür Gündem le 18 mai. Ils traitaient de luttes d’influence entre diverses forces de sécurité turques et des opérations en cours contre les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est anatolien. Représentant RSF en Turquie depuis 1996, Erol Önderoğlu compile les rapports trimestriels sur l’état de la liberté d’expression en Turquie du site d’information Bianet. Membre du Conseil de l’International freedom of Expression Exchange (IFEX), il collabore régulièrement avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de nombreuses autres organisations internationales.


La Turquie occupe la 151e place sur 180 dans le Classement 2016 de la liberté de la presse, publié par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé suite à la tentative de putsch du 15 juillet. Les locaux d’Özgür Gündem ont été placés sous scellés en août et le journal a finalement été liquidé par décret, le 29 octobre. Près de 150 titres ont été interdits de la même façon et autant de journalistes sont actuellement en prison.

Publié le
Updated on 09.11.2016