Pressions sur une journaliste d'investigation de premier plan

Reporters sans frontières exprime sa vive préoccupation au sujet de la journaliste d'investigation Maryna Koktysh, inquiétée pour son suivi d'une affaire judiciaire impliquant des officiers supérieurs de la police de Homyel et du ministère de l'Intérieur. La presse indépendante n'a fait que son devoir en rendant compte des développements d'un scandale touchant de hauts fonctionnaires, et qui a suscité l'intervention personnelle du président Alexandre Loukachenko. Maryna Koktysh est une journaliste, et en tant que telle, elle ne doit être considérée ni comme une auxiliaire de police ni comme la complice des crimes qu'elle relate. Le 17 février, à Minsk, des officiers de police ont opéré une perquisition dans les locaux du journal indépendant Narodnaya Volya. A l'issue d'une heure de recherches, ils ont saisi l'ordinateur de Maryna Koktysh, rédactrice en chef adjointe du journal, ainsi qu'un certain nombre de ses documents. La perquisition, ordonnée par la police et le parquet de la région de Homyel, est officiellement liée à l'enquête que Maryna Koktysh suivait pour le journal. Celle-ci implique trois officiers de la police de Homyel et le directeur du Département de lutte contre la corruption et le crime organisé au sein du ministère de l'Intérieur, Viktar Yermakow, accusés d'abus de pouvoir et de chantage sur des agents du KGB. Ouvert à huis clos par la Cour suprême en octobre 2009, le procès des quatre officiers s'est conclu avant-hier par la condamnation de trois d'entre eux à des peines allant de trois à quatre ans de prison. Entre-temps, il a donné lieu à une cascade de révélations sur des pratiques de corruption au sein des organes de sécurité. Le président Alexandre Loukachenko a lui-même publiquement accusé l'un des prévenus d'avoir fait illégalement construire des pavillons dans le district de Zhobin, où de hauts fonctionnaires et des dirigeants d'entreprises publiques se livraient à des parties de chasse illégales. Mais comme Maryna Koktysh l'a expliqué à Reporters sans frontières, la police a également interrogé la journaliste en tant que témoin dans une affaire de diffamation, ouverte sur la plainte d'un haut responsable du KGB. Le plaignant, dont l'identité n'est pas confirmée, s'estime diffamé par des articles publiés sur plusieurs sites d'opposition à propos de l'affaire des pavillons de chasse, sans qu'il soit possible pour l'instant d'en savoir plus. La journaliste ne peut donner plus de détails, dans la mesure où elle a dû s'engager à garder confidentielles les informations relatives à l'enquête. La plainte pour diffamation a été déposée contre "X" et ne vise pas directement Maryna Koktysh, du moins pour le moment. Mais il y a tout lieu de penser que les enquêteurs ont saisi l'ordinateur de la journaliste afin de vérifier si elle n'était pas l'auteure des articles incriminés. Aussi, le vice-président de l'Association des journalistes bélarusses (BAJ), Andreï Bastunets, a-t-il exprimé son inquiétude quant au fait que la journaliste puisse "passer du statut de témoin à celui de suspect", et être elle-même inculpée pour diffamation, un crime passible d'emprisonnement. Reporters sans frontières partage la préoccupation de la BAJ, organisation partenaire et lauréat du prix Sakharov 2004. Maryna Koktysh est une journaliste de premier plan, reconnue au Bélarus pour ses reportages d'investigation sur des sujets sensibles. Journaliste à Narodnaya Volya depuis sa fondation en 1995 et rédactrice en chef adjointe depuis 2006, elle fut ainsi la première journaliste à enquêter en profondeur sur la disparition des figures de l'opposition bélarusse Viktar Hanchar et Yury Zakharanka, de l'homme d'affaires Anatol Krasouski et du cameraman Dzmitry Zavadski. Sous son impulsion, Narodnaya Volya a publié des documents attestant l'existence d'"escadrons de la mort" liés aux assassinats politiques au Bélarus. Ses articles critiques lui ont valu de nombreuses menaces et des pressions de la part des autorités, qui l'ont illégalement privée de son accréditation auprès du Parlement et du gouvernement. La perquisition dans les locaux de Narodnaya Volya et l'interrogatoire de Maryna Koktysh.sont une manœuvre d'intimidation de plus, a déclaré l'organisation de défense de la liberté de la presse, qui en appelle aux autorités pour qu'elles cessent de harceler la journaliste. Le Bélarus, qui semblait s'être engagé dans une timide libéralisation de ses relations avec la presse dans le cadre d'un partenariat renouvelé avec l'Union européenne, est bel et bien reparti dans un nouveau cycle de répression. Le 13 janvier, le ministère de la Justice a sommé la BAJ de cesser de délivrer des cartes de presse et d'apporter un soutien juridique aux journalistes poursuivis. Après que le président a promulgué, le 1er février, une loi liberticide sur Internet, le gouvernement a récemment introduit de nouvelles régulations encadrant plus strictement la diffusion des médias étrangers dans le pays. (Photos: Belorusskie Novosti, BAJ, Khartiya'97)
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Updated on 20.01.2016