Predatorgate en Grèce : RSF appelle le Parlement à amender le projet de loi sur la surveillance, très éloigné des standards européens

Dans le contexte de l’utilisation d’un logiciel espion contre les journalistes, un projet de loi visant à réformer la législation encadrant la surveillance par les services de sécurité en Grèce doit être voté au Parlement cette semaine. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les députés à amender ce projet en suivant ses recommandations.

Le projet de loi censé améliorer la protection des citoyens grecs face à la surveillance par les services de sécurité ne propose que des améliorations largement cosmétiques, qui restent très en retrait des recommandations formulées par RSF. Marqué par de graves défauts, ce texte a été élaboré dans la hâte et de manière irrégulière, déplore le responsable du bureau Union européenne - Balkans de RSF, Pavol Szalai. Nous regrettons que le gouvernement Mitsotakis n'ait pas pris la mesure de la détérioration de la liberté de la presse en Grèce et qu’il n’ait tiré que peu de leçons depuis l’alerte lancée par le classement de RSF il y a sept mois.

Promis de longue date par le gouvernement grec comme réponse au scandale de surveillance dit du Predatorgate, le projet de loi sur la levée de la confidentialité des communications, la cybersécurité et la protection des données personnelles des citoyens, a été présenté le 15 novembre dernier. Après avoir été soumis à une consultation publique de sept jours seulement, il doit être discuté et voté au Parlement grec cette semaine.

Sur le fond du projet, plusieurs sujets nécessitent l’attention du législateur ou doivent être corrigés.

1. La définition proposée de la sécurité nationale (à laquelle une atteinte peut justifier une mise sous surveillance des communications) : la première définition prévue par le texte, trop large, faisait craindre que toute révélation d’importance sur la situation économique ou sociale du pays ne puisse être vue comme une atteinte à la sécurité nationale, pouvant justifier la mise sous surveillance de journalistes.

Cette définition a été amendée et restreinte après consultation publique sur le projet. Le législateur devra cependant être attentif à ce que ne soient pas réintroduits, lors des débats sur le texte à l’assemblée, des motifs ne relevant pas strictement de la défense nationale, de la politique étrangère ou de la sécurité, afin de garantir que les journalistes puissent continuer à travailler sur des questions économiques ou sociétales. 

2. Le renforcement des contrôles que prétend apporter le projet sur les opérations de surveillance par les services de sécurité est très largement insuffisant.

Aucun contrôle judiciaire indépendant, sur le recours à la surveillance ou la mise en œuvre de celle-ci, n’est prévu par le projet. Ce sont deux procureurs qui décident de la mise sous surveillance, et ils n’ont pas à justifier leurs décisions. La nouvelle mouture du projet ne fait pas apparaître d’améliorations sur ce point, qui est pourtant un défaut majeur du texte et le met directement en contrariété avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

En outre, les droits de recours ou d’accès à l’information pour les personnes surveillées ne sont pas renforcés. Le gouvernement grec avait, par un amendement à la loi en mars 2021, supprimé toute possibilité pour les personnes ayant fait l’objet d’une surveillance pour des motifs de sécurité nationale d’être informées de cette mise sous surveillance après qu’il y ait été mis fin. Cette impossibilité empêchait absolument les personnes concernées de contester la mesure, de dénoncer d’éventuels abus et d’obtenir réparation. Le présent projet de loi prétendait, face au tollé que cet amendement avait suscité, corriger cette atteinte aux droits de recours des citoyens. 

Mais les améliorations proposées par le texte sont très loin des attentes et des standards européens. C’est seulement trois ans après la fin de la surveillance que la personne concernée peut en être informée. Et c’est une commission dont l’indépendance et l’impartialité est contestable qui décidera de permettre ou non l’information des personnes concernées. 

La première version du projet prévoyait que cette décision soit prise par un organe composé du président de l’Autorité hellénique pour la sécurité des communications et la protection de la vie privée (ADAE), du directeur du service de sécurité ayant requis la surveillance et du procureur l’ayant autorisée. C’est dire à quel point l’impartialité de cet organe pouvait être mise en doute. Face aux critiques, la composition de cet organe a été revue. Il serait à présent composé, outre du directeur de l’ADAE, de deux procureurs. Cela reste cependant insuffisant : un procureur, autorité de poursuites et d’enquête, ne peut être considéré comme une autorité judiciaire indépendante. C’est pourtant une telle autorité qui devrait être impliquée dans une telle décision. 

3. Autre grave faiblesse du texte, aucune protection particulière n’est accordée aux journalistes. Le droit à la protection du secret des sources dont ils doivent bénéficier justifie pourtant que la surveillance des journalistes fasse l’objet de garanties spécifiques. 

4. Le texte prétend apporter des garanties contre l’usage de logiciels espions. Mais seul le recours par des personnes ou entités privées à de tels logiciels est puni. L’utilisation de ces outils par les services de sécurité est loin d’être encadrée, le texte se contentant de prévoir qu’un décret présidentiel devra fixer les conditions de l'acquisition par l’État de logiciels de surveillance. Aucun contrôle ou suivi judiciaire du recours à de tels outils n’est donc prévu, et rien ne vient encadrer la sous-traitance de l’espionnage à des opérateurs privés.

Le législateur grec doit revoir ce texte en profondeur et apporter de véritables garanties contre la surveillance, en particulier aux journalistes. Les recommandations que RSF avait formulées début novembre 2022, sur la base notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, doivent lui servir de référence.

Ce projet de loi présente en outre des irrégularités de procédure dans son élaboration. L’Autorité hellénique pour la sécurité des communications et la protection de la vie privée (ADAE) a été écartée de la rédaction du projet de loi. L’autorité a réagi en déplorant ne jamais avoir été “dûment informée, ni son avis sollicité de manière institutionnellement appropriée, de sorte que ce projet de loi institutionnel soit le résultat d'un débat sobre et scientifique dans l'intérêt du droit”. 

À la dernière place dans l’Union européenne, la Grèce occupe la 108e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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