Poussée des réformateurs en Iran, malgré des entraves à la liberté d’informer
Reporters sans frontières (RSF) dénonce les nouvelles entraves à l’information par les autorités iraniennes pendant les élections, et exhorte le Président Hassan Rohani à s’appuyer sur les bons résulats des réformateurs pour amorcer enfin
un changement en matière de liberté de la presse.
Le 26 février 2016, 54 millions d’Iraniens ont été appelés aux urnes, afin de choisir leurs députés et de renouveler l’Assemblée des experts (composée de 88 leaders religieux ‘experts en droit islamique’ qui devront choisir le jour venu le Guide suprême sa fonction). Une élection verrouillée d'avance puisqu’elle écartait d’emblée les candidats non conformes “aux valeurs islamiques” ou “non fidèles à l'islam et à la République islamique et son guide” par le conseil de la constitutions.
Une nouvelle fois une grande partie des Iraniens ont profité de la brèche électorale pour s’exprimer et voter contre la politique officielle du Guide suprême, Ali Khamenei. Même s’ils n’obtiennent pas la majorité au Parlement, les soutiens de Rohani ont enregistré de bons résultats, qui témoignent d’une volonté de changement notamment en faveur des droits fondamentaux. Hassan Rohani et ses alliés réformateurs et modérés n'ont désormais plus aucune excuse pour garder en prison les 37 journalistes privés de leur liberté.
Non content d’imposer de telles restrictions au corps électoral, le pouvoir contrôle totalement les médias et réprime les voix d’opposition. Reporters sans frontières (RSF) rappelle que l’accès sans entraves à une information indépendante constitue le fondement de toute élection libre et qu’à défaut, ce scrutin ne saurait être considéré comme transparent et démocratique.
Deux mois avant ces élections, les gardiens de la révolution ont mis en place une sorte de répression préventive, menée à grands renforts d’arrestations, de suspensions de journaux et d’intimidations à l’encontre des médias et des journalistes. Le 2 novembre 2015, les reporters Afarine Chitsaz, du quotidien Iran, Ehssan Mazndarani, directeur du quotidien Farhikhteghan, Saman Safarzai, du mensuel Andisher poya et Issa Saharkhiz, journaliste indépendant de renommée, ont été interpelés et sont toujours détenus. Le même jour, Farzad pourmoradi, collaborateur de plusieurs médias et notamment du site d’information Kermanshah post et du Navai vaghat a été arrêté à son domicile. Le 3 février 2016, c’est autour de Bahman Darolshafai, ancien reporter pour la BBC et plusieurs journaux réformateurs en Iran, d’être appréhendé par des agents en civil. Il a été finalement libéré provisoirement le 23 février, après le versement d’une caution et en attendant son jugement.
Selon les informations recueillies par RSF, plusieurs autres journalistes ont été convoqués, interrogés et certains d’entre eux placés en détention par la section du renseignement des gardiens de la révolution. Dans ce contexte, les informations venues de médias installés à l’étranger constituent souvent le seul moyen pour les citoyens d’accéder à une information alternative, mais elles n’échappent pas non plus au contrôle du pouvoir ou aux tentatives de diabolisation et d’intimidations des services des renseignements.
Deux semaines plus tôt les organes de presses et les personnalité proches du Guide suprême ont intensifié les attaques contre les médias étrangers et notamment contre la section persane de la BBC ( British Broadcasting Corporation). Le 17 février 2016, le discours d’Ali Khamenei désignait à nouveau ce média comme un exemple de l’ingérence des Anglais dans le scrutin, et de l’infiltration des ennemis dans le processus électiral.
Le guide suprême reprochait à ces médias leur soutien à la campagne 'barrer la route aux extrémistes' lancée par les internautes sur les réseaux sociaux afin d’écarter les proches d'Ali Khamenei. Depuis l’avènement d’Hassan Rohani en juin 2013, une grande partie des médias internationaux en langue persane et basés à l’étranger, couvrent certes plutôt favorablement les actions du gouvernement d'Iran... mais le guide suprême les gardiens de la révolution ne tolèrent pas l’information non controlée.
Depuis trois mois, RSF a recensé une dizaine de cas de menaces contre des journalistes exilés travaillant pour des médias internationaux ou des médias indépendants en langue persane et basés à l’étranger, notamment Radio Free Europe / Radio Farda, Voice of America (VOA), Radio Zamaneh, British Broadcasting Corporation (BBC). Plusieurs d’entre eux ont fait l’objet de mises en garde directes de la part des services des renseignements ou des médias prochesdu pouvoir, comme Farsnews, l'agence de presse affiliée aux gardiens de la révolution. Certaines familles de reporters ont été en outre été convoquées et questionnées par les agents du renseignement. Au terme d’interrogatoires de plusieurs heures, le ministère a exigé des familles qu’elles demandent à leurs proches “de cesser de collaborer avec les médias des ennemis”, avant de les menacer de “convoquer d’autres membres de la famille voire de les arrêter”.
Selon les autorités une centaines journalistes étrangers ont été autorisés à couvrir les élections. Si certains journalistes ont confirmé la relative facilité d’obtenir un visa pour entrer dans le pays, ils se plaignent des surveillances et des limites qui leurs ont été imposées par les services des renseignements, et notamment que le visa soit conditionné par l’obligation de travailler avec une agence de traducteurs et fixeurs contrôlée par les autorités.
Avec 37 journalistes et citoyens- journalistes emprisonnés,l’Iran est toujours l’une des cinq plus grandes prisons du monde pour les professionnels de l’information. Le pays est classé 173e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2015 de Reporters sans frontières.