Pologne : au pays des procédures-bâillons, un célèbre journaliste d’investigation condamné sans avoir été entendu

Le lauréat du prix Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse, Tomasz Piatek, a appris sa condamnation à huit mois de travaux d'intérêt général dans la presse pro-gouvernementale. RSF soutient le journaliste qui tente de faire réviser sa condamnation pour diffamation et attend un jugement en appel dans un autre procès, également initié par un proche du parti au pouvoir.

 


Mise à jour : Le 10 mai 2023, une cour d'appel de Varsovie a rejeté, la demande de Tomasz Piatek de réouverture de son procès, dans lequel il a été condamné pour diffamation sans jamais avoir été entendu. Considérant que le journaliste d'investigation "a choisi la mauvaise voie pour contester le verdict", la cour suggère un pourvoi en cassation dans cette affaire. RSF demande au défenseur des droits polonais Marcin Wiącek d'initier cette démarche, car il est le seul à en avoir la compétence.


 

"L'un des journalistes les plus renommés de Pologne a été condamné sans même avoir été entendu par le tribunal. Les autorités judiciaires n'ont pas fait preuve de la diligence nécessaire pour garantir le respect de son droit à un procès équitable. Nous soutenons Tomasz Piatek qui s'apprête à se présenter de nouveau devant les juges le 30 novembre dans une nouvelle affaire de diffamation. Tel David contre Goliath, il défend la liberté de la presse et son journalisme d'intérêt public

Pavol Szalai
Responsable du Bureau UE-Balkans de RSF

Mise à jour : Le 10 mai 2023, la cour d'appel de Varsovie a rejeté,  la demande de Tomasz Piatek de réouverture de son procès, dans lequel il a été condamné pour diffamation sans jamais avoir été entendu. Considérant que le journaliste d'investigation "a choisi la mauvaise voie pour contester le verdict", la cour suggère un pourvoi en cassation dans cette affaire. RSF demande au défenseur des droits polonais Marcin Wiącek d'initier cette démarche, car il est le seul à en avoir la compétence.

Tout porte à croire qu’il y a eu une volonté de priver le journaliste Tomasz Piatek de ses droits au cours de cette procédure. Attaqué au pénal pour diffamation par un milliardaire proche du Premier ministre Mateusz Morawiecki, le journaliste a été condamné par le tribunal de district de Varsovie - Srodmiescie, le 27 octobre, sans jamais avoir été auditionné.

Dans ce procès, basé sur l'article 212 du Code pénal, le tribunal aurait dû, selon l'avocat de Tomasz Piatek, Dawid Biernat, donner au défendeur la possibilité de répondre aux accusations. Le journaliste n'était pourtant pas au courant de la procédure, car il n'a jamais reçu de convocation à son adresse actuelle. La raison officielle : les autorités judiciaires envoyaient le courrier à son ancienne adresse, où il était officiellement enregistré et où il a reçu l'acte d'accusation.

S’il peut être rétorqué que Tomasz Piatek aurait dû communiquer sa nouvelle adresse au tribunal, le journaliste, qui est régulièrement l’objet d’attaques en justice pour ses enquêtes, n'a cependant pas cherché à éviter le procès. Il pensait être joignable par l'intermédiaire de ses avocats, connus des autorités judiciaires, ou de son éditeur.

RSF estime que les principes de bonne foi, ainsi que les exigences fondamentales du droit à un procès équitable, auraient exigé que le tribunal prenne toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que le journaliste soit convoqué et qu’il ait l'opportunité de répondre aux accusations pénales formulées contre lui. Le procès aurait dû être reporté tant que ce critère n’était pas rempli. Dans les faits, un simple envoi de la convocation à l'éditeur de Tomasz Piatek aurait été suffisant pour y parvenir.

Le lauréat du Prix RSF pour la liberté de la presse 2017 a appris le verdict par la presse pro-gouvernementale qui a publié l'information après l’expiration du délai d'appel : une condamnation à huit mois de travaux d'intérêt général à raison de 20 heures par mois. Cela pour avoir écrit dans son livre Morawiecki et ses secrets (Morawiecki i jego tajemnice, 2019) que l'homme d'affaires avait des liens avec la Russie et avait joué un rôle dans le scandale des écoutes de 2014, qui avait provoqué une crise gouvernementale.

Le journaliste d'investigation se présentera à nouveau devant le juge le 30 novembre 2022 dans une autre affaire de diffamation, également liée aux liens présumés de certains fonctionnaires avec la Russie. Un tribunal de district de Varsovie étudiera son appel contre la décision le condamnant, dont RSF demande également l'annulation.

Tomasz Piatek a été condamné en juin 2022 à une amende de 1 000 € et à présenter des excuses par voie de presse à un officier militaire polonais. Le colonel Krzysztof Gaj, qui est également ancien collaborateur du Premier ministre et ancien employé du ministère de la Défense, avait porté plainte contre Tomasz Piatek pour son livre sur l'ancien ministre de la Défense, Antoni Macierewicz et ses secrets (Antoni Macierewicz i jego tajemnice, 2017). Un livre qui a valu au journaliste le prix RSF.

Malgré les appels de RSF, un tribunal de district de Varsovie a jugé que le journaliste avait "diffamé" Krzysztof Gaj en affirmant, en 2017, qu'il avait écrit qu'il soutenait l'invasion de l'Ukraine et qu’il avait "des liens dangereux avec le Kremlin, la mafia et le lobbying".

La Pologne, condamnée l'an dernier par la Cour de justice de l'Union européenne pour sa réforme judiciaire controversée, s’est vu décerner le 20 octobre 2022 le "prix du pays du SLAPP de l'année" par le concours européen SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation, soit procédures-bâillons en français). Le prix décerné par une coalition d'ONG dont RSF a été attribué à la Pologne, car elle a "offert les conditions les plus favorables" aux procédures-bâillons sur l’année 2021-2022. 

La Pologne occupe le 66e rang sur 180 pays au Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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