Ouganda : le Conseil des médias pose un ultimatum aux journalistes

Alors que de nombreuses exactions ont été recensées ces dernières semaines, l'organe de régulation des médias ougandais oblige les journalistes à demander de nouvelles accréditations sous peine de ne plus pouvoir exercer. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une tentative grossière d’empêcher la couverture de la campagne de l’élection présidentielle.

En pleine campagne électorale, le président du Conseil des médias ougandais, Paulo Ekochu, a pris une décision inquiétante. Dans un communiqué publié le 10 décembre, il a annoncé que tous les médias et journalistes du pays devraient impérativement faire une nouvelle demande d'accréditation pour être autorisés à exercer leur métier et couvrir le scrutin présidentiel prévu le 14 janvier prochain.


La mesure concerne aussi bien les reporters locaux que les journalistes étrangers. Ces derniers devront également obtenir un laissez-passer spécial octroyé par l’organe de régulation des médias, "indiquant les zones géographiques ou thématiques particulières de la couverture médiatique prévue”.


Les journalistes ont une semaine pour faire leurs demandes. Ceux qui continueront à travailler sans avoir obtenu la nouvelle accréditation s'exposeront à des poursuites pénales, a prévenu le président du Conseil des médias.


“Les motivations de cette décision ne trompent personne et visent clairement à faire le tri parmi les journalistes et médias autorisés à couvrir la campagne pour l'élection présidentielle, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique à RSF. Cette mesure qui prend la forme d'un dangereux ultimatum constitue une tentative grossière d’empêcher une couverture large et indépendante du processus électoral. Elle est d'autant plus inquiétante que le régulateur des médias n'a rien fait pour arrêter les graves violences perpétrées contre les journalistes ces dernières semaines. Nous exhortons les autorités à laisser les journalistes exercer librement leur métier et à assurer leur protection. Aucune élection crédible ne peut se tenir sans eux."


L’élection oppose Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986 et briguant un sixième mandat, à Robert Kyagulanyi, un célèbre chanteur plus connu sous le nom de Bobi Wine, devenu son principal opposant. Ce dernier a fait l’objet de plusieurs arrestations depuis son élection au Parlement en 2017. Les journalistes qui couvrent ses rassemblements subissent régulièrement des violences. Vendredi dernier, six reporters ont été blessés par la police lorsque Bobi Wine tentait d’accéder à son QG de campagne.


Depuis le début du mois de novembre, RSF a dénombré 27 violations de la liberté de la presse en Ouganda, dont cinq arrestations de journalistes et 16 agressions, toutes commises par les forces de police.


La presse étrangère n’est pas épargnée. Le mois dernier, trois journalistes canadiens de CBC News venus couvrir la campagne électorale ont été expulsés du pays.


La brutalité des méthodes utilisées pour museler les journalistes s’accompagne d’un contrôle de plus en plus étroit des médias. Depuis le mois d’août, une nouvelle unité de police a été créée pour disperser les rassemblements à proximité des rédactions lorsque des responsables politiques y sont invités pour des interviews. Officiellement, cette unité est chargée de lutter contre la violence et contre les attroupements propices à la propagation du coronavirus. Mais dans la réalité, les médias sont désormais obligés de transmettre les noms des personnalités politiques qu’ils souhaitent inviter.


Depuis la dernière élection présidentielle en 2016, l’Ouganda a perdu 23 places et occupe désormais la 125e position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

Publié le
Updated on 17.12.2020